Le président gambien, Yahya Jammeh, avait déclaré, le 19 août dernier, veille de la fin du ramadan, que tous les prisonniers condamnés à mort seraient exécutés à la mi-septembre. Une semaine plus tard, neuf détenus, parmi lesquels deux Sénégalais dont une femme, ont été fusillés, entraînant une vague de protestations, particulièrement au Sénégal où le droit à la vie est un principe sacré. Un peu plus d’un mois après, la sagesse semble avoir prévalu, les pressions ayant amené le régime gambien à décider d’une suspension des exécutions. Le Soleil a voulu aller plus loin en donnant la parole à différents acteurs diplomatiques, juridiques et économiques sénégalais sur les implications de cette application de la peine de mort qui est loin de répondre aux normes internationalement admises.
Espace SénéGambien : Le commun diviseur colonial
Un peuple, une histoire, une même géographie et une même culture. Entre le Sénégal et la Gambie, la parenté est évidente. Les divergences coloniales en ont fait deux Etats distincts. La Gambie, plantée telle une banane dans la gueule du Sénégal, est une grosse déchirure historique pour son voisin. Une Sénégambie unifiée et indivisible constitue pourtant, depuis le XVll ème siècle, une vieille idée longtemps caressée par les Anglais, puis par les Français pour remédier aux aberrations de leurs rivalités coloniales dans la partie ouest du continent africain. L'histoire en a décidé autrement.
« Nun nyep ben lanu (Nous constituons un même peuple), ce sont les colonisateurs qui nous ont divisés ». La même phrase, répétée à l’envie par des générations de Sénégalais et de Gambiens, est une vérité historique. A l'exception des Aku, une ethnie descendant des esclaves libérés par les Britanniques, venus du Nigéria et de la Sierra Léone, les mêmes ethnies se retrouvent de part et d'autre des frontières sénégalaise et gambienne. Aussi distingue-t-on six grandes ethnies réparties entre les Wolofs, les Sérères, les Toucouleurs, les Peuls, le groupe casamançais et les Mandingues. Les différents peuples et royaumes sénégambiens vivaient tous dans un même ensemble géographique et historique, celui de l'Empire du Mali. Un Empire qui, dit-on, s'étendait de l'Afrique occidentale jusqu'au Monomotapa, sous le règne de Kankan Moussa (1312-1332) et dont les princes s'étaient convertis officiellement à l'islam sans pour autant abandonner les pratiques animistes.
D’après Thierno Soulèye Mbodj, « Le Sénégal et la Gambie faisaient parties intégrantes de cet empire dont ils étaient les vassaux jusqu'à son éclatement, au XVIIème siècle ». Les migrations, les guerres, les mariages et l'histoire commune ont fini par créer un fond commun culturel et sociologique propre à l'espace sénégambien. Le fait colonial viendra briser cet équilibre en y faisant son entrée expansionniste au XIVème siècle.
Entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, les commerçants européens (Portugais, Hollandais, Français et Anglais) vont chercher à se grouper et à obtenir des monopoles pour lutter contre leurs concurrents. « Ce fut véritablement une période mouvementée, marquée de conquêtes et de reconquêtes, d'accords de cession de territoire, de comptoirs, entre européens, d'une part, et entre Européens et populations indigènes, d'autre part, jusqu'au traité de Versailles de 1783 ou les possessions se fixèrent définitivement. La France occupe le Sénégal, et l'Angleterre la Gambie dont le fleuve demeure incontestablement une ligne de démarcation franco-anglaise ».
Chacune des deux puissances protégeaient ses intérêts localisés à des endroits précisés, mais dispersés tout le long de la côte ouest africaine. C’est alors que l’idée d’un troc de territoires prit forme dans l’esprit des colonisateurs : la Gambie britannique contre Grand Bassam ou l’Assinie (dans l’actuelle Côte d’Ivoire), les Nouvelles Hébrides (Vanuatu), le Gabon, la Somalie française… sous contrôle français. Un tel troc devait « rationnaliser la carte coloniale ». Les frontières sénégambiennes seront donc tracées en 1889, légèrement retouchées en 1904 à Paris, à l’aide de la règle, du crayon et du hasard. La Grande-Bretagne n’avait qu’une préoccupation : la reconnaissance de ses droits sur le fleuve Gambie. « Les longues et difficiles négociations franco-anglaises se sont déroulées sans succès tout le long de la période de l'occupation coloniale pour réunir la Sénégambie sous une même administration soit anglaise, soit française pour aboutir finalement à la séparation d'un même peuple modifié au nord par les apports culturels français et au sud par les traditions anglo-saxonnes », écrit Thierno Soulèye Mbodj.
Après la proclamation de la République sénégalaise, le 20 novembre 1958, qui deviendra indépendante après le court épisode de la Fédération du Mali, l’autonomie fut accordée à la Gambie par la Grande-Bretagne, le 4 octobre 1963. Le 18 février 1965, l'indépendance fut proclamée et la Gambie resta dans le Commonwealth avec une monarchie constitutionnelle. En 1970, la République fut proclamée et Dawda Jawara devint Président de la République.
w Sidy DIOP
L’analyse du Pr. Amsatou Sow SIDIBE, ministre conseiller : « Pourquoi aucun des deux pays n’a intérêt à entrer en conflit ouvert avec l’autre… »
« La déstabilisation de l’un des deux pays entraîne celle de l’autre », estime le Pr. Amsatou Sow Sidibé, ministre conseiller auprès du président de la République, Macky Sall. Reste donc à définir un cadre de coopération durable. En plus des éléments fédérateurs que sont la culture, l’histoire et la géographie, elle rappelle, dans le contexte de l’Etat de droit, que le respect des droits humains est un principe incontournable.
LA PLACE DES DROITS DE L’HOMME - « En matière de droits humains, les peuples gambien et sénégalais ont exactement les mêmes droits. Ces droits sont protégés par le droit international, à travers les conventions internationales et régionales africaines. Ces conventions interdisent la violation de la dignité humaine, l'atteinte à la vie, l'intégrité physique, le droit à la défense, donc le droit d'être assisté par un avocat, et dans des délais raisonnables. Le respect de ces droits crée un climat de sécurisation, de confiance, d'aisance favorable à une coopération entre les Etats.
Le respect des droits humains est incontournable pour la bonne gouvernance. Au plan international, le respect des droits de l'homme épargne un pays d'être inscrit sur la liste des Etats hors la loi. Aujourd’hui, la communauté internationale est regardante vis-à-vis du sort que les Etats réservent aux droits humains. Des juridictions internationales telles que la Cpi et la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples jouent un rôle essentiel de dissuasion.
Tout ceci laisse croire que l'incident, somme toute grave, survenu dans les relations entre la Gambie et le Sénégal, suite à l'exécution sommaire de deux Sénégalais, ne sera plus qu’un mauvais souvenir. »
LA CULTURE COMME FEDERATEUR - « Les populations des deux pays ont pratiquement la même culture. Les origines ethniques des deux peuples sont les mêmes. Leurs noms patronymiques (Ndiaye, Diop, Sarr, Diamé, Diba, Diallo, etc.) sont les mêmes. C'est le même peuple qui a été réparti dans des aires géographiques suivant des frontières artificielles.
Mais les deux peuples connaissent la parenté à plaisanterie et les mêmes formes traditionnelles du mariage. Cette culture presque identique peut aider la Gambie et le Sénégal à faire de la volonté de vivre ensemble une réalité. »
RIVALITE OU COMPLEMENTARITE - « Il n’y a pas de place pour la rivalité entre la Gambie et le Sénégal. Ce sont deux Etats qui ont des intérêts stratégiques et géopolitiques communs. La Gambie et le Sénégal sont des peuples liés par l’histoire et la géographie. Leur destin est lié. La Gambie est dans les entrailles du Sénégal. La déstabilisation de l’un des deux pays entraîne fatalement la déstabilisation de l’autre. Aucun des deux pays n’a intérêt à entrer en conflit ouvert avec l’autre. »
RECADRER LA COOPERATION - « Une bonne coopération repose sur le respect de principes. Les conventions liant les deux Etats doivent être respectées. »
LE RAYONNEMENT INTERNATIONAL - « Le droit international et, spécialement, le protocole additionnel de la Cedeao sur la démocratie et la bonne gouvernance, rappellent un certain nombre de principes que les Etats sont invités à respecter : l’Etat de droit implique non seulement une bonne législation conforme aux prescriptions des droits de la personne humaine, mais également une bonne justice ; il est demandé aux Etats membres et au secrétariat exécutif de mettre tout en œuvre pour la mise en place, aux plans national et régional, des modalités pratiques permettant l’effectivité de l’Etat de droit, des droits de la personne, de la bonne justice... »
LA PAIX SOCIALE - « La paix sociale doit être une quête permanente de nos Etats. Elle suppose une attitude responsable de nos dirigeants. Si un Etat fait fi des règles de protection des droits de l’homme et donc des règles de prévention des conflits, le recours aux instances juridictionnelles internationales ou régionales devient inévitable. Le Sénégal pourrait, d’ailleurs, saisir la Cour africaine des droits de l’homme ; ce qui pourrait avoir un effet suspensif des exécutions et sur l’indemnisation des familles des personnes déjà exécutées. »
w Recueillis par Habib Demba FALL
Ambassadeur Ibra Déguene KA, ancien représentant du Sénégal auprès des nations unies : « La sérénité, la confiance et le dialogue doivent être privilégiés »
Le dialogue. C’est la solution préconisée par l’ambassadeur Ibra Déguène Kâ, ancien représentant du Sénégal auprès des Nations Unies, afin de préserver des relations bâties sur le socle de l’histoire, la géographie, la culture, etc.
FONDEMENTS DE LA COOPERATION - « Les relations entre le Sénégal et la Gambie s’appuient sur une réalité géographique, sociologique et culturelle, et cette réalité fait de la Gambie un pays proche sentimentalement du Sénégal, par son histoire et ses aspirations. Cette réalité se trouve aussi moulée dans un cadre juridique d’au moins 25 accords bilatéraux négociés, depuis 1965, à l’indépendance de la Gambie.
Quoi donc de plus naturel pour ces deux pays d’entretenir des relations normales dans le cadre d’une coopération souveraine et égalitaire ?
Quoi de plus rassurant pour la Gambie de constater que, depuis son indépendance et malgré les vicissitudes de l’histoire, le Sénégal n’a jamais manifesté des velléités de domination ni sur l’Etat de Gambie, ni sur son peuple ? »
DES CRISES A SURMONTER - « Au demeurant, la dissection des rapports entre les deux pays nous fait découvrir, qu’à plusieurs occasions, il y a eu des crises plus ou moins graves. Et la plupart de ces incidents venaient du coté gambien : (augmentation, sans consultation du Sénégal, des tarifs des bacs de Farafeni et de Bara, sans mentionner les tracasseries au niveau des ruptures de charges, arraisonnements intempestifs de bateaux sénégalais de pêche ; taxes élevées des permis de résidence des Sénégalais en Gambie ; agression économique sous forme de contrebande aux frontières du Sénégal et des centaines de rebelles du Mfdc tapis à Serrekunda, Latrikounda, Dippakounda, Brikama et dans le Fogni).
Pour éviter que ces situations ne ternissent les relations entre le deux pays, le Sénégal a toujours fait preuve de retenue et de concession, en privilégiant la concertation et le dialogue avec ce pays frère. »
SERENITE ET CONFIANCE - « Il est donc important, aujourd’hui, après ce qui vient de se passer, que la sérénité, la confiance réciproque, la concertation et le dialogue soient toujours les moyens privilégiés de règlements de crises passagères entre le Sénégal et la Gambie.
Le destin commun de ces deux peuples doit, à mes yeux, les pousser à conjuguer leurs efforts pour, ensemble, relever les enjeux de stabilité politique, les défis de développement économique et les menaces sécuritaires dans la sous-région. Pour réaliser ces objectifs vitaux, le Sénégal et la Gambie doivent prendre des mesures urgentes pour relancer la coopération fraternelle entre leurs deux pays. »
AU-DELA DES FRONTIERES - Quel bel exemple que la Gambie et le Sénégal ont donné à l’Afrique et au monde quand ils ont signé, en juin 1975 et juin 1976, deux Traités délimitant des portions de leurs frontières terrestres et maritimes que les anciens colonisateurs n’avaient pas matérialisées.
Quelle grande vision économique, pour les deux pays, d’aménager le bassin du fleuve Gambie, d’y construire des barrages hydroélectriques avec connections futures des réseaux électriques des deux pays et de ceux de la sous-région.
Quelle urgence à construire le pont sur la Gambie dans cette espace géostratégique du Sud du Sénégal. Quelle grande résolution, enfin, prise récemment par les présidents Jammeh et Sall de se concerter pour le règlement de la crise casamançaise, dans l’intérêt bien compris de la stabilité politique et de la sécurité dans la sous région. »
ACTIONS A MENER - « Dans cette œuvre exaltante, les autorités ne devront pas oublier d’impliquer les peuples, les communicateurs traditionnels et les hommes d’affaires qui, à travers des sociétés commerciales mixtes, créent des intérêts irréversibles en Gambie et au Sénégal.
Il faudrait aussi impliquer, comme le font les pays de grande tradition diplomatique, les ambassadeurs qui ont servi en Gambie et au Sénégal et bien choisir enfin les ambassadeurs qui doivent représenter ces deux pays dans le cadre de leurs relations sensibles. Pour que la crise récente soit derrière nous, des démarches discrètes, par des envoyés spéciaux devraient être menées en vue de permettre aux deux présidents de se rencontrer. »
Recueillis par Habib Demba FALL
Les arts, les sports et la communication au service de relations exceptionnelles
Des Sénégalais condamnés à mort et exécutés en Gambie. Au pays de la « Téranga », c’est une surprise pour les uns, un coup de canif à des liens de parenté établis depuis l’aube des temps pour les autres. Si la grande majorité des Sénégalais a exprimé ses regrets, c’est parce qu’elle a toujours cru que, malgré l’existence des deux Etats (Sénégal et Gambie), le peuple sénégambien est un et indivisible. Surtout avec l’engagement notoire du monde des arts, des sports et de la communication sociale.
Le « mbalax », dans ses divers styles, des musiciens comme Thione Seck, Moussa Ngom, Youssou Ndour, Djaliba Kouyaté, Coumba Gawlo et Pape Touré, les lutteurs Mohamed Ndao Tyson, « Gambien », Mor Fadam, Balla Gaye 2 et Zoss, et tant d’autres musiciens et sportifs ont été reconnus et adulés dans les deux pays.
Des communicateurs de talent tels que feux Elhadj Moctar Diallo et Mada Penda Seck ou encore Elhadj Mansour Mbaye ont fait connaître la réalité de la Sénégambie à travers des œuvres radiophoniques comme « wurrara kathia » (Parlons-en), contribuant à faire chuter le mur de méfiance qui pourrait s’élever entre Sénégalais et Gambiens. Le fait est que, entre les deux pays, les arts ont servi, à côté des sports et des cérémonies familiales, à l’effondrement des barrières frontalières.
Pour les militants de la Sénégambie, l'autarcie est une utopie et la rigidité identitaire un leurre. En effet, les populations, en plusieurs siècles de cohabitation, se sont interpénétrées et ont créé leurs réseaux d'échanges et de partages. En illustration un voyage à Karang (Sénégal) et Amdallahi (Gambie), deux villages frontaliers. Dans la première localité, l’on parle officiellement français, dans la deuxième anglais. Mais des deux côtés, Mandingues, Wolofs, Sérères et Diolas sont les principales composantes de la population. Les uns et les autres, dansant, respectivement le « sawroubaa », le « sabar », le « mbilim » ou le « bougarabou » et commerçant, quotidiennement, dans les langues locales, entretiennent une forte amitié sénégalo-gambienne.
A preuve, l'éducation, eu égard aux jumelages qu'elle favorise, constitue un cadre privilégié d'interpénétration des jeunes. Il en est de même à travers les compétitions sportives, artistiques et culturelles. Des matches de football sont organisés périodiquement entre les jeunes de Karang et d’Amdallahi.
De nombreux joueurs, issus de villages gambiens, ont signé des licences dans les équipes « navétanes » de certaines localités sénégalaises, comme Kaolack. Au plan social, certains rapports sociaux tissés entre les populations depuis la nuit des temps ont jusque là survécu au découpage effectué par le colonisateur. Ces rapports sont renforcés et consolidés par les mariages et autres cérémonies familiales comme les baptêmes, la circoncision et les décès à Karang et Amdallahi. La situation est pareille dans tous les villages frontaliers de la Gambie et du Sénégal : Sinthiou Mbaye Sarr-Somah, Cabadio-Caton…
Aussi, l’étroitesse de ces relations se mesure-t-elle à l’aune de l’intérêt manifesté, pendant les cent premiers jours de son régime, par le président Macky Sall vis-à-vis de son frère et voisin immédiat, Yahya Jammeh. En consacrant sa première sortie officielle à la Gambie, il y était allé pour, d’une part, raffermir nos rapports de bon voisinage avec nos « cousins » anglophones et, d’autre part, saluer le président Yahya Jammeh, l’invitant à adhérer à l’idée que nos deux pays devraient faire face ensemble aux immenses défis qui se posent à eux.
A Banjul, le président Macky Sall avait rappelé l’attachement des Sénégalais à la liberté, à la justice, au pluralisme, aux droits individuels et à la démocratie.
Au rythme des tam-tams de Doudou Ndiaye Rose, dans la mélopée des voix envoûtantes de la troupe « ngoyaan » de Médina Sabakh et sur les notes de la kora de Djaliba Kouyaté, savourons déjà la danse des lutteurs Zoss/Djinne Mori, « Gambien »/Katy 2 et, demain Balla Gaye 2/Eumeu Sène (pourquoi pas ?) à l’Independance stadium de Bakau, comme lors du combat Tyson/Mor Fadam. Ajoutons-y les voix mélodieuses de Moussa Ngom, le « bigarré » de Banjul, et de Coumba Gawlo Seck, la poétesse de Dakar pour continuer à chanter et à danser la joie de vivre en Sénégambie.
Cheikh Aliou AMATH
Me Assane Dioma NDIAYE, président de la ligue sénégalaise des droits de l'homme : « Le Sénégal a tout à gagner dans le bon voisinage et le respect mutuel »
Telle une évocation-miracle, l’histoire ne suffit pas pour écrire les pages d’un présent libéré des blessures de l’impunité. En plus des liens historiques et sociologiques, le droit international est l’élément fédérateur des Etats comme le Sénégal et la Gambie. Le plaidoyer de Me Assane Dioma Ndiaye est une adresse de fermeté : « Il n’y a pas d’alternative au respect des droits humains, des valeurs de démocratie, de l’Etat de droit. La liberté est à l’homme ce que la pesanteur est au corps ».
Les relations entre le Sénégal et la Gambie s’écrivent comme les lignes d’une histoire commune. « Le Sénégal et la Gambie sont condamnés à vivre ensemble. C’est à cause des vicissitudes de l’histoire que les deux pays, en tout cas les deux territoires, ont été séparés par des frontières au moment de la décolonisation. En termes de peuples comme de populations ayant les mêmes caractéristiques et les mêmes croyances, il s’agit d’un accident de l’histoire », dit Assane Dioma Ndiaye, président de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme dans l’entretien qu’il nous a accordé. L’histoire a été un terreau propice à la Confédération. « Cela a été si bien compris que sous les présidents Diawara et Diouf, il y a eu cette volonté de fédérer même si, à l’époque, ils ont fait le choix d’un processus graduel : la confédération. L’idée, à l’époque, était d’arriver à un commandement unique, des institutions uniques pour corriger cet accident de l’histoire ». Dans ces relations aussi, l’histoire ne suffit pas à excuser tous les abus, corrige le militant des droits humains. « La Gambie fait partie de notre histoire et de notre géographie. Nous ne pouvons pas cohabiter avec un voisin qui n’offre aucune garantie de sécurité à nos concitoyens et qui est une menace permanente », tranche-t-il. Il s’explique : « L’enjeu du combat contre l’impunité, au-delà de toutes les considérations historiques, géographiques, économiques et sociales, doit aujourd’hui être partagé par tous les Etats et les citoyens de ce monde. On ne peut pas, au nom d’une nécessaire préservation d’intérêts plutôt particuliers, cautionner un certain nombre de pratiques, d’où qu’elles puissent venir, de la Gambie ou d’un autre pays ».
A l’intérieur de ses frontières, aucun pays n’a la latitude de violer les droits de l’Homme. Les pays adhèrent à des règles et partagent des espaces économiques ou politiques. « Aujourd’hui, il est démontré qu’il n’y a pas d’avenir dans des micro-Etats. Il n’y a plus de frontières. Elles sont artificielles, analyse Assane Dioma Ndiaye. Nous sommes appelés à vivre ensemble, et la sécurité globale de la sous-région dépend de la stabilité qui vaudra dans tout cet espace Cedeao.
SILENCE OU FERMETE ET RECIPROCITE
Il s’y ajoute que nous sommes engagés dans de vastes chantiers économiques, institutionnels et juridiques qui dépassent de loin nos frontières : Ohada, Uemoa et d’autres mécanismes sur lesquels nous ne pouvons plus faire machine arrière. Il faut que M. Jammeh comprenne que nous sommes dans un espace mondialisé. L’ordre ne permet pas un certain nombre de choses, quelle que soit la légitimité dont vous vous prévalez. M. Jammeh doit aujourd’hui comprendre qu’il n’y a pas d’alternative au respect des droits humains, des valeurs de démocratie, de l’Etat de droit et que la liberté est à l’homme ce que la pesanteur est au corps ».
Au-delà du passé, écrire une histoire commune, c’est donc s’accorder sur des règles de coexistence, « Le Sénégal a tout à gagner dans une situation de bon voisinage, de partage de valeurs communes avec la Gambie et dans une perspective de respect mutuel », selon Assane Dioma Ndiaye. Il n’est pas question de fermer les yeux sur ce qui se passe dans la maison d’à côté : « Il serait dommage qu’on permette à Yaya Jammeh, au régime gambien, de torturer dans le silence, de priver son peuple de liberté d’expression, d’association dans le silence. » La peine de mort ne doit pas être un alibi pour asseoir un régime de répression. « Il est inadmissible que la peine de mort soit utilisée comme une arme pour légitimer une épuration politique. Le combat mené contre son projet d’exécutions dépasse de loin le débat sur l’abrogation de la peine de mort, sa pertinence ou non. Ce combat s’inscrit beaucoup plus profondément dans cette négation de l’être humain », analyse Assane Dioma Ndiaye.
Il se félicite de la réaction du président Macky Sall. « Cette réaction peut, dans une certaine mesure, entretenir un équilibre de la terreur, une sorte de guerre froide en ce qu’elle laisse entrevoir une proportionnalité dans la réaction sénégalaise en cas d’agressions futures. Il est apparu que le gouvernement actuel en Gambie ne semble pas avoir compris cette nécessité de préserver un certain nombre de liens sociologiques, historiques et ce destin commun. A partir de ce moment, nous pensons qu’il est nécessaire d’entrevoir une autre forme de réponse à cette problématique que constitue Yaya Jammeh. De plus en plus, les analystes pensent qu’il faut aller à des positions de fermeté et, surtout, exprimant clairement la possibilité, au besoin, d’aller à des situations de représailles non pas en direction du peuple gambien, mais surtout en direction du régime politique gambien pour au moins préserver les intérêts fondamentaux de la nation sénégalaise. Ceux qui préconisent cette solution de fermeté et de réciprocité n’ont pas totalement tort ».
LA LIGNE ROUGE DU PASSIF HUMANITAIRE
Selon le président de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme, « les agressions sont à la fois multiples et multiformes ». « D’un côté, il dit partout que la solution à la crise casamançaise, c’est lui.
Suite à la page IV
PAIX EN CASAMANCE, PONT SUR LE FLEUVE GAMBIE
Les engagements de Yaya Jammeh devant Macky Sall
Recevant, le 16 avril dernier, le président du Sénégal, Macky Sall, qui a effectué sa première visite officielle en Gambie, après son installation, le 03 avril 2012, le président Yaya Jammeh avait pris la décision d’accompagner le processus de paix en Casamance et de faciliter la construction d’un pont sur le fleuve Gambie.
Lors de la campagne électorale pour le second tour de l’élection présidentielle qui a eu lieu le 25 mars dernier, Macky Sall avait annoncé qu’il effectuera sa première visite officielle en Gambie. Installé le 03 avril à la tête du Sénégal, il a joint l’acte à la parole en se rendant à Banjul, le 16 avril 2012. Visiblement revigoré par cette visite, le président gambien, Yaya Jammeh, avait pris plusieurs engagements devant son homologue dont un soutien au processus de paix en Casamance et la construction d’un pont sur le fleuve Gambie qui relie les deux Etats.
« Je vais vous aider et vous allez bientôt voir les résultats », avait lancé M. Jammeh. Le président gambien avait expliqué que la Casamance aurait pu recouvrer la paix depuis longtemps. « On aurait pu dépasser le conflit de la Casamance, si Abdou Diouf était réélu en 2000. Avec le Mfdc, nous avions trouvé un accord. Les membres du mouvement étaient presque d’accord pour transformer leur organisation en parti politique et renoncer à la lutte armée. Le Mfdc avait demandé que le gouverneur de la Casamance soit élu par les populations de la Casamance et que celui-ci soit originaire de la région », avait révélé M. Jammeh.
Il ajoutait que l’Union européenne avait accepté de financer le déminage de la Casamance. Selon lui, un accord a été trouvé et un commissaire européen devait venir en Casamance. Malheureusement, s’était désolé M. Jammeh, « après sa victoire en 2000, le président Abdoulaye Wade a estimé que la Gambie ne devait pas s’immiscer dans les affaires internes du Sénégal ». « Il avait dit que le Sénégal est un grand pays. Il n’a pas besoin que de petits pays comme la Gambie et la Guinée-Bissau s’immiscent dans le conflit casamançais pour trouver une solution », avait confié Yaya Jammeh.
Construction du pont sur le fleuve Gambie
Le chef de l’Etat gambien, qui en voulait visiblement à l’ex-président du Sénégal, avait rappelé que « le président du Sénégal est parti juste après son élection en Guinée-Bissau. Le secrétaire général de l’Onu a exprimé son étonnement en me demandant pourquoi Abdoulaye Wade n’est pas venu en Gambie avant de se rendre en Guinée-Bissau. J’ai répondu qu’il va venir en Gambie. Je lui ai dit que je n’ai aucun problème avec le président Wade ». Yaya Jammeh avait poursuivi : « quand j’ai revu le président Wade, il m’a dit, je voulais vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour la Casamance, mais nous n’avons plus besoin de votre intervention personnelle ». Yaya Jammeh avait révélé avoir conseillé au président de ne pas entreprendre d’autres négociations, parce que des accords ont été déjà signés. « Il faut essayer de chercher les voies et moyens à utiliser pour appliquer les accords », a expliqué M. Jammeh.
Selon M. Jammeh, c’est dans cet environnement que les hostilités ont repris dans le sud du Sénégal. Son pays étant considéré par nombre d’observateurs de la crise en Casamance comme étant une base arrière du Mfdc, le président gambien avait affiché sa ferme volonté d’appuyer le processus de paix pour mettre fin à la violence dans le sud du Sénégal, tout en rejetant les accusations portées sur son pays. « La Gambie ne va pas servir de base arrière à des rebelles qui combattent contre le Sénégal. Le Sénégal ne doit pas à son tour abriter des dissidents gambiens », a-t-il dit. Dans le même sillage, il proposait la création d’une commission restreinte composée de personnalités des deux pays pour prendre langue avec les rebelles.
S’agissant de la circulation des personnes et des biens de part et d’autre de la frontière entre les deux pays, le président Jammeh avait déclaré que le financement du pont sur le fleuve Gambie a été déjà trouvé. Il avait indiqué que la construction de cette infrastructure de désenclavement pourrait bientôt commencer. « Nous devions faire les appels d’offres, il y a trois mois de cela, mais nous n’avons pas pu faire cela à cause des élections », avait-il fait remarquer. La déclaration du président a été suivie d’effets. Le 03 août dernier, les autorités sénégalaises et gambiennes ont réaffirmé leur engagement à construire un pont sur le fleuve Gambie et à réhabiliter le tronçon Keur Ayip-Sénoba-Farafeny-Bounkiling d’ici la fin de l’année 2012.
Le projet est financé par la Banque africaine de développement (Bad) à hauteur de 53,7 milliards de francs. Les travaux devraient commencer d’ici à la fin de l’année. Long de 942 mètres, ce pont va permettre la fluidité de la circulation en terre des populations des deux pays. Un mémorandum d’entente a été signé par Me Alioune Badara Cissé, le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur et le ministre gambien des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et des Gambiens de l’extérieur, Mam Bury Njie.
w Babacar DIONE
Les échanges commerciaux au beau fixe avec Ziguinchor
Les échanges commerciaux entre la Gambie et la région de Ziguinchor n’ont nullement été affectés par les exécutions de condamnés à mort qui avaient lieu dernièrement dans le pays du président Yaya Jammeh.
La révélation a été faite par le Commissaire aux enquêtes économiques et chef du service régional du Commerce de Ziguinchor. Selon M. Serigne Diaw, les circuits d’approvisionnement et de distribution restent toujours viables, entre les opérateurs économiques gambiens et ceux de la région de Ziguinchor. Toutefois, il a indiqué qu’avant l’exécution des peines de mort en Gambie, il y avait un ralentissement des importations de denrées de consommation courante (margarine, mayonnaise, thé vert de Chine, lait en poudre, lait concentré non sucré et sucré, etc.) de la Gambie vers la région de Ziguinchor, à cause du renchérissement des coûts de ces produits en Gambie. Et depuis 8 mois que dure le phénomène, le marché gambien n’est plus attractif pour les importateurs de la région méridionale. A preuve, les importations qu’ils faisaient régulièrement trois fois par semaine sont réduites à une, maintenant. Résultat : Actuellement, ils sont contraints d’explorer d’autres horizons pour avoir des marchandises qu’ils pourraient vendre dans la région et faire des bénéfices raisonnables.
Par ailleurs, M. Serigne Diaw a souligné que le hic, dans les échanges commerciaux entre la région de Ziguinchor et la Gambie, c’est bien le transport des marchandises, notamment au niveau des bacs de Farafégné et de Banjul. Il a estimé que les rotations des 2 bacs sont lentes (il arrive que des chauffeurs y restent 5 jours et parfois même plus). Il a déploré aussi les tracasseries de toutes sortes qui rendent infernales les traversées en ces endroits, parce que dépourvus d’abris adéquats pour se protéger du soleil, de la pluie ou du froid. M. Diaw a souhaité la réalisation de la route « Pata-Vélingara-Koungheul », dans les meilleurs délais. Il a souligné que cela va faciliter les importations, soulager les usagers des bacs de Farafégné et de Banjul des désagréments qu’ils subissent à ces niveaux et favoriser une diminution des prix des denrées de consommation courante à Ziguinchor. « Les populations, en général, et les importateurs en particulier, gagneraient du temps dans leur voyage et le transport de leurs marchandises », a-t-il fait remarquer, appelant de tous ses vœux que soit carrossable la route « Pata-Vélingara-Koungheul ».
Moussa SADIO
YAHYA ABDUL-AZIZ JIMMY JUNKING JAMMEH
De l’uniforme militaire au grand boubou de chef d’Etat
Agé de 47 ans, Yahya Jammeh, à la tête de la Gambie depuis 1994, règne en bâtisseur dans ce petit pays, enclave du Sénégal. Venu au pouvoir par un coup d’Etat, il est devenu, aujourd’hui, un civil. Malgré ses multiples efforts en termes de constructions d’infrastructures, les accusations d’atteintes aux droits de l’homme se multiplient. L’exécution dernièrement de condamnées à mort dont deux Sénégalais est venue noircir la réputation de l’homme de Kanilaï.
Le 22 juillet 1994 est un jour nouveau à Banjul. Habitués à voir la longue silhouette, les lunettes et les costumes traditionnels de Dawda Jawara, les Gambiens se sont réveillés en voyant des officiers en uniforme, au visage jeune, défiler à la télé. Ils avaient fini de se confondre dans l’image de Sir Dawda Jawara, qu’ils voyaient pavaner en ville, jouer au golf dans les circuits de Banjul, sur des affiches…… et même sur les billets de banque. Depuis l’indépendance de ce pays, en 1965, le pays n’avait connu que son premier président, Dawda Jawara, qui était d’abord nommé Premier ministre par les colons britanniques sur le point de quitter. Son régime est stable, mais quelque fois secoué par des putschs ou mutinerie comme celui de Kukoï Samba Sanyang, en 1981. Le grand frère et voisin sénégalais était obligé d’intervenir pour rétablir l’ordre à Banjul. Surfant sur un pays calme, mais gangrené par la corruption, il n’avait pas vu venir le coup d’Etat de juillet 1994. Suite à leur participation à une mission de paix, un groupe de soldats réclame sa prime au gouvernement. La manifestation débouche sur un putsch sans effusion de sang. Un groupe de jeunes officiers prend le pouvoir et dépose l’ancien président. Dans ce groupe, quelqu’un se signale. Beret renversé et grosses lunettes noires, il s’appelle Yahya Abdul-Aziz Jimmy Junking Jammeh. Simple lieutenant à cette époque, il est choisi par ses compagnons d'armes pour diriger leur « comité provisoire militaire ». Taille moyenne, Yahya Jammeh apparaît à la télé avec un discours antioccidental et dénonciateur de la corruption.
Une image de bâtisseur
Le grand frère sénégalais découvre ce jeune officier de 29 ans, avec qui il devra composer comme voisin, ainsi que les pays africains et la communauté internationale. On pense alors juste à des humeurs de soldats venus réclamer leurs primes et, après, ils vont regagner leurs casernes. On prédisait au comité provisoire militaire et à son chef un avenir éphémère à la tête du pays. Mais que non !
C’est le comité provisoire militaire qui n’aura pas un avenir, mais pas son chef, Yahya Jammeh, qui est toujours à la tête de la Gambie. Troquant son uniforme au grand boubou amidonné de chef d’Etat et de parti, il a pris ses aises à Banjul et y règne en vrai chef. Ainsi, suite à plusieurs élections (1996, 2001 et 2006 et 2011), il est élu et réélu président. Il tient un discours teinté d’arrogance et d’audace. Rien à voir avec le timide lieutenant qui s’est présenté aux Gambiens, en juillet 1994.
A la tête de ce petit pays de 11.295 km², Jammeh, redevenu civil, a ses portraits géants placardés sur des affiches aux quatre coins de Banjul, de Serrekunda, Brikama, Bakau. Son image est partout présente, même dans les hameaux les plus reculés. Mais c’est surtout à Kanilaï que l’image de Jammeh est plus présente. Ce coin, situé au cœur de la région ouest (Western Division), est devenu aujourd’hui célèbre. C’est là qu’est né l’actuel président gambien, le 25 mai 1965. Non loin de la frontière avec le Sénégal, ce village est un lieu de résidence de Jammeh qui y a construit une immense demeure. Sa carrière militaire commence d’abord par la police qu’il a rejointe à titre privé, en 1984. Il rejoint ensuite l’armée où il a gravi les échelons. Simple sergent en 1984, il deviendra en 1986 instructeur de formation d'escorte de la Police nationale.
En 1987, il est devint officier cadet de l'armée et étrenne le grade de sous-lieutenant dans la même année. Il sera même chargé de l'escorte présidentielle au niveau de la Garde présidentielle, en 1989. Il fera ainsi partie de ceux qui assurent la sécurité du président Diawara. Ce président qu’il renversa en 1994. Après ce putsch, il est promu capitaine, puis colonel, avant de prendre sa retraite de l'armée en 1996, pour se présenter, la même année, à l’élection présidentielle qu'il avait remportée au premier tour (55,76 % des voix), sous la bannière de son parti, l'Alliance patriotique pour la réorientation et la construction (Aprc). Le pays était donc vite revenu à un régime civil et Yahya Jammeh reste chef, même si certains observateurs avaient, à l'époque, émis des doutes sur la transparence du scrutin.
A son arrivée au pouvoir, il s'est attaqué à la corruption qui gangrenait le pays sous le régime vieillissant de Sir Dawda Jawara.
Il a ensuite mené à bien divers « grands projets », aéroport, université, hôpitaux, écoles, « grande arche » à Banjul, sans l'aide des bailleurs de fonds occidentaux, mais avec celle de pays tels que la Libye, Cuba, l'Iran ou Taïwan. Fort d'un certain prestige, il a le plus souvent fait référence dans ses discours à l'islam, au peuple et à la terre. Il aime à se présenter comme un paysan et passe parfois de longs moments dans son village natal.
Anciennement appelé Bathurst, Banjul était une ville qui gardait, avant l’arrivée de Jammeh au pouvoir, des vieilles bâtisses héritées de la colonisation. Aujourd’hui, cette ville a complètement changé de visage. De nouvelles infrastructures, un nouvel aéroport, un hôpital, des monuments, une université, une station de télé peuplent le décor à Banjul. Incontestablement, Yahya Jammeh a changé le visage de la Gambie. Il y mène une lutte contre la corruption.
Atteinte aux droits
de l’homme
Mais ses grands projets ainsi que son désir de doter la Gambie de nouvelles infrastructures sont ternis par une image de dictateur et aussi d’atteinte aux droits de l’homme. Beaucoup d’organisations dénoncent des manquements, surtout au niveau de la liberté d’expression. Le hic est atteint, en décembre 2004, avec l’assassinat du journaliste Deyda Hydara, très critique à l’égard du régime. Les organisations des droits de l’homme avaient pointé du doigt les agents de sécurité nationale. Ce que Jammeh a toujours nié. En dehors des journalistes, des opposants font l’objet de menaces. Il n’épargne personne, même ses anciens compagnons d’armes avec qui il a pris le pouvoir, en 1994. Beaucoup d’entre eux sont, aujourd’hui, écartés du pouvoir, s’ils ne sont pas accusés de complot ou de coup d’Etat. Des coups d’Etat manqués sont ainsi monnaie courante dans l’imagination de Jammeh. En mars 2006, il affirme qu’il a été victime d’un putsch manqué et accuse « des pays voisins ». Le chef d'état-major de l’époque, le colonel Dure Cham, chef présumé du complot, fuit vers Sénégal voisin, tandis que d'autres conspirateurs présumés ont été arrêtés et ont été traduits en justice pour trahison. En avril 2007, dix anciens officiers accusés d'être impliqués ont été reconnus coupables et condamnés à des peines de prison, et quatre d'entre eux ont été condamnés à la prison à vie. Ces derniers jours, le président gambien a suscité un concert de réprobations avec sa décision d’exécuter les condamnés à morts, lors de son discours à l’occasion de la fin du ramadan. Une menace suivie de son application. Ce qui a amené de vives réactions des autorités sénégalaises, avec, en premier, le président Macky Sall. Aujourd’hui âgé de 47 ans, marié à une Marocaine et puis récemment avec une ghanéenne selon certains sites d’informations, il est à son quatrième mandat présidentiel depuis les élections de 2011, Jammeh règne en maître à Banjul, à Kanilaï et dans tout le reste du pays…
w Oumar NDIAYE
MAITRE ABDOULAYE TINE, AVOCAT AU BARREAU DE PARIS, SPECIALISTE DU DROIT INTERNATIONAL
« Le Sénégal doit saisir la Cour internationale de La Haye ! »
Il est réputé comme l’un des plus brillants de sa génération en matière de droit international. Dr Abdoulaye Tine est titulaire du Certificat du Centre d’études et de recherche de l’Académie de droit international de La Haye. Dans son luxueux cabinet, sis sur les champs Elysée, à Paris, Me Tine nous a reçus pour donner son avis sur ce qu’il qualifie de «tension regrettable» entre le Sénégal et la Gambie.
Maître, quel est votre avis sur les exécutions qu'il y a eu en Gambie, notamment de ressortissants sénégalais condamnés à mort ?
Ce qui s'est passé en Gambie est très regrettable. Il faut rappeler quand même que depuis 1985, la Gambie avait renoncé à la peine capitale, ce qui se traduisait dans les faits par la non exécution des condamnés à mort dans ce pays depuis au moins 27 ans. Et, plus récemment, en 2010, la Gambie avait confirmé le maintien du moratoire sur la peine de mort dans son rapport périodique au Conseil des droits de l'homme de l'Onu, à Genève. Il y avait donc un moratoire qui engageait la Gambie à suspendre toutes les exécutions. En outre, l’Etat gambien avait lui-même ratifié le moratoire des Nations Unies qui invite à l'abolition de droit de la peine de mort sur le plan universel.
C’est dire donc que le traitement qui a été réservé à ces neuf personnes exécutées est sans conteste un acte inhumain, cruel et dégradant, qu’il convient de condamner avec la plus grande fermeté. En effet, la peine de mort est une atteinte grave au droit à la vie, protégé par les pactes des Nations Unies sur les droits civils et politiques de 1966 (article 6) que la Gambie a d'ailleurs ratifiés. Ces droits sont aussi protégés par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (articles 4 et 5) et la Gambie abrite également le siège de la Commission. Fort de tout cela, nous avons quand même cru, jusqu'à la dernière minute, que le président gambien, Yaya Jammeh, allait retrouver ses esprits et revenir à la raison.
Les autorités sénégalaises ont-elles été saisies à temps au sujet de ces exécutions ?
Oh oui ! L'information a été quand même bien relayée par des Ong réputées très sérieuses comme Amnesty international. Il y a même des documents pénitenciers qui circulent avec un nombre avancé qui était de 47 condamnés à mort dont au moins 3 citoyens sénégalais. Les Ong en ont parlé, notamment dans les médias, mais malheureusement, il a fallu commettre l'irréparable pour que le gouvernement sénégalais s'en saisisse.
Le Sénégal a-t-il fauté pour sa lenteur sur ce dossier ?
Oui, on pourrait effectivement reprocher au Sénégal de n'avoir pas été très diligent. Du moment où, quand même, c'était une information grave relayée par des Ong sérieuses, il fallait tout de suite effectuer la vérification habituelle. Le Sénégal à un consulat à Banjul et celui-ci à le devoir de vérifier avec efficacité une information de cette nature. Il fallait donc, en amont, et de façon diligente procéder à des vérifications au lieu d'attendre que l'irréparable soit commis pour réagir. C'est malheureusement le cas actuellement, et c'est assez regrettable de le constater.
A ce stade des choses, qu'est-ce que le Sénégal peut et doit faire pour empêcher l'exécution de ses ressortissants condamnés à mort en Gambie ?
En de pareilles circonstances, le droit international permet à l'Etat du Sénégal de saisir rapidement la Cour internationale de justice de La Haye (l’organe judicaire des Nations Unies) d'une requête pour demander, sur le fondement de l'article 41 du statut de ladite Cour, de prononcer des mesures conservatoires afin de préserver les droits de ses citoyens exposés à la peine de mort. C'est-à-dire que si un ressortissant sénégalais est mal traité dans un autre pays, cela porte préjudice à l'Etat du Sénégal lui-même, d'où la nécessité de prononcer des mesures conservatoires. Cela signifie tout simplement que le Sénégal doit se mettre dans une optique d'efficacité et saisir sans attendre la Cour internationale de justice de La Haye. Celle-ci pourrait ensuite faire le constat que la Gambie a effectivement exécuté des ressortissants sénégalais sans avoir respecté l'obligation d'information posée par les articles 5 et 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires conclue le 24 avril 1963.
La Convention de Vienne fait obligation à la Gambie d'informer d'abord les personnes condamnées et ensuite l'Etat du Sénégal. C'est là, déjà, une première violation. La Gambie a aussi violé les pactes des Nations Unies sur les droits civils et politiques de 1966 et dont elle est pourtant un des signataires. Ces conventions des Nations Unies posent le principe à un procès équitable si celui-ci est susceptible de conduire à une condamnation à mort. Compte tenu du risque encouru, l'Etat gambien avait pour obligation de faire respecter les standards onusiens de droit de la défense qui ont également été violés. La troisième violation faite par la Gambie porte sur les articles 4 et 5 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples qui consacrent le droit à la vie et s'oppose à l'administration du châtiment suprême qu’est la peine de mort. Donc c'est une panoplie de violations.
Pourquoi est-il si important de saisir cette Cour au lieu de jouer la carte de la diplomatie?
C'est important, d'abord parce que le droit international prime sur le droit interne de l'Etat gambien. Il est évident que le principe de la souveraineté de l'Etat fait que chaque Etat a la latitude d’édicter une législation criminelle interne qui lui est propre et d’appliquer en voie de conséquence les châtiments prévus. Sauf que, ce qui limite la liberté d'action d'un Etat, ce sont ses engagements à l'international. Cela veut dire que la Gambie peut appliquer la peine de mort, mais à condition de respecter dans le cadre des procédures pénales qui vont conduire au prononcé de cette peine, les standards rigoureux du droit international qui sont prévus à cet effet. Ce qui n’a pas été le cas avec les 47 personnes condamnées. Maintenant, si la Cour internationale de justice de La Haye se prononce et que la Gambie viole son arrêt, la conséquence sera une sanction du Conseil de sécurité de l’Onu.
Qu'en est-il donc pour les ressortissants déjà exécutés ?
Pour apaiser la douleur et la souffrance des familles, le Sénégal peut aussi exercer sa protection consulaire. C'est-à-dire qu'en saisissant la Cour internationale de justice de La Haye, il donne une dimension internationale à l'affaire. A partir de là maintenant, la Cour peut constater qu'il y a effectivement des manquements et, en conséquence, condamner la Gambie pour ses actes illicites internationaux puis prononcer une indemnisation pour les familles des victimes.
Cette situation ne va-t-elle pas pourrir les relations entre le Sénégal et la Gambie?
C'est justement là l'intérêt de donner un traitement judicaire international à cette affaire. L'exemple du dossier Habré qui oppose le Sénégal et la Belgique est un bel exemple puisque, là aussi, la Cour internationale de justice de La Haye est intervenue pour demander au Sénégal de juger Hissène Habré. Il n'en demeure pas moins que le Sénégal et la Belgique sont restés en de bons termes diplomatiques. C'est ça l'esprit de la paix par le droit. C'est un idéal des Nations Unies qui regroupe tout ses membres autour de certaines valeurs et des idéaux dont le règlement pacifique des différents, quel que soit le degré de désaccords qui peuvent opposer les Etats membres.
Ça permet également de canaliser les tensions consubstantielles aux relations internationales, parce que c'est souvent aussi des jeux d'intérêts. Le Sénégal et la Gambie sont deux peuples frères, liés par l'Histoire et la Géographie et donc, qui ont un intérêt commun à vivre des relations de bon voisinage. La Gambie est un Etat certes souverain, mais capable d'entendre raison.
w Entretien réalisé par notre correspondant à Paris
Ousmane Noël MBAYE
PR. MOUSTAPHA KASSE, ECONOMISTE
« Les systèmes politiques et la Casamance sont
les deux handicaps majeurs pour la coopération »
Faire l’impasse sur une enclave qui pousse dans le ventre du Sénégal ? Plutôt une illusion, parce que la nature oblige le Sénégal et la Gambie à commercer, tant au plan économique que diplomatique. Seules des relations apaisées permettront de surmonter deux handicaps à un cadre de coopération bénéfique : la nature différente des deux systèmes politiques et l’épineuse question de la Casamance, selon le Pr. Moustapha Kassé, économiste, doyen honoraire de la Faculté des sciences économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Dans votre discours, deux mots reviennent très souvent : « l’Afrique » et « les Africains ». Ces deux mots fondent-ils l’idée selon laquelle l’économie, pour vous, c’est d’abord une large ouverture sur le continent ?
« Tout à fait, parce que j’ai beaucoup travaillé sur les questions d’intégration ! Je suis persuadé que l’intégration est la chance de survie de notre continent. J’ai organisé, en 1979, le premier colloque sur l’intégration. Déjà, nous avions pris une conscience du fait que l’Afrique, comme disait Nkrumah, ne peut s’en sortir qu’en retrouvant précisément son unité. J’ai également contribué à la rédaction du Nepad, parce que le président Abdoulaye Wade m’avait demandé de réunir une équipe technique pour, d’abord, mettre en forme le plan Omega, dans un premier temps, et, dans un deuxième temps, créer une symbiose entre le Map, qui a été un programme monté par les présidents Thabo Mbeki, Abdelaziz Bouteflika et, surtout, Obasanjo. Voyez un peu : c’est une conviction très ancienne.
Que devient cette conviction face à la dure réalité des micro-Etats ?
Les micro-Etats restent toujours. Le président Diouf n’est pas resté les bras croisés. Par exemple, avec la Gambie, il a proposé l’une des formules politiques qui, peut-être, aurait pu progresser dans un autre contexte historique : la Sénégambie. Nous étions dans des conditions historiques dramatiques. Il y avait le coup d’Etat contre le président Diawara. L’Armée sénégalaise est intervenue. L’idée était bonne, mais la situation de crise n’a pas permis, en quelque sorte, à cette confédération de survivre à l’après-crise. Il faut dire que le nationalisme était là. Il en a été, d’ailleurs, ainsi pour le Mali. Cela n’a pas été très différent. On a créé la Fédération du Mali et vous savez les conditions dans lesquelles ça a effectivement échoué. Par rapport à notre problème, un Etat comme la Gambie ne peut véritablement prospérer que dans les structures d’intégration assez fortes.
Dites-nous pourquoi !
D’abord, cet Etat est complètement enclavé dans le Sénégal. Deuxièmement, c’est la même population, les mêmes peuples, les mêmes familles, la même classification ethnique, etc. Donc, tout devrait lier ces deux pays sauf, par exemple, les avatars de la colonisation. Il y a donc un ensemble d’institutions d’intégration avec la Gambie, notamment la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) au niveau supérieur et l’Omvg (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal). Cependant, j’ai tout à fait l’impression que, jusqu’a maintenant, on ne trouve pas encore une formule qui puisse effectivement faire en sorte que les pays travaillent ensemble et amorcent, dans le long ou le moins terme, un processus d’intégration. Une formule qui pourrait dépasser, peut-être, l’ancienne confédération et qui pourrait arriver à former l’Etat unitaire ou un Etat fédéral.
Professeur, expliquez-nous ces blocages…
Evidemment, il y a beaucoup de blocages. Au plan économique ? Je ne pense pas ! La Gambie est une enclave de toute façon. Elle n’a de frontières qu’avec la mer et le Sénégal, de tous les côtés. En fait, les échanges ne peuvent en réalité échapper au Sénégal. Deuxièmement, c’est une économie qui n’est pas très forte. Elle ne peut pas fondamentalement perturber l’économie sénégalaise. Troisièmement, de toute manière, nos relations commerciales accusent un excédent au profit, évidemment, du Sénégal. Donc, cela ne constitue pas encore une entrave économique gênante. A un moment donné, certains économistes avaient craint que la Gambie ne constitue une sorte de zone franche. C’était une menace...
La situation a-t-elle évolué ?
La situation a énormément évolué. La contrebande existe sur des produits absolument marginaux comme le sucre et le riz. La plupart de ces produits ne proviennent pas d’une production agricole gambienne, mais, essentiellement, des productions importées puis réexportées. En fait, ce n’est pas tellement gênant, parce qu’aujourd’hui, notre pays importe directement les produits réexportés, à l’époque, de la Gambie vers le Sénégal. Alors, pour peu que l’on module la fiscalité de porte, on arrive à peu près à faire en sorte que ces produits ne soient pas compétitifs sur le marché sénégalais. Sur ce point, ce qu’on craignait ne s’est pas produit. Le Sénégal aurait pu utiliser la Gambie comme une zone franche si nous avions une bonne production industrielle. Nous aurions gagné à faire de la Gambie une zone de réexportation des produits sénégalais vers les pays anglophones comme la Sierra Léone, mais aussi la Guinée-Bissau. Toutes ces opportunités sont donc bloquées par un obstacle majeur qui est le handicap politique. Ce handicap se manifeste à travers la différence fondamentale des régimes. D’un côté, un régime fort et pas démocratique du tout et, de l’autre, un régime démocratique. Donc, ce sont deux systèmes qui ne concordent pas souvent et qui sont à la base, pas d’un affrontement, mais, en tout cas, de contradictions quasi-permanentes. Le deuxième problème politique, c’est la Casamance. Pratiquement, depuis la création du Mfdc (Mouvement des forces démocratiques de Casamance), la Gambie a toujours manifesté une sorte de bonne volonté pour contribuer à trouver la solution. Cette question de la Casamance revêt un double aspect. Il y a d’abord son aspect politique : la rébellion qui dure quand même et qui, en réalité, coupe le Sénégal en deux. Le deuxième aspect, c’est que le rattachement de la Casamance au Sénégal est bloqué par la Gambie. Les autorités gambiennes ont toujours manifesté une mauvaise volonté pour mettre un pont-barrage entre les deux pays.
Depuis Senghor, on en parle. Il avait pensé qu’il fallait régler la question de l’accès. Diouf a essayé. Quand il a vu que la volonté manquait, il a fait la fameuse route de contournement qui passe par Tambacounda, Kolda puis Ziguinchor. Evidemment, cela accroit terriblement les coûts des marchandises importées à leur arrivée en Casamance. Et on a pensé, à l’avènement de Macky Sall, que les choses allaient évoluer dans le bon sens, parce que sa première déclaration a été le règlement de la question de la Casamance. Selon lui, cela devrait passer par la Gambie. Il a réservé sa première visite à la Gambie. Il était très enthousiaste à l’idée d’une normalisation des relations entre les deux pays et, surtout à la perspective de voir la Gambie contribuer à une solution à la crise casamançaise.
Le pari de la diplomatie du bon voisinage a-t-il été tenu par le président Macky Sall à la lumière de cette friction presque matinale avec le régime de Yaya Jammeh?
Les gens dramatisent un tout petit peu en affirmant que Macky Sall n’a pas tenu ses promesses. Chacun est dans son rôle. Le président Macky Sall est dans son rôle de protecteur des Sénégalais à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. C’est le minimum que nous puissions attendre d’un chef d’Etat, d’autant plus que nous avons une diaspora extrêmement importante dans les pays africains. De Banjul jusqu’en Afrique du Sud, il y a des secteurs où, effectivement, des Sénégalais interviennent. Nous ne comprendrons pas que cette partie de notre population ne se sente pas protégée. De l’autre côté, Jammeh se fonde sur un fait : « Nous sommes un Etat souverain. Nous avons nos législations. Nous sommes pour la peine de mort et nous avons exécuté la peine de mort». Tout ça est acceptable. Mais, ce qui ne l’est pas du tout, c’est d’empêcher les citoyens qui ne sont pas pour la peine de mort de protester. Bien sûr, on ne peut pas demander à un pays de ne pas appliquer ses lois. Le seul hic, ce sont les convenances diplomatiques qui n’ont pas été respectées. C'est-à-dire le fait qu’on n’ait pas informé le Sénégal, le fait, également, qu’on ait mis tout le monde devant le fait accompli. Evidemment, il fallait réagir vis-à-vis de cela.
Peut-on envisager l’existence de passerelles adéquates pour lever les équivoques et anticiper sur les crises ?
Il faut des structures de médiation. Cela me semble absolument important. Rappelez-vous, au temps du régime socialiste, la Commission sénégalo-gambienne se réunissait plus fréquemment, à telle enseigne que nous pouvions avoir une structure d’amortissement de la crise. Les ambassadeurs devaient avoir des statuts particuliers, au regard du caractère assez particulier des relations entre ces deux pays. Ce statut devait permettre, en tout cas, de booster la collaboration. Ces Sénégalais ont été condamnés depuis 2007 et 2004 pour certains. Donc, de 2004 à maintenant, je suis persuadé que si ces structures de médiation avaient joué leur rôle, nous n’en serions pas arrivés à cette situation. Il y a donc, quelque part, des interrogations. Pourquoi les défenseurs des droits de l’Homme auraient-ils agi aussi lentement ? On sait bien qu’aux Etats-Unis, il y a effectivement la peine de mort. Il y a des protestations permanentes contre cette peine de mort. Ensuite, ces Ong prennent justement le temps de voir tous ceux qui sont dans le couloir de la mort et de les défendre jusqu’au bout. J’aurais compris que la condamnation fût prononcée et que l’exécution fût faite en même temps. Cela n’a pas été le cas. Il y a quand même eu quatre années entre la condamnation et l’exécution. Je suis d’autant plus peiné que je connais bien la femme de chez moi, à Tambacounda. C’était une femme paisible. C’est assez surprenant qu’elle se soit retrouvée au couloir de la mort.
Ensuite, son oncle, Bator Samb, est un ami de très longue date. Paix à son âme. Il ne faut pas oublier qu’il y a une très forte communauté sénégalaise en Gambie. Ses membres sont dans les affaires, dans les circuits économiques, dans les circuits financiers.
Cela aussi, on l’oublie. C’est le socle du dalasi. Il y a donc une sorte de finance informelle qui s’installe entre les deux pays par Cfa et dalasi interposés.
Maintenant que les exécutions ont eu lieu et que le Sénégal a protesté, que reste-t-il à faire pour rester dans la continuité des relations entre les deux pays ?
Je dis qu’une fois encore, il faut calmer le jeu. Le président Macky Sall a fait ce qu’il devait faire. Les organisations des droits de l’Homme ont fait ce qu’elles devaient faire. Alors, à partir de maintenant, il faut ouvrir une autre page d’apaisement. Il me semble que cela est nécessaire. Cela ne veut pas dire que les régimes seront différents. Nous dénonçons tel et tel aspect de la gestion de Jammeh de son propre pays, nous continuerons de le dénoncer. Les démocrates doivent aider les forces démocratiques pour qu’un modèle de ce type s’impose en Gambie, mais dans le respect de la souveraineté de la Gambie, cet Etat qui est après tout un Etat souverain.
Que peut gagner le Sénégal dans des relations apaisées avec la Gambie ?
A mon avis, il faut apaiser, parce que ce qui nous importe, c’est la résolution de nos deux problèmes. La Casamance est une zone extrêmement importante de notre pays. C’est notre grenier. Si nous avons encore des problèmes de déficit alimentaire important, probablement la Casamance y est pour beaucoup. En 1984, un économiste belge, qui menait un projet de l’Union européenne en Casamance, m’a dit, en rendant son rapport : « C’est extraordinaire ! Vous pouvez tout faire en Casamance. Elle peut être un pôle agricole qui va non seulement nourrir le Sénégal, mais permettra également l’exportation de certains produits». Beaucoup de produits, d’ailleurs, dans une agriculture diversifiée, parce que la Casamance a des sols extrêmement fertiles. Ensuite, c’est une population agricole assez besogneuse. D’autres atouts font que la Casamance a toujours été considérée comme le grenier du Sénégal. C’est pour ces raisons que les Socialistes avaient bien fait de mettre en place la Société de la mise en valeur de la Casamance. Le président Senghor avait conscience que la mise en valeur devrait se faire par une sorte d’agence absolument autonome et qui permette à la Casamance de jouer son rôle. Cette société n’a pas réussi sa mission, parce que la Casamance est coupée en deux par la Gambie et un peu immobilisée par une rébellion qui perdure. Il est évident que si le Sénégal avait appliqué un cordon douanier sur la Gambie, il aurait pu l’asphyxier très facilement. Mais, le Sénégal n’a jamais envisagé d’étouffer la Gambie. Au contraire !
La diplomatie et les défenseurs des droits de l’Homme peuvent-ils émettre sur le même tempo et avec la même liberté de ton sur une question aussi cruciale que le voisinage ?
Je pense que tout le monde doit travailler à l’apaisement et, en même temps, à ce que ces exécutions s’arrêtent et que la Gambie se conforme au droit international. C’est essentiel. Egalement, je crois que l’Etat sénégalais est une chose et les organisations qui défendent les droits de l’Homme en sont une autre. Chacun doit être dans son rôle. Ils ne gèrent pas les mêmes problèmes. L’Etat doit défendre les citoyens, mais, également, préserver les relations diplomatiques et faire en sorte que ça se déroule dans les meilleures conditions. C’est fondamental. Maintenant, je ne condamne pas les organisations de défense des droits de l’Homme. Elles sont dans leur rôle de condamner, de demander la Cpi (Cour pénale internationale), etc. Mais, il ne faut pas qu’il y ait une confusion de genres. Les légitimités ne sont pas les mêmes, les domaines de gestions ne sont les mêmes, les implications ne sont également pas les mêmes. Evidemment, dans la situation actuelle, j’étais très heureux de constater, dans la Déclaration de politique générale du Premier ministre, que la Casamance constitue toujours une préoccupation majeure. Si tel est le cas, il faut donner une chance à la diplomatie de se faire dans le cadre des organisations d’intégration. J’ai lu le discours de Macky Sall à son arrivée d’Afrique du Sud (sur la Gambie et la suppression du Sénat, Ndr). C’était un excellent discours, mais, dans la presse, on a mis l’accent sur la première séquence (de fermeté) et on a oublié l’autre (la poursuite de la coopération). Son discours en wolof était encore plus nuancé et avait une tonalité moins agressive. C’est ce qu’il fallait faire.
Il y a donc de très bonnes raisons de croire en cette coopération?
Le problème n’est pas de croire en cette coopération. C’est la nature qui nous oblige à coopérer. Nous ne pouvons pas déplacer nos frontières. Actuellement, si on disait : «Bon, la Gambie, c’est terminé, etc.», on aurait le monde sur le dos. Nous ne pouvons rien faire que de chercher solution au problème. Je ne suis pas sûr que même Jammeh parti, un autre Gambien ne viendrait pas défendre les intérêts nationaux et, peut-être, avec moins de maladresses. Que l’on ne se fasse même pas d’illusions ! Moi, j’ai enseigné en Gambie. Je suis intervenu plusieurs fois en Gambie dans le domaine universitaire, mais je connais les réflexes. Il y a longtemps, j’ai tenu une conférence et, par maladresse, j’ai dit que la Gambie était absolument invisible dans l’échiquier mondial. On a crié à l’impérialisme sénégalais. Cela a été la réaction de tous les auditeurs. Ils avaient une lecture partielle de ma pensée. Quand on dit que la Gambie fait 0,0000 % de l’économie mondiale, un mathématicien dira que tout cela est égal à 0, donc la Gambie n’est pas visible. Le Sénégal est aussi invisible que la Gambie, ainsi que la Côte D’ivoire et plusieurs pays d’Afrique. Cela veut dire que nous sommes condamnés à aller dans l’intégration, parce que nous ne sommes pas visibles dans ce monde multipolaire de grande dimension.
w Propos recueillis par Habib Demba FALL
Espace SénéGambien : Le commun diviseur colonial
Un peuple, une histoire, une même géographie et une même culture. Entre le Sénégal et la Gambie, la parenté est évidente. Les divergences coloniales en ont fait deux Etats distincts. La Gambie, plantée telle une banane dans la gueule du Sénégal, est une grosse déchirure historique pour son voisin. Une Sénégambie unifiée et indivisible constitue pourtant, depuis le XVll ème siècle, une vieille idée longtemps caressée par les Anglais, puis par les Français pour remédier aux aberrations de leurs rivalités coloniales dans la partie ouest du continent africain. L'histoire en a décidé autrement.
« Nun nyep ben lanu (Nous constituons un même peuple), ce sont les colonisateurs qui nous ont divisés ». La même phrase, répétée à l’envie par des générations de Sénégalais et de Gambiens, est une vérité historique. A l'exception des Aku, une ethnie descendant des esclaves libérés par les Britanniques, venus du Nigéria et de la Sierra Léone, les mêmes ethnies se retrouvent de part et d'autre des frontières sénégalaise et gambienne. Aussi distingue-t-on six grandes ethnies réparties entre les Wolofs, les Sérères, les Toucouleurs, les Peuls, le groupe casamançais et les Mandingues. Les différents peuples et royaumes sénégambiens vivaient tous dans un même ensemble géographique et historique, celui de l'Empire du Mali. Un Empire qui, dit-on, s'étendait de l'Afrique occidentale jusqu'au Monomotapa, sous le règne de Kankan Moussa (1312-1332) et dont les princes s'étaient convertis officiellement à l'islam sans pour autant abandonner les pratiques animistes.
D’après Thierno Soulèye Mbodj, « Le Sénégal et la Gambie faisaient parties intégrantes de cet empire dont ils étaient les vassaux jusqu'à son éclatement, au XVIIème siècle ». Les migrations, les guerres, les mariages et l'histoire commune ont fini par créer un fond commun culturel et sociologique propre à l'espace sénégambien. Le fait colonial viendra briser cet équilibre en y faisant son entrée expansionniste au XIVème siècle.
Entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, les commerçants européens (Portugais, Hollandais, Français et Anglais) vont chercher à se grouper et à obtenir des monopoles pour lutter contre leurs concurrents. « Ce fut véritablement une période mouvementée, marquée de conquêtes et de reconquêtes, d'accords de cession de territoire, de comptoirs, entre européens, d'une part, et entre Européens et populations indigènes, d'autre part, jusqu'au traité de Versailles de 1783 ou les possessions se fixèrent définitivement. La France occupe le Sénégal, et l'Angleterre la Gambie dont le fleuve demeure incontestablement une ligne de démarcation franco-anglaise ».
Chacune des deux puissances protégeaient ses intérêts localisés à des endroits précisés, mais dispersés tout le long de la côte ouest africaine. C’est alors que l’idée d’un troc de territoires prit forme dans l’esprit des colonisateurs : la Gambie britannique contre Grand Bassam ou l’Assinie (dans l’actuelle Côte d’Ivoire), les Nouvelles Hébrides (Vanuatu), le Gabon, la Somalie française… sous contrôle français. Un tel troc devait « rationnaliser la carte coloniale ». Les frontières sénégambiennes seront donc tracées en 1889, légèrement retouchées en 1904 à Paris, à l’aide de la règle, du crayon et du hasard. La Grande-Bretagne n’avait qu’une préoccupation : la reconnaissance de ses droits sur le fleuve Gambie. « Les longues et difficiles négociations franco-anglaises se sont déroulées sans succès tout le long de la période de l'occupation coloniale pour réunir la Sénégambie sous une même administration soit anglaise, soit française pour aboutir finalement à la séparation d'un même peuple modifié au nord par les apports culturels français et au sud par les traditions anglo-saxonnes », écrit Thierno Soulèye Mbodj.
Après la proclamation de la République sénégalaise, le 20 novembre 1958, qui deviendra indépendante après le court épisode de la Fédération du Mali, l’autonomie fut accordée à la Gambie par la Grande-Bretagne, le 4 octobre 1963. Le 18 février 1965, l'indépendance fut proclamée et la Gambie resta dans le Commonwealth avec une monarchie constitutionnelle. En 1970, la République fut proclamée et Dawda Jawara devint Président de la République.
w Sidy DIOP
L’analyse du Pr. Amsatou Sow SIDIBE, ministre conseiller : « Pourquoi aucun des deux pays n’a intérêt à entrer en conflit ouvert avec l’autre… »
« La déstabilisation de l’un des deux pays entraîne celle de l’autre », estime le Pr. Amsatou Sow Sidibé, ministre conseiller auprès du président de la République, Macky Sall. Reste donc à définir un cadre de coopération durable. En plus des éléments fédérateurs que sont la culture, l’histoire et la géographie, elle rappelle, dans le contexte de l’Etat de droit, que le respect des droits humains est un principe incontournable.
LA PLACE DES DROITS DE L’HOMME - « En matière de droits humains, les peuples gambien et sénégalais ont exactement les mêmes droits. Ces droits sont protégés par le droit international, à travers les conventions internationales et régionales africaines. Ces conventions interdisent la violation de la dignité humaine, l'atteinte à la vie, l'intégrité physique, le droit à la défense, donc le droit d'être assisté par un avocat, et dans des délais raisonnables. Le respect de ces droits crée un climat de sécurisation, de confiance, d'aisance favorable à une coopération entre les Etats.
Le respect des droits humains est incontournable pour la bonne gouvernance. Au plan international, le respect des droits de l'homme épargne un pays d'être inscrit sur la liste des Etats hors la loi. Aujourd’hui, la communauté internationale est regardante vis-à-vis du sort que les Etats réservent aux droits humains. Des juridictions internationales telles que la Cpi et la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples jouent un rôle essentiel de dissuasion.
Tout ceci laisse croire que l'incident, somme toute grave, survenu dans les relations entre la Gambie et le Sénégal, suite à l'exécution sommaire de deux Sénégalais, ne sera plus qu’un mauvais souvenir. »
LA CULTURE COMME FEDERATEUR - « Les populations des deux pays ont pratiquement la même culture. Les origines ethniques des deux peuples sont les mêmes. Leurs noms patronymiques (Ndiaye, Diop, Sarr, Diamé, Diba, Diallo, etc.) sont les mêmes. C'est le même peuple qui a été réparti dans des aires géographiques suivant des frontières artificielles.
Mais les deux peuples connaissent la parenté à plaisanterie et les mêmes formes traditionnelles du mariage. Cette culture presque identique peut aider la Gambie et le Sénégal à faire de la volonté de vivre ensemble une réalité. »
RIVALITE OU COMPLEMENTARITE - « Il n’y a pas de place pour la rivalité entre la Gambie et le Sénégal. Ce sont deux Etats qui ont des intérêts stratégiques et géopolitiques communs. La Gambie et le Sénégal sont des peuples liés par l’histoire et la géographie. Leur destin est lié. La Gambie est dans les entrailles du Sénégal. La déstabilisation de l’un des deux pays entraîne fatalement la déstabilisation de l’autre. Aucun des deux pays n’a intérêt à entrer en conflit ouvert avec l’autre. »
RECADRER LA COOPERATION - « Une bonne coopération repose sur le respect de principes. Les conventions liant les deux Etats doivent être respectées. »
LE RAYONNEMENT INTERNATIONAL - « Le droit international et, spécialement, le protocole additionnel de la Cedeao sur la démocratie et la bonne gouvernance, rappellent un certain nombre de principes que les Etats sont invités à respecter : l’Etat de droit implique non seulement une bonne législation conforme aux prescriptions des droits de la personne humaine, mais également une bonne justice ; il est demandé aux Etats membres et au secrétariat exécutif de mettre tout en œuvre pour la mise en place, aux plans national et régional, des modalités pratiques permettant l’effectivité de l’Etat de droit, des droits de la personne, de la bonne justice... »
LA PAIX SOCIALE - « La paix sociale doit être une quête permanente de nos Etats. Elle suppose une attitude responsable de nos dirigeants. Si un Etat fait fi des règles de protection des droits de l’homme et donc des règles de prévention des conflits, le recours aux instances juridictionnelles internationales ou régionales devient inévitable. Le Sénégal pourrait, d’ailleurs, saisir la Cour africaine des droits de l’homme ; ce qui pourrait avoir un effet suspensif des exécutions et sur l’indemnisation des familles des personnes déjà exécutées. »
w Recueillis par Habib Demba FALL
Ambassadeur Ibra Déguene KA, ancien représentant du Sénégal auprès des nations unies : « La sérénité, la confiance et le dialogue doivent être privilégiés »
Le dialogue. C’est la solution préconisée par l’ambassadeur Ibra Déguène Kâ, ancien représentant du Sénégal auprès des Nations Unies, afin de préserver des relations bâties sur le socle de l’histoire, la géographie, la culture, etc.
FONDEMENTS DE LA COOPERATION - « Les relations entre le Sénégal et la Gambie s’appuient sur une réalité géographique, sociologique et culturelle, et cette réalité fait de la Gambie un pays proche sentimentalement du Sénégal, par son histoire et ses aspirations. Cette réalité se trouve aussi moulée dans un cadre juridique d’au moins 25 accords bilatéraux négociés, depuis 1965, à l’indépendance de la Gambie.
Quoi donc de plus naturel pour ces deux pays d’entretenir des relations normales dans le cadre d’une coopération souveraine et égalitaire ?
Quoi de plus rassurant pour la Gambie de constater que, depuis son indépendance et malgré les vicissitudes de l’histoire, le Sénégal n’a jamais manifesté des velléités de domination ni sur l’Etat de Gambie, ni sur son peuple ? »
DES CRISES A SURMONTER - « Au demeurant, la dissection des rapports entre les deux pays nous fait découvrir, qu’à plusieurs occasions, il y a eu des crises plus ou moins graves. Et la plupart de ces incidents venaient du coté gambien : (augmentation, sans consultation du Sénégal, des tarifs des bacs de Farafeni et de Bara, sans mentionner les tracasseries au niveau des ruptures de charges, arraisonnements intempestifs de bateaux sénégalais de pêche ; taxes élevées des permis de résidence des Sénégalais en Gambie ; agression économique sous forme de contrebande aux frontières du Sénégal et des centaines de rebelles du Mfdc tapis à Serrekunda, Latrikounda, Dippakounda, Brikama et dans le Fogni).
Pour éviter que ces situations ne ternissent les relations entre le deux pays, le Sénégal a toujours fait preuve de retenue et de concession, en privilégiant la concertation et le dialogue avec ce pays frère. »
SERENITE ET CONFIANCE - « Il est donc important, aujourd’hui, après ce qui vient de se passer, que la sérénité, la confiance réciproque, la concertation et le dialogue soient toujours les moyens privilégiés de règlements de crises passagères entre le Sénégal et la Gambie.
Le destin commun de ces deux peuples doit, à mes yeux, les pousser à conjuguer leurs efforts pour, ensemble, relever les enjeux de stabilité politique, les défis de développement économique et les menaces sécuritaires dans la sous-région. Pour réaliser ces objectifs vitaux, le Sénégal et la Gambie doivent prendre des mesures urgentes pour relancer la coopération fraternelle entre leurs deux pays. »
AU-DELA DES FRONTIERES - Quel bel exemple que la Gambie et le Sénégal ont donné à l’Afrique et au monde quand ils ont signé, en juin 1975 et juin 1976, deux Traités délimitant des portions de leurs frontières terrestres et maritimes que les anciens colonisateurs n’avaient pas matérialisées.
Quelle grande vision économique, pour les deux pays, d’aménager le bassin du fleuve Gambie, d’y construire des barrages hydroélectriques avec connections futures des réseaux électriques des deux pays et de ceux de la sous-région.
Quelle urgence à construire le pont sur la Gambie dans cette espace géostratégique du Sud du Sénégal. Quelle grande résolution, enfin, prise récemment par les présidents Jammeh et Sall de se concerter pour le règlement de la crise casamançaise, dans l’intérêt bien compris de la stabilité politique et de la sécurité dans la sous région. »
ACTIONS A MENER - « Dans cette œuvre exaltante, les autorités ne devront pas oublier d’impliquer les peuples, les communicateurs traditionnels et les hommes d’affaires qui, à travers des sociétés commerciales mixtes, créent des intérêts irréversibles en Gambie et au Sénégal.
Il faudrait aussi impliquer, comme le font les pays de grande tradition diplomatique, les ambassadeurs qui ont servi en Gambie et au Sénégal et bien choisir enfin les ambassadeurs qui doivent représenter ces deux pays dans le cadre de leurs relations sensibles. Pour que la crise récente soit derrière nous, des démarches discrètes, par des envoyés spéciaux devraient être menées en vue de permettre aux deux présidents de se rencontrer. »
Recueillis par Habib Demba FALL
Les arts, les sports et la communication au service de relations exceptionnelles
Des Sénégalais condamnés à mort et exécutés en Gambie. Au pays de la « Téranga », c’est une surprise pour les uns, un coup de canif à des liens de parenté établis depuis l’aube des temps pour les autres. Si la grande majorité des Sénégalais a exprimé ses regrets, c’est parce qu’elle a toujours cru que, malgré l’existence des deux Etats (Sénégal et Gambie), le peuple sénégambien est un et indivisible. Surtout avec l’engagement notoire du monde des arts, des sports et de la communication sociale.
Le « mbalax », dans ses divers styles, des musiciens comme Thione Seck, Moussa Ngom, Youssou Ndour, Djaliba Kouyaté, Coumba Gawlo et Pape Touré, les lutteurs Mohamed Ndao Tyson, « Gambien », Mor Fadam, Balla Gaye 2 et Zoss, et tant d’autres musiciens et sportifs ont été reconnus et adulés dans les deux pays.
Des communicateurs de talent tels que feux Elhadj Moctar Diallo et Mada Penda Seck ou encore Elhadj Mansour Mbaye ont fait connaître la réalité de la Sénégambie à travers des œuvres radiophoniques comme « wurrara kathia » (Parlons-en), contribuant à faire chuter le mur de méfiance qui pourrait s’élever entre Sénégalais et Gambiens. Le fait est que, entre les deux pays, les arts ont servi, à côté des sports et des cérémonies familiales, à l’effondrement des barrières frontalières.
Pour les militants de la Sénégambie, l'autarcie est une utopie et la rigidité identitaire un leurre. En effet, les populations, en plusieurs siècles de cohabitation, se sont interpénétrées et ont créé leurs réseaux d'échanges et de partages. En illustration un voyage à Karang (Sénégal) et Amdallahi (Gambie), deux villages frontaliers. Dans la première localité, l’on parle officiellement français, dans la deuxième anglais. Mais des deux côtés, Mandingues, Wolofs, Sérères et Diolas sont les principales composantes de la population. Les uns et les autres, dansant, respectivement le « sawroubaa », le « sabar », le « mbilim » ou le « bougarabou » et commerçant, quotidiennement, dans les langues locales, entretiennent une forte amitié sénégalo-gambienne.
A preuve, l'éducation, eu égard aux jumelages qu'elle favorise, constitue un cadre privilégié d'interpénétration des jeunes. Il en est de même à travers les compétitions sportives, artistiques et culturelles. Des matches de football sont organisés périodiquement entre les jeunes de Karang et d’Amdallahi.
De nombreux joueurs, issus de villages gambiens, ont signé des licences dans les équipes « navétanes » de certaines localités sénégalaises, comme Kaolack. Au plan social, certains rapports sociaux tissés entre les populations depuis la nuit des temps ont jusque là survécu au découpage effectué par le colonisateur. Ces rapports sont renforcés et consolidés par les mariages et autres cérémonies familiales comme les baptêmes, la circoncision et les décès à Karang et Amdallahi. La situation est pareille dans tous les villages frontaliers de la Gambie et du Sénégal : Sinthiou Mbaye Sarr-Somah, Cabadio-Caton…
Aussi, l’étroitesse de ces relations se mesure-t-elle à l’aune de l’intérêt manifesté, pendant les cent premiers jours de son régime, par le président Macky Sall vis-à-vis de son frère et voisin immédiat, Yahya Jammeh. En consacrant sa première sortie officielle à la Gambie, il y était allé pour, d’une part, raffermir nos rapports de bon voisinage avec nos « cousins » anglophones et, d’autre part, saluer le président Yahya Jammeh, l’invitant à adhérer à l’idée que nos deux pays devraient faire face ensemble aux immenses défis qui se posent à eux.
A Banjul, le président Macky Sall avait rappelé l’attachement des Sénégalais à la liberté, à la justice, au pluralisme, aux droits individuels et à la démocratie.
Au rythme des tam-tams de Doudou Ndiaye Rose, dans la mélopée des voix envoûtantes de la troupe « ngoyaan » de Médina Sabakh et sur les notes de la kora de Djaliba Kouyaté, savourons déjà la danse des lutteurs Zoss/Djinne Mori, « Gambien »/Katy 2 et, demain Balla Gaye 2/Eumeu Sène (pourquoi pas ?) à l’Independance stadium de Bakau, comme lors du combat Tyson/Mor Fadam. Ajoutons-y les voix mélodieuses de Moussa Ngom, le « bigarré » de Banjul, et de Coumba Gawlo Seck, la poétesse de Dakar pour continuer à chanter et à danser la joie de vivre en Sénégambie.
Cheikh Aliou AMATH
Me Assane Dioma NDIAYE, président de la ligue sénégalaise des droits de l'homme : « Le Sénégal a tout à gagner dans le bon voisinage et le respect mutuel »
Telle une évocation-miracle, l’histoire ne suffit pas pour écrire les pages d’un présent libéré des blessures de l’impunité. En plus des liens historiques et sociologiques, le droit international est l’élément fédérateur des Etats comme le Sénégal et la Gambie. Le plaidoyer de Me Assane Dioma Ndiaye est une adresse de fermeté : « Il n’y a pas d’alternative au respect des droits humains, des valeurs de démocratie, de l’Etat de droit. La liberté est à l’homme ce que la pesanteur est au corps ».
Les relations entre le Sénégal et la Gambie s’écrivent comme les lignes d’une histoire commune. « Le Sénégal et la Gambie sont condamnés à vivre ensemble. C’est à cause des vicissitudes de l’histoire que les deux pays, en tout cas les deux territoires, ont été séparés par des frontières au moment de la décolonisation. En termes de peuples comme de populations ayant les mêmes caractéristiques et les mêmes croyances, il s’agit d’un accident de l’histoire », dit Assane Dioma Ndiaye, président de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme dans l’entretien qu’il nous a accordé. L’histoire a été un terreau propice à la Confédération. « Cela a été si bien compris que sous les présidents Diawara et Diouf, il y a eu cette volonté de fédérer même si, à l’époque, ils ont fait le choix d’un processus graduel : la confédération. L’idée, à l’époque, était d’arriver à un commandement unique, des institutions uniques pour corriger cet accident de l’histoire ». Dans ces relations aussi, l’histoire ne suffit pas à excuser tous les abus, corrige le militant des droits humains. « La Gambie fait partie de notre histoire et de notre géographie. Nous ne pouvons pas cohabiter avec un voisin qui n’offre aucune garantie de sécurité à nos concitoyens et qui est une menace permanente », tranche-t-il. Il s’explique : « L’enjeu du combat contre l’impunité, au-delà de toutes les considérations historiques, géographiques, économiques et sociales, doit aujourd’hui être partagé par tous les Etats et les citoyens de ce monde. On ne peut pas, au nom d’une nécessaire préservation d’intérêts plutôt particuliers, cautionner un certain nombre de pratiques, d’où qu’elles puissent venir, de la Gambie ou d’un autre pays ».
A l’intérieur de ses frontières, aucun pays n’a la latitude de violer les droits de l’Homme. Les pays adhèrent à des règles et partagent des espaces économiques ou politiques. « Aujourd’hui, il est démontré qu’il n’y a pas d’avenir dans des micro-Etats. Il n’y a plus de frontières. Elles sont artificielles, analyse Assane Dioma Ndiaye. Nous sommes appelés à vivre ensemble, et la sécurité globale de la sous-région dépend de la stabilité qui vaudra dans tout cet espace Cedeao.
SILENCE OU FERMETE ET RECIPROCITE
Il s’y ajoute que nous sommes engagés dans de vastes chantiers économiques, institutionnels et juridiques qui dépassent de loin nos frontières : Ohada, Uemoa et d’autres mécanismes sur lesquels nous ne pouvons plus faire machine arrière. Il faut que M. Jammeh comprenne que nous sommes dans un espace mondialisé. L’ordre ne permet pas un certain nombre de choses, quelle que soit la légitimité dont vous vous prévalez. M. Jammeh doit aujourd’hui comprendre qu’il n’y a pas d’alternative au respect des droits humains, des valeurs de démocratie, de l’Etat de droit et que la liberté est à l’homme ce que la pesanteur est au corps ».
Au-delà du passé, écrire une histoire commune, c’est donc s’accorder sur des règles de coexistence, « Le Sénégal a tout à gagner dans une situation de bon voisinage, de partage de valeurs communes avec la Gambie et dans une perspective de respect mutuel », selon Assane Dioma Ndiaye. Il n’est pas question de fermer les yeux sur ce qui se passe dans la maison d’à côté : « Il serait dommage qu’on permette à Yaya Jammeh, au régime gambien, de torturer dans le silence, de priver son peuple de liberté d’expression, d’association dans le silence. » La peine de mort ne doit pas être un alibi pour asseoir un régime de répression. « Il est inadmissible que la peine de mort soit utilisée comme une arme pour légitimer une épuration politique. Le combat mené contre son projet d’exécutions dépasse de loin le débat sur l’abrogation de la peine de mort, sa pertinence ou non. Ce combat s’inscrit beaucoup plus profondément dans cette négation de l’être humain », analyse Assane Dioma Ndiaye.
Il se félicite de la réaction du président Macky Sall. « Cette réaction peut, dans une certaine mesure, entretenir un équilibre de la terreur, une sorte de guerre froide en ce qu’elle laisse entrevoir une proportionnalité dans la réaction sénégalaise en cas d’agressions futures. Il est apparu que le gouvernement actuel en Gambie ne semble pas avoir compris cette nécessité de préserver un certain nombre de liens sociologiques, historiques et ce destin commun. A partir de ce moment, nous pensons qu’il est nécessaire d’entrevoir une autre forme de réponse à cette problématique que constitue Yaya Jammeh. De plus en plus, les analystes pensent qu’il faut aller à des positions de fermeté et, surtout, exprimant clairement la possibilité, au besoin, d’aller à des situations de représailles non pas en direction du peuple gambien, mais surtout en direction du régime politique gambien pour au moins préserver les intérêts fondamentaux de la nation sénégalaise. Ceux qui préconisent cette solution de fermeté et de réciprocité n’ont pas totalement tort ».
LA LIGNE ROUGE DU PASSIF HUMANITAIRE
Selon le président de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme, « les agressions sont à la fois multiples et multiformes ». « D’un côté, il dit partout que la solution à la crise casamançaise, c’est lui.
Suite à la page IV
PAIX EN CASAMANCE, PONT SUR LE FLEUVE GAMBIE
Les engagements de Yaya Jammeh devant Macky Sall
Recevant, le 16 avril dernier, le président du Sénégal, Macky Sall, qui a effectué sa première visite officielle en Gambie, après son installation, le 03 avril 2012, le président Yaya Jammeh avait pris la décision d’accompagner le processus de paix en Casamance et de faciliter la construction d’un pont sur le fleuve Gambie.
Lors de la campagne électorale pour le second tour de l’élection présidentielle qui a eu lieu le 25 mars dernier, Macky Sall avait annoncé qu’il effectuera sa première visite officielle en Gambie. Installé le 03 avril à la tête du Sénégal, il a joint l’acte à la parole en se rendant à Banjul, le 16 avril 2012. Visiblement revigoré par cette visite, le président gambien, Yaya Jammeh, avait pris plusieurs engagements devant son homologue dont un soutien au processus de paix en Casamance et la construction d’un pont sur le fleuve Gambie qui relie les deux Etats.
« Je vais vous aider et vous allez bientôt voir les résultats », avait lancé M. Jammeh. Le président gambien avait expliqué que la Casamance aurait pu recouvrer la paix depuis longtemps. « On aurait pu dépasser le conflit de la Casamance, si Abdou Diouf était réélu en 2000. Avec le Mfdc, nous avions trouvé un accord. Les membres du mouvement étaient presque d’accord pour transformer leur organisation en parti politique et renoncer à la lutte armée. Le Mfdc avait demandé que le gouverneur de la Casamance soit élu par les populations de la Casamance et que celui-ci soit originaire de la région », avait révélé M. Jammeh.
Il ajoutait que l’Union européenne avait accepté de financer le déminage de la Casamance. Selon lui, un accord a été trouvé et un commissaire européen devait venir en Casamance. Malheureusement, s’était désolé M. Jammeh, « après sa victoire en 2000, le président Abdoulaye Wade a estimé que la Gambie ne devait pas s’immiscer dans les affaires internes du Sénégal ». « Il avait dit que le Sénégal est un grand pays. Il n’a pas besoin que de petits pays comme la Gambie et la Guinée-Bissau s’immiscent dans le conflit casamançais pour trouver une solution », avait confié Yaya Jammeh.
Construction du pont sur le fleuve Gambie
Le chef de l’Etat gambien, qui en voulait visiblement à l’ex-président du Sénégal, avait rappelé que « le président du Sénégal est parti juste après son élection en Guinée-Bissau. Le secrétaire général de l’Onu a exprimé son étonnement en me demandant pourquoi Abdoulaye Wade n’est pas venu en Gambie avant de se rendre en Guinée-Bissau. J’ai répondu qu’il va venir en Gambie. Je lui ai dit que je n’ai aucun problème avec le président Wade ». Yaya Jammeh avait poursuivi : « quand j’ai revu le président Wade, il m’a dit, je voulais vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour la Casamance, mais nous n’avons plus besoin de votre intervention personnelle ». Yaya Jammeh avait révélé avoir conseillé au président de ne pas entreprendre d’autres négociations, parce que des accords ont été déjà signés. « Il faut essayer de chercher les voies et moyens à utiliser pour appliquer les accords », a expliqué M. Jammeh.
Selon M. Jammeh, c’est dans cet environnement que les hostilités ont repris dans le sud du Sénégal. Son pays étant considéré par nombre d’observateurs de la crise en Casamance comme étant une base arrière du Mfdc, le président gambien avait affiché sa ferme volonté d’appuyer le processus de paix pour mettre fin à la violence dans le sud du Sénégal, tout en rejetant les accusations portées sur son pays. « La Gambie ne va pas servir de base arrière à des rebelles qui combattent contre le Sénégal. Le Sénégal ne doit pas à son tour abriter des dissidents gambiens », a-t-il dit. Dans le même sillage, il proposait la création d’une commission restreinte composée de personnalités des deux pays pour prendre langue avec les rebelles.
S’agissant de la circulation des personnes et des biens de part et d’autre de la frontière entre les deux pays, le président Jammeh avait déclaré que le financement du pont sur le fleuve Gambie a été déjà trouvé. Il avait indiqué que la construction de cette infrastructure de désenclavement pourrait bientôt commencer. « Nous devions faire les appels d’offres, il y a trois mois de cela, mais nous n’avons pas pu faire cela à cause des élections », avait-il fait remarquer. La déclaration du président a été suivie d’effets. Le 03 août dernier, les autorités sénégalaises et gambiennes ont réaffirmé leur engagement à construire un pont sur le fleuve Gambie et à réhabiliter le tronçon Keur Ayip-Sénoba-Farafeny-Bounkiling d’ici la fin de l’année 2012.
Le projet est financé par la Banque africaine de développement (Bad) à hauteur de 53,7 milliards de francs. Les travaux devraient commencer d’ici à la fin de l’année. Long de 942 mètres, ce pont va permettre la fluidité de la circulation en terre des populations des deux pays. Un mémorandum d’entente a été signé par Me Alioune Badara Cissé, le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur et le ministre gambien des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et des Gambiens de l’extérieur, Mam Bury Njie.
w Babacar DIONE
Les échanges commerciaux au beau fixe avec Ziguinchor
Les échanges commerciaux entre la Gambie et la région de Ziguinchor n’ont nullement été affectés par les exécutions de condamnés à mort qui avaient lieu dernièrement dans le pays du président Yaya Jammeh.
La révélation a été faite par le Commissaire aux enquêtes économiques et chef du service régional du Commerce de Ziguinchor. Selon M. Serigne Diaw, les circuits d’approvisionnement et de distribution restent toujours viables, entre les opérateurs économiques gambiens et ceux de la région de Ziguinchor. Toutefois, il a indiqué qu’avant l’exécution des peines de mort en Gambie, il y avait un ralentissement des importations de denrées de consommation courante (margarine, mayonnaise, thé vert de Chine, lait en poudre, lait concentré non sucré et sucré, etc.) de la Gambie vers la région de Ziguinchor, à cause du renchérissement des coûts de ces produits en Gambie. Et depuis 8 mois que dure le phénomène, le marché gambien n’est plus attractif pour les importateurs de la région méridionale. A preuve, les importations qu’ils faisaient régulièrement trois fois par semaine sont réduites à une, maintenant. Résultat : Actuellement, ils sont contraints d’explorer d’autres horizons pour avoir des marchandises qu’ils pourraient vendre dans la région et faire des bénéfices raisonnables.
Par ailleurs, M. Serigne Diaw a souligné que le hic, dans les échanges commerciaux entre la région de Ziguinchor et la Gambie, c’est bien le transport des marchandises, notamment au niveau des bacs de Farafégné et de Banjul. Il a estimé que les rotations des 2 bacs sont lentes (il arrive que des chauffeurs y restent 5 jours et parfois même plus). Il a déploré aussi les tracasseries de toutes sortes qui rendent infernales les traversées en ces endroits, parce que dépourvus d’abris adéquats pour se protéger du soleil, de la pluie ou du froid. M. Diaw a souhaité la réalisation de la route « Pata-Vélingara-Koungheul », dans les meilleurs délais. Il a souligné que cela va faciliter les importations, soulager les usagers des bacs de Farafégné et de Banjul des désagréments qu’ils subissent à ces niveaux et favoriser une diminution des prix des denrées de consommation courante à Ziguinchor. « Les populations, en général, et les importateurs en particulier, gagneraient du temps dans leur voyage et le transport de leurs marchandises », a-t-il fait remarquer, appelant de tous ses vœux que soit carrossable la route « Pata-Vélingara-Koungheul ».
Moussa SADIO
YAHYA ABDUL-AZIZ JIMMY JUNKING JAMMEH
De l’uniforme militaire au grand boubou de chef d’Etat
Agé de 47 ans, Yahya Jammeh, à la tête de la Gambie depuis 1994, règne en bâtisseur dans ce petit pays, enclave du Sénégal. Venu au pouvoir par un coup d’Etat, il est devenu, aujourd’hui, un civil. Malgré ses multiples efforts en termes de constructions d’infrastructures, les accusations d’atteintes aux droits de l’homme se multiplient. L’exécution dernièrement de condamnées à mort dont deux Sénégalais est venue noircir la réputation de l’homme de Kanilaï.
Le 22 juillet 1994 est un jour nouveau à Banjul. Habitués à voir la longue silhouette, les lunettes et les costumes traditionnels de Dawda Jawara, les Gambiens se sont réveillés en voyant des officiers en uniforme, au visage jeune, défiler à la télé. Ils avaient fini de se confondre dans l’image de Sir Dawda Jawara, qu’ils voyaient pavaner en ville, jouer au golf dans les circuits de Banjul, sur des affiches…… et même sur les billets de banque. Depuis l’indépendance de ce pays, en 1965, le pays n’avait connu que son premier président, Dawda Jawara, qui était d’abord nommé Premier ministre par les colons britanniques sur le point de quitter. Son régime est stable, mais quelque fois secoué par des putschs ou mutinerie comme celui de Kukoï Samba Sanyang, en 1981. Le grand frère et voisin sénégalais était obligé d’intervenir pour rétablir l’ordre à Banjul. Surfant sur un pays calme, mais gangrené par la corruption, il n’avait pas vu venir le coup d’Etat de juillet 1994. Suite à leur participation à une mission de paix, un groupe de soldats réclame sa prime au gouvernement. La manifestation débouche sur un putsch sans effusion de sang. Un groupe de jeunes officiers prend le pouvoir et dépose l’ancien président. Dans ce groupe, quelqu’un se signale. Beret renversé et grosses lunettes noires, il s’appelle Yahya Abdul-Aziz Jimmy Junking Jammeh. Simple lieutenant à cette époque, il est choisi par ses compagnons d'armes pour diriger leur « comité provisoire militaire ». Taille moyenne, Yahya Jammeh apparaît à la télé avec un discours antioccidental et dénonciateur de la corruption.
Une image de bâtisseur
Le grand frère sénégalais découvre ce jeune officier de 29 ans, avec qui il devra composer comme voisin, ainsi que les pays africains et la communauté internationale. On pense alors juste à des humeurs de soldats venus réclamer leurs primes et, après, ils vont regagner leurs casernes. On prédisait au comité provisoire militaire et à son chef un avenir éphémère à la tête du pays. Mais que non !
C’est le comité provisoire militaire qui n’aura pas un avenir, mais pas son chef, Yahya Jammeh, qui est toujours à la tête de la Gambie. Troquant son uniforme au grand boubou amidonné de chef d’Etat et de parti, il a pris ses aises à Banjul et y règne en vrai chef. Ainsi, suite à plusieurs élections (1996, 2001 et 2006 et 2011), il est élu et réélu président. Il tient un discours teinté d’arrogance et d’audace. Rien à voir avec le timide lieutenant qui s’est présenté aux Gambiens, en juillet 1994.
A la tête de ce petit pays de 11.295 km², Jammeh, redevenu civil, a ses portraits géants placardés sur des affiches aux quatre coins de Banjul, de Serrekunda, Brikama, Bakau. Son image est partout présente, même dans les hameaux les plus reculés. Mais c’est surtout à Kanilaï que l’image de Jammeh est plus présente. Ce coin, situé au cœur de la région ouest (Western Division), est devenu aujourd’hui célèbre. C’est là qu’est né l’actuel président gambien, le 25 mai 1965. Non loin de la frontière avec le Sénégal, ce village est un lieu de résidence de Jammeh qui y a construit une immense demeure. Sa carrière militaire commence d’abord par la police qu’il a rejointe à titre privé, en 1984. Il rejoint ensuite l’armée où il a gravi les échelons. Simple sergent en 1984, il deviendra en 1986 instructeur de formation d'escorte de la Police nationale.
En 1987, il est devint officier cadet de l'armée et étrenne le grade de sous-lieutenant dans la même année. Il sera même chargé de l'escorte présidentielle au niveau de la Garde présidentielle, en 1989. Il fera ainsi partie de ceux qui assurent la sécurité du président Diawara. Ce président qu’il renversa en 1994. Après ce putsch, il est promu capitaine, puis colonel, avant de prendre sa retraite de l'armée en 1996, pour se présenter, la même année, à l’élection présidentielle qu'il avait remportée au premier tour (55,76 % des voix), sous la bannière de son parti, l'Alliance patriotique pour la réorientation et la construction (Aprc). Le pays était donc vite revenu à un régime civil et Yahya Jammeh reste chef, même si certains observateurs avaient, à l'époque, émis des doutes sur la transparence du scrutin.
A son arrivée au pouvoir, il s'est attaqué à la corruption qui gangrenait le pays sous le régime vieillissant de Sir Dawda Jawara.
Il a ensuite mené à bien divers « grands projets », aéroport, université, hôpitaux, écoles, « grande arche » à Banjul, sans l'aide des bailleurs de fonds occidentaux, mais avec celle de pays tels que la Libye, Cuba, l'Iran ou Taïwan. Fort d'un certain prestige, il a le plus souvent fait référence dans ses discours à l'islam, au peuple et à la terre. Il aime à se présenter comme un paysan et passe parfois de longs moments dans son village natal.
Anciennement appelé Bathurst, Banjul était une ville qui gardait, avant l’arrivée de Jammeh au pouvoir, des vieilles bâtisses héritées de la colonisation. Aujourd’hui, cette ville a complètement changé de visage. De nouvelles infrastructures, un nouvel aéroport, un hôpital, des monuments, une université, une station de télé peuplent le décor à Banjul. Incontestablement, Yahya Jammeh a changé le visage de la Gambie. Il y mène une lutte contre la corruption.
Atteinte aux droits
de l’homme
Mais ses grands projets ainsi que son désir de doter la Gambie de nouvelles infrastructures sont ternis par une image de dictateur et aussi d’atteinte aux droits de l’homme. Beaucoup d’organisations dénoncent des manquements, surtout au niveau de la liberté d’expression. Le hic est atteint, en décembre 2004, avec l’assassinat du journaliste Deyda Hydara, très critique à l’égard du régime. Les organisations des droits de l’homme avaient pointé du doigt les agents de sécurité nationale. Ce que Jammeh a toujours nié. En dehors des journalistes, des opposants font l’objet de menaces. Il n’épargne personne, même ses anciens compagnons d’armes avec qui il a pris le pouvoir, en 1994. Beaucoup d’entre eux sont, aujourd’hui, écartés du pouvoir, s’ils ne sont pas accusés de complot ou de coup d’Etat. Des coups d’Etat manqués sont ainsi monnaie courante dans l’imagination de Jammeh. En mars 2006, il affirme qu’il a été victime d’un putsch manqué et accuse « des pays voisins ». Le chef d'état-major de l’époque, le colonel Dure Cham, chef présumé du complot, fuit vers Sénégal voisin, tandis que d'autres conspirateurs présumés ont été arrêtés et ont été traduits en justice pour trahison. En avril 2007, dix anciens officiers accusés d'être impliqués ont été reconnus coupables et condamnés à des peines de prison, et quatre d'entre eux ont été condamnés à la prison à vie. Ces derniers jours, le président gambien a suscité un concert de réprobations avec sa décision d’exécuter les condamnés à morts, lors de son discours à l’occasion de la fin du ramadan. Une menace suivie de son application. Ce qui a amené de vives réactions des autorités sénégalaises, avec, en premier, le président Macky Sall. Aujourd’hui âgé de 47 ans, marié à une Marocaine et puis récemment avec une ghanéenne selon certains sites d’informations, il est à son quatrième mandat présidentiel depuis les élections de 2011, Jammeh règne en maître à Banjul, à Kanilaï et dans tout le reste du pays…
w Oumar NDIAYE
MAITRE ABDOULAYE TINE, AVOCAT AU BARREAU DE PARIS, SPECIALISTE DU DROIT INTERNATIONAL
« Le Sénégal doit saisir la Cour internationale de La Haye ! »
Il est réputé comme l’un des plus brillants de sa génération en matière de droit international. Dr Abdoulaye Tine est titulaire du Certificat du Centre d’études et de recherche de l’Académie de droit international de La Haye. Dans son luxueux cabinet, sis sur les champs Elysée, à Paris, Me Tine nous a reçus pour donner son avis sur ce qu’il qualifie de «tension regrettable» entre le Sénégal et la Gambie.
Maître, quel est votre avis sur les exécutions qu'il y a eu en Gambie, notamment de ressortissants sénégalais condamnés à mort ?
Ce qui s'est passé en Gambie est très regrettable. Il faut rappeler quand même que depuis 1985, la Gambie avait renoncé à la peine capitale, ce qui se traduisait dans les faits par la non exécution des condamnés à mort dans ce pays depuis au moins 27 ans. Et, plus récemment, en 2010, la Gambie avait confirmé le maintien du moratoire sur la peine de mort dans son rapport périodique au Conseil des droits de l'homme de l'Onu, à Genève. Il y avait donc un moratoire qui engageait la Gambie à suspendre toutes les exécutions. En outre, l’Etat gambien avait lui-même ratifié le moratoire des Nations Unies qui invite à l'abolition de droit de la peine de mort sur le plan universel.
C’est dire donc que le traitement qui a été réservé à ces neuf personnes exécutées est sans conteste un acte inhumain, cruel et dégradant, qu’il convient de condamner avec la plus grande fermeté. En effet, la peine de mort est une atteinte grave au droit à la vie, protégé par les pactes des Nations Unies sur les droits civils et politiques de 1966 (article 6) que la Gambie a d'ailleurs ratifiés. Ces droits sont aussi protégés par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (articles 4 et 5) et la Gambie abrite également le siège de la Commission. Fort de tout cela, nous avons quand même cru, jusqu'à la dernière minute, que le président gambien, Yaya Jammeh, allait retrouver ses esprits et revenir à la raison.
Les autorités sénégalaises ont-elles été saisies à temps au sujet de ces exécutions ?
Oh oui ! L'information a été quand même bien relayée par des Ong réputées très sérieuses comme Amnesty international. Il y a même des documents pénitenciers qui circulent avec un nombre avancé qui était de 47 condamnés à mort dont au moins 3 citoyens sénégalais. Les Ong en ont parlé, notamment dans les médias, mais malheureusement, il a fallu commettre l'irréparable pour que le gouvernement sénégalais s'en saisisse.
Le Sénégal a-t-il fauté pour sa lenteur sur ce dossier ?
Oui, on pourrait effectivement reprocher au Sénégal de n'avoir pas été très diligent. Du moment où, quand même, c'était une information grave relayée par des Ong sérieuses, il fallait tout de suite effectuer la vérification habituelle. Le Sénégal à un consulat à Banjul et celui-ci à le devoir de vérifier avec efficacité une information de cette nature. Il fallait donc, en amont, et de façon diligente procéder à des vérifications au lieu d'attendre que l'irréparable soit commis pour réagir. C'est malheureusement le cas actuellement, et c'est assez regrettable de le constater.
A ce stade des choses, qu'est-ce que le Sénégal peut et doit faire pour empêcher l'exécution de ses ressortissants condamnés à mort en Gambie ?
En de pareilles circonstances, le droit international permet à l'Etat du Sénégal de saisir rapidement la Cour internationale de justice de La Haye (l’organe judicaire des Nations Unies) d'une requête pour demander, sur le fondement de l'article 41 du statut de ladite Cour, de prononcer des mesures conservatoires afin de préserver les droits de ses citoyens exposés à la peine de mort. C'est-à-dire que si un ressortissant sénégalais est mal traité dans un autre pays, cela porte préjudice à l'Etat du Sénégal lui-même, d'où la nécessité de prononcer des mesures conservatoires. Cela signifie tout simplement que le Sénégal doit se mettre dans une optique d'efficacité et saisir sans attendre la Cour internationale de justice de La Haye. Celle-ci pourrait ensuite faire le constat que la Gambie a effectivement exécuté des ressortissants sénégalais sans avoir respecté l'obligation d'information posée par les articles 5 et 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires conclue le 24 avril 1963.
La Convention de Vienne fait obligation à la Gambie d'informer d'abord les personnes condamnées et ensuite l'Etat du Sénégal. C'est là, déjà, une première violation. La Gambie a aussi violé les pactes des Nations Unies sur les droits civils et politiques de 1966 et dont elle est pourtant un des signataires. Ces conventions des Nations Unies posent le principe à un procès équitable si celui-ci est susceptible de conduire à une condamnation à mort. Compte tenu du risque encouru, l'Etat gambien avait pour obligation de faire respecter les standards onusiens de droit de la défense qui ont également été violés. La troisième violation faite par la Gambie porte sur les articles 4 et 5 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples qui consacrent le droit à la vie et s'oppose à l'administration du châtiment suprême qu’est la peine de mort. Donc c'est une panoplie de violations.
Pourquoi est-il si important de saisir cette Cour au lieu de jouer la carte de la diplomatie?
C'est important, d'abord parce que le droit international prime sur le droit interne de l'Etat gambien. Il est évident que le principe de la souveraineté de l'Etat fait que chaque Etat a la latitude d’édicter une législation criminelle interne qui lui est propre et d’appliquer en voie de conséquence les châtiments prévus. Sauf que, ce qui limite la liberté d'action d'un Etat, ce sont ses engagements à l'international. Cela veut dire que la Gambie peut appliquer la peine de mort, mais à condition de respecter dans le cadre des procédures pénales qui vont conduire au prononcé de cette peine, les standards rigoureux du droit international qui sont prévus à cet effet. Ce qui n’a pas été le cas avec les 47 personnes condamnées. Maintenant, si la Cour internationale de justice de La Haye se prononce et que la Gambie viole son arrêt, la conséquence sera une sanction du Conseil de sécurité de l’Onu.
Qu'en est-il donc pour les ressortissants déjà exécutés ?
Pour apaiser la douleur et la souffrance des familles, le Sénégal peut aussi exercer sa protection consulaire. C'est-à-dire qu'en saisissant la Cour internationale de justice de La Haye, il donne une dimension internationale à l'affaire. A partir de là maintenant, la Cour peut constater qu'il y a effectivement des manquements et, en conséquence, condamner la Gambie pour ses actes illicites internationaux puis prononcer une indemnisation pour les familles des victimes.
Cette situation ne va-t-elle pas pourrir les relations entre le Sénégal et la Gambie?
C'est justement là l'intérêt de donner un traitement judicaire international à cette affaire. L'exemple du dossier Habré qui oppose le Sénégal et la Belgique est un bel exemple puisque, là aussi, la Cour internationale de justice de La Haye est intervenue pour demander au Sénégal de juger Hissène Habré. Il n'en demeure pas moins que le Sénégal et la Belgique sont restés en de bons termes diplomatiques. C'est ça l'esprit de la paix par le droit. C'est un idéal des Nations Unies qui regroupe tout ses membres autour de certaines valeurs et des idéaux dont le règlement pacifique des différents, quel que soit le degré de désaccords qui peuvent opposer les Etats membres.
Ça permet également de canaliser les tensions consubstantielles aux relations internationales, parce que c'est souvent aussi des jeux d'intérêts. Le Sénégal et la Gambie sont deux peuples frères, liés par l'Histoire et la Géographie et donc, qui ont un intérêt commun à vivre des relations de bon voisinage. La Gambie est un Etat certes souverain, mais capable d'entendre raison.
w Entretien réalisé par notre correspondant à Paris
Ousmane Noël MBAYE
PR. MOUSTAPHA KASSE, ECONOMISTE
« Les systèmes politiques et la Casamance sont
les deux handicaps majeurs pour la coopération »
Faire l’impasse sur une enclave qui pousse dans le ventre du Sénégal ? Plutôt une illusion, parce que la nature oblige le Sénégal et la Gambie à commercer, tant au plan économique que diplomatique. Seules des relations apaisées permettront de surmonter deux handicaps à un cadre de coopération bénéfique : la nature différente des deux systèmes politiques et l’épineuse question de la Casamance, selon le Pr. Moustapha Kassé, économiste, doyen honoraire de la Faculté des sciences économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Dans votre discours, deux mots reviennent très souvent : « l’Afrique » et « les Africains ». Ces deux mots fondent-ils l’idée selon laquelle l’économie, pour vous, c’est d’abord une large ouverture sur le continent ?
« Tout à fait, parce que j’ai beaucoup travaillé sur les questions d’intégration ! Je suis persuadé que l’intégration est la chance de survie de notre continent. J’ai organisé, en 1979, le premier colloque sur l’intégration. Déjà, nous avions pris une conscience du fait que l’Afrique, comme disait Nkrumah, ne peut s’en sortir qu’en retrouvant précisément son unité. J’ai également contribué à la rédaction du Nepad, parce que le président Abdoulaye Wade m’avait demandé de réunir une équipe technique pour, d’abord, mettre en forme le plan Omega, dans un premier temps, et, dans un deuxième temps, créer une symbiose entre le Map, qui a été un programme monté par les présidents Thabo Mbeki, Abdelaziz Bouteflika et, surtout, Obasanjo. Voyez un peu : c’est une conviction très ancienne.
Que devient cette conviction face à la dure réalité des micro-Etats ?
Les micro-Etats restent toujours. Le président Diouf n’est pas resté les bras croisés. Par exemple, avec la Gambie, il a proposé l’une des formules politiques qui, peut-être, aurait pu progresser dans un autre contexte historique : la Sénégambie. Nous étions dans des conditions historiques dramatiques. Il y avait le coup d’Etat contre le président Diawara. L’Armée sénégalaise est intervenue. L’idée était bonne, mais la situation de crise n’a pas permis, en quelque sorte, à cette confédération de survivre à l’après-crise. Il faut dire que le nationalisme était là. Il en a été, d’ailleurs, ainsi pour le Mali. Cela n’a pas été très différent. On a créé la Fédération du Mali et vous savez les conditions dans lesquelles ça a effectivement échoué. Par rapport à notre problème, un Etat comme la Gambie ne peut véritablement prospérer que dans les structures d’intégration assez fortes.
Dites-nous pourquoi !
D’abord, cet Etat est complètement enclavé dans le Sénégal. Deuxièmement, c’est la même population, les mêmes peuples, les mêmes familles, la même classification ethnique, etc. Donc, tout devrait lier ces deux pays sauf, par exemple, les avatars de la colonisation. Il y a donc un ensemble d’institutions d’intégration avec la Gambie, notamment la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) au niveau supérieur et l’Omvg (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal). Cependant, j’ai tout à fait l’impression que, jusqu’a maintenant, on ne trouve pas encore une formule qui puisse effectivement faire en sorte que les pays travaillent ensemble et amorcent, dans le long ou le moins terme, un processus d’intégration. Une formule qui pourrait dépasser, peut-être, l’ancienne confédération et qui pourrait arriver à former l’Etat unitaire ou un Etat fédéral.
Professeur, expliquez-nous ces blocages…
Evidemment, il y a beaucoup de blocages. Au plan économique ? Je ne pense pas ! La Gambie est une enclave de toute façon. Elle n’a de frontières qu’avec la mer et le Sénégal, de tous les côtés. En fait, les échanges ne peuvent en réalité échapper au Sénégal. Deuxièmement, c’est une économie qui n’est pas très forte. Elle ne peut pas fondamentalement perturber l’économie sénégalaise. Troisièmement, de toute manière, nos relations commerciales accusent un excédent au profit, évidemment, du Sénégal. Donc, cela ne constitue pas encore une entrave économique gênante. A un moment donné, certains économistes avaient craint que la Gambie ne constitue une sorte de zone franche. C’était une menace...
La situation a-t-elle évolué ?
La situation a énormément évolué. La contrebande existe sur des produits absolument marginaux comme le sucre et le riz. La plupart de ces produits ne proviennent pas d’une production agricole gambienne, mais, essentiellement, des productions importées puis réexportées. En fait, ce n’est pas tellement gênant, parce qu’aujourd’hui, notre pays importe directement les produits réexportés, à l’époque, de la Gambie vers le Sénégal. Alors, pour peu que l’on module la fiscalité de porte, on arrive à peu près à faire en sorte que ces produits ne soient pas compétitifs sur le marché sénégalais. Sur ce point, ce qu’on craignait ne s’est pas produit. Le Sénégal aurait pu utiliser la Gambie comme une zone franche si nous avions une bonne production industrielle. Nous aurions gagné à faire de la Gambie une zone de réexportation des produits sénégalais vers les pays anglophones comme la Sierra Léone, mais aussi la Guinée-Bissau. Toutes ces opportunités sont donc bloquées par un obstacle majeur qui est le handicap politique. Ce handicap se manifeste à travers la différence fondamentale des régimes. D’un côté, un régime fort et pas démocratique du tout et, de l’autre, un régime démocratique. Donc, ce sont deux systèmes qui ne concordent pas souvent et qui sont à la base, pas d’un affrontement, mais, en tout cas, de contradictions quasi-permanentes. Le deuxième problème politique, c’est la Casamance. Pratiquement, depuis la création du Mfdc (Mouvement des forces démocratiques de Casamance), la Gambie a toujours manifesté une sorte de bonne volonté pour contribuer à trouver la solution. Cette question de la Casamance revêt un double aspect. Il y a d’abord son aspect politique : la rébellion qui dure quand même et qui, en réalité, coupe le Sénégal en deux. Le deuxième aspect, c’est que le rattachement de la Casamance au Sénégal est bloqué par la Gambie. Les autorités gambiennes ont toujours manifesté une mauvaise volonté pour mettre un pont-barrage entre les deux pays.
Depuis Senghor, on en parle. Il avait pensé qu’il fallait régler la question de l’accès. Diouf a essayé. Quand il a vu que la volonté manquait, il a fait la fameuse route de contournement qui passe par Tambacounda, Kolda puis Ziguinchor. Evidemment, cela accroit terriblement les coûts des marchandises importées à leur arrivée en Casamance. Et on a pensé, à l’avènement de Macky Sall, que les choses allaient évoluer dans le bon sens, parce que sa première déclaration a été le règlement de la question de la Casamance. Selon lui, cela devrait passer par la Gambie. Il a réservé sa première visite à la Gambie. Il était très enthousiaste à l’idée d’une normalisation des relations entre les deux pays et, surtout à la perspective de voir la Gambie contribuer à une solution à la crise casamançaise.
Le pari de la diplomatie du bon voisinage a-t-il été tenu par le président Macky Sall à la lumière de cette friction presque matinale avec le régime de Yaya Jammeh?
Les gens dramatisent un tout petit peu en affirmant que Macky Sall n’a pas tenu ses promesses. Chacun est dans son rôle. Le président Macky Sall est dans son rôle de protecteur des Sénégalais à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. C’est le minimum que nous puissions attendre d’un chef d’Etat, d’autant plus que nous avons une diaspora extrêmement importante dans les pays africains. De Banjul jusqu’en Afrique du Sud, il y a des secteurs où, effectivement, des Sénégalais interviennent. Nous ne comprendrons pas que cette partie de notre population ne se sente pas protégée. De l’autre côté, Jammeh se fonde sur un fait : « Nous sommes un Etat souverain. Nous avons nos législations. Nous sommes pour la peine de mort et nous avons exécuté la peine de mort». Tout ça est acceptable. Mais, ce qui ne l’est pas du tout, c’est d’empêcher les citoyens qui ne sont pas pour la peine de mort de protester. Bien sûr, on ne peut pas demander à un pays de ne pas appliquer ses lois. Le seul hic, ce sont les convenances diplomatiques qui n’ont pas été respectées. C'est-à-dire le fait qu’on n’ait pas informé le Sénégal, le fait, également, qu’on ait mis tout le monde devant le fait accompli. Evidemment, il fallait réagir vis-à-vis de cela.
Peut-on envisager l’existence de passerelles adéquates pour lever les équivoques et anticiper sur les crises ?
Il faut des structures de médiation. Cela me semble absolument important. Rappelez-vous, au temps du régime socialiste, la Commission sénégalo-gambienne se réunissait plus fréquemment, à telle enseigne que nous pouvions avoir une structure d’amortissement de la crise. Les ambassadeurs devaient avoir des statuts particuliers, au regard du caractère assez particulier des relations entre ces deux pays. Ce statut devait permettre, en tout cas, de booster la collaboration. Ces Sénégalais ont été condamnés depuis 2007 et 2004 pour certains. Donc, de 2004 à maintenant, je suis persuadé que si ces structures de médiation avaient joué leur rôle, nous n’en serions pas arrivés à cette situation. Il y a donc, quelque part, des interrogations. Pourquoi les défenseurs des droits de l’Homme auraient-ils agi aussi lentement ? On sait bien qu’aux Etats-Unis, il y a effectivement la peine de mort. Il y a des protestations permanentes contre cette peine de mort. Ensuite, ces Ong prennent justement le temps de voir tous ceux qui sont dans le couloir de la mort et de les défendre jusqu’au bout. J’aurais compris que la condamnation fût prononcée et que l’exécution fût faite en même temps. Cela n’a pas été le cas. Il y a quand même eu quatre années entre la condamnation et l’exécution. Je suis d’autant plus peiné que je connais bien la femme de chez moi, à Tambacounda. C’était une femme paisible. C’est assez surprenant qu’elle se soit retrouvée au couloir de la mort.
Ensuite, son oncle, Bator Samb, est un ami de très longue date. Paix à son âme. Il ne faut pas oublier qu’il y a une très forte communauté sénégalaise en Gambie. Ses membres sont dans les affaires, dans les circuits économiques, dans les circuits financiers.
Cela aussi, on l’oublie. C’est le socle du dalasi. Il y a donc une sorte de finance informelle qui s’installe entre les deux pays par Cfa et dalasi interposés.
Maintenant que les exécutions ont eu lieu et que le Sénégal a protesté, que reste-t-il à faire pour rester dans la continuité des relations entre les deux pays ?
Je dis qu’une fois encore, il faut calmer le jeu. Le président Macky Sall a fait ce qu’il devait faire. Les organisations des droits de l’Homme ont fait ce qu’elles devaient faire. Alors, à partir de maintenant, il faut ouvrir une autre page d’apaisement. Il me semble que cela est nécessaire. Cela ne veut pas dire que les régimes seront différents. Nous dénonçons tel et tel aspect de la gestion de Jammeh de son propre pays, nous continuerons de le dénoncer. Les démocrates doivent aider les forces démocratiques pour qu’un modèle de ce type s’impose en Gambie, mais dans le respect de la souveraineté de la Gambie, cet Etat qui est après tout un Etat souverain.
Que peut gagner le Sénégal dans des relations apaisées avec la Gambie ?
A mon avis, il faut apaiser, parce que ce qui nous importe, c’est la résolution de nos deux problèmes. La Casamance est une zone extrêmement importante de notre pays. C’est notre grenier. Si nous avons encore des problèmes de déficit alimentaire important, probablement la Casamance y est pour beaucoup. En 1984, un économiste belge, qui menait un projet de l’Union européenne en Casamance, m’a dit, en rendant son rapport : « C’est extraordinaire ! Vous pouvez tout faire en Casamance. Elle peut être un pôle agricole qui va non seulement nourrir le Sénégal, mais permettra également l’exportation de certains produits». Beaucoup de produits, d’ailleurs, dans une agriculture diversifiée, parce que la Casamance a des sols extrêmement fertiles. Ensuite, c’est une population agricole assez besogneuse. D’autres atouts font que la Casamance a toujours été considérée comme le grenier du Sénégal. C’est pour ces raisons que les Socialistes avaient bien fait de mettre en place la Société de la mise en valeur de la Casamance. Le président Senghor avait conscience que la mise en valeur devrait se faire par une sorte d’agence absolument autonome et qui permette à la Casamance de jouer son rôle. Cette société n’a pas réussi sa mission, parce que la Casamance est coupée en deux par la Gambie et un peu immobilisée par une rébellion qui perdure. Il est évident que si le Sénégal avait appliqué un cordon douanier sur la Gambie, il aurait pu l’asphyxier très facilement. Mais, le Sénégal n’a jamais envisagé d’étouffer la Gambie. Au contraire !
La diplomatie et les défenseurs des droits de l’Homme peuvent-ils émettre sur le même tempo et avec la même liberté de ton sur une question aussi cruciale que le voisinage ?
Je pense que tout le monde doit travailler à l’apaisement et, en même temps, à ce que ces exécutions s’arrêtent et que la Gambie se conforme au droit international. C’est essentiel. Egalement, je crois que l’Etat sénégalais est une chose et les organisations qui défendent les droits de l’Homme en sont une autre. Chacun doit être dans son rôle. Ils ne gèrent pas les mêmes problèmes. L’Etat doit défendre les citoyens, mais, également, préserver les relations diplomatiques et faire en sorte que ça se déroule dans les meilleures conditions. C’est fondamental. Maintenant, je ne condamne pas les organisations de défense des droits de l’Homme. Elles sont dans leur rôle de condamner, de demander la Cpi (Cour pénale internationale), etc. Mais, il ne faut pas qu’il y ait une confusion de genres. Les légitimités ne sont pas les mêmes, les domaines de gestions ne sont les mêmes, les implications ne sont également pas les mêmes. Evidemment, dans la situation actuelle, j’étais très heureux de constater, dans la Déclaration de politique générale du Premier ministre, que la Casamance constitue toujours une préoccupation majeure. Si tel est le cas, il faut donner une chance à la diplomatie de se faire dans le cadre des organisations d’intégration. J’ai lu le discours de Macky Sall à son arrivée d’Afrique du Sud (sur la Gambie et la suppression du Sénat, Ndr). C’était un excellent discours, mais, dans la presse, on a mis l’accent sur la première séquence (de fermeté) et on a oublié l’autre (la poursuite de la coopération). Son discours en wolof était encore plus nuancé et avait une tonalité moins agressive. C’est ce qu’il fallait faire.
Il y a donc de très bonnes raisons de croire en cette coopération?
Le problème n’est pas de croire en cette coopération. C’est la nature qui nous oblige à coopérer. Nous ne pouvons pas déplacer nos frontières. Actuellement, si on disait : «Bon, la Gambie, c’est terminé, etc.», on aurait le monde sur le dos. Nous ne pouvons rien faire que de chercher solution au problème. Je ne suis pas sûr que même Jammeh parti, un autre Gambien ne viendrait pas défendre les intérêts nationaux et, peut-être, avec moins de maladresses. Que l’on ne se fasse même pas d’illusions ! Moi, j’ai enseigné en Gambie. Je suis intervenu plusieurs fois en Gambie dans le domaine universitaire, mais je connais les réflexes. Il y a longtemps, j’ai tenu une conférence et, par maladresse, j’ai dit que la Gambie était absolument invisible dans l’échiquier mondial. On a crié à l’impérialisme sénégalais. Cela a été la réaction de tous les auditeurs. Ils avaient une lecture partielle de ma pensée. Quand on dit que la Gambie fait 0,0000 % de l’économie mondiale, un mathématicien dira que tout cela est égal à 0, donc la Gambie n’est pas visible. Le Sénégal est aussi invisible que la Gambie, ainsi que la Côte D’ivoire et plusieurs pays d’Afrique. Cela veut dire que nous sommes condamnés à aller dans l’intégration, parce que nous ne sommes pas visibles dans ce monde multipolaire de grande dimension.
w Propos recueillis par Habib Demba FALL
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