UA : Quand l’espoir d’« une justice pour les Africains » suscite le débat


L’Union Africaine a désigné 2025 comme l’Année de la « justice pour les Africains et les personnes d’origine africaine à travers les réparations ». Moussa Faki Mahamat, Président de La Commission de l’Union Africaine déclarait à ce propos que « la problématique de réparation due aux Africains, du continent et de la diaspora, n’est pas nouvelle. Elle est consubstantielle à l’OUA qui l’a toujours formulée. C’est donc un travail amorcé depuis longtemps et qui consiste à élaborer un programme politique et à évaluer la problématique des réparations sous son angle principal, celui du préjudice causé à l’Afrique à travers la traite négrière, l’esclavage, le colonialisme et le néocolonialisme ». Il était temps alors, selon lui, de « constituer un front uni pour promouvoir la cause de la justice et le paiement des réparations aux Africains ».
 
Mais également, ce thème a constitué un choix qui marque une étape clé dans la reconnaissance des injustices historiques subies par l’Afrique, du commerce transatlantique des esclaves à la colonisation, en passant par l’apartheid. Toutefois, cette décision suscite de nombreuses inquiétudes du côté européen, où la question des réparations reste un sujet sensible.
Un sujet explosif pour les relations Afrique-Europe
 
Ce choix de l’UA ne laisse personne indifférent. Pour l’organisation panafricaine, il s’agit d’un moment « historique », selon Monique Nsanzabaganwa, vice-présidente sortante de la Commission de l’UA. L’objectif est clair : mettre en lumière l’ampleur du pillage colonial et ouvrir un débat sur les compensations financières et morales. Les réparations sont un dossier délicat dans les relations entre l’Afrique et l’Europe. En effet, l’UA prévoit de mettre en lumière les responsabilités des anciennes puissances coloniales telles que la France, le Royaume-Uni, la Belgique, le Portugal, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne. Ce choix dérange, car il ravive des souvenirs douloureux et met en avant des revendications financières vertigineuses. Ainsi, les dirigeants européens, tous impliqués dans l’exploitation du continent, redoutent l’ouverture d’une boîte de Pandore juridique.
Les pays européens préfèrent ne pas présenter d'excuses officielles pour les crimes coloniaux passés, car cela ouvrirait la porte à toute une série de litiges internationaux. Une reconnaissance officielle pourrait également servir de précédent, encourageant d’autres régions du monde à réclamer des compensations.
Une dette historique colossale
Au sommet de l’UA à Addis-Abeba, les États africains ont entrepris d’évaluer le montant des réparations exigées. Le professeur soudanais de droit international, Dr. al-Tayeb Abdul Jalil a réalisé une estimation des sommes que chaque pays colonisateur devrait verser en fonction de plusieurs critères : durée de l’occupation, pillage des ressources, le retard de développement imposé, destruction des écosystèmes et travail forcé. Selon ses calculs, les chiffres sont vertigineux : Royaume-Uni : 3 200 milliards de dollars au Nigeria, 700 milliards de dollars au Soudan, la France : 653 milliards de dollars à l’Algérie, 354 milliards de dollars au Niger, 302 milliards de dollars au Mali, en Belgique : 1 600 milliards de dollars à la République démocratique du Congo et au Portugal : 504 milliards de dollars à l’Angola. 
Ces montants traduisent l’ampleur du pillage subi par l’Afrique, qui continue d’en payer le prix aujourd’hui, à travers des retards structurels dans le développement économique et social.
Indépendance et légitimité des revendications africaines
Cette initiative de l’UA intervient dans un contexte où plusieurs pays africains réaffirment leur souveraineté et leur volonté de rompre avec la dépendance historique vis-à-vis de l’Occident. Comme le souligne Monique Nsanzabaganwa, vice-présidente sortante de la Commission de l’UA, cette démarche vise à « rendre à l’Afrique ses droits légitimes ».
Si l’Europe a longtemps fermé la porte aux réparations, quelques cas récents montrent que des avancées sont possibles. Le Royaume-Uni a indemnisé des milliers de Kényansayant subi des atrocités durant la lutte pour l’indépendance, en leur versant 30 millions de dollars. L’Allemagne a reconnu le génocide des Herero et Nama en Namibie, en acceptant d’allouer 1,35 milliard de dollars pour des projets de développement.
Vers des « relations basées sur la confiance » ? 
 
Ces exemples listés plus haut restent rares et dérisoires face à l’ampleur du préjudice subi par l’Afrique. D’autant plus que certains pays, comme la France, continuent d’esquiver le débat. Paris refuse d’ouvrir la discussion sur des compensations financières, préférant parler de « nouvelles relations basées sur la confiance ». Parallèlement, la France refuse de verser des réparations aux nations africaines alors qu’elle a elle-même perçu 21 milliards de dollars d’Haïti pour sa propre indemnisation après l’abolition de l’esclavage ! Les États africains revendiquent désormais leur droit à dicter les termes de leur avenir, et les réparations sont perçues comme une étape nécessaire pour rééquilibrer les rapports de force. La question est désormais posée : combien l’Europe doit-elle réellement à l’Afrique pour des siècles d’exploitation ?
Une Afrique plus forte pour exiger justice
 
Au-delà des chiffres, cette initiative marque une prise de conscience collective sur le continent. De plus en plus de pays africains renforcent leur souveraineté économique et politique, condition essentielle pour revendiquer des réparations et refuser l’ingérence étrangère.
Aujourd’hui, l’Afrique ne veut plus subir, mais dicter ses propres règles. Si certaines nations optent pour la restitution d’œuvres d’art ou des excuses officielles, d’autres insistent sur des réparations concrètes. L’UA veut ainsi faire de 2025 une année de rupture : celle où l’Afrique exigera que justice soit faite pour les crimes du passé.
Les anciennes puissances coloniales feront-elles face à leur responsabilité historique ? Ou tenteront-elles, une fois de plus, d’enterrer ce débat fondamental ? L’année 2025 pourrait bien être celle où l’Afrique reprendra enfin le contrôle de son destin. L’année 2025 s’annonce comme un tournant décisif dans ce combat pour la justice historique.
 
Vendredi 7 Mars 2025
Dakaractu



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