Après les pluies diluviennes qui se sont abattues sur Dakar, Yoff, à l’image de plusieurs localités de la capitale sénégalaise, a bu le calice jusqu’à la lie. Lundi 10 août 2015, il est 14heures, lorsque nous débarquons à Yoff Tonghore. Non pas à la recherche de sinistrés des inondations, mais plutôt pour une meilleure compréhension de ce qui cimente les relations entre les populations de cette Commune et Mame Ndiarré, génisse-protectrice.
Notre guide Adama, la trentaine, dans sa robe fleurette, nous conduit à la demeure d’El Hadj Omar Nguala Guèye, Historien et chargé des Relations humaines dans le village de Yoff. Nous empruntons des ruelles étroites. Des maisons en construction, mais déjà en état de délabrement avancé, flirtent avec une concession en R+trois.
“Déjà en 1790, ce que Mame Ndiarré avait fait pour délivrer Yoff Tnghore des mains du Cayor”, d’après l’Historien Omar Ngalla Guèye
Ici, le sable est ô combien imbibé. Dans les flaques d’eau, pataugent, innocemment, des enfants, qui trouvent une bonne aubaine dans les fortes pluies de ce dimanche 9 août. Après une quart d’heure de marche dans les allées des quartiers de Yoff, nous arrivons à la demeure de l’une des célébrités de Yoff Tonghore.
Agé de 66 ans, l’homme est un fonctionnaire à la retraite. Taille moyenne, El Hadj Omar Ngalla Guèye, forte corpulence, nous reçoit dans son salon parsemé de fauteuils en cuir. L’Historien nous explique qu’un pacte a été signé entre Mame Ndiarré et ses aïeux. « En 1790, une bataille nous avait opposés au royaume du Cayor, car celui-ci voulait nous réduire à l’esclavage, en nous demandant de payer des impôts, à défaut d’être sanctionné”, narre-t-il.
Et “c’est grâce à Mame Ndiarré que Yoff a été la première contrée du Sénégal à avoir pris son indépendance vis-à-vis du Cayor. En effet, la génie-protectrice s’était transformée en essaim d’abeilles, pour tuer les envahisseurs, à la bataille de Diambore ; et ainsi, Yoff fut devenue la première “République de la presqu’ile du Cap-Vert”, avec des institutions et un hymne national », rappelle l’Historien.
“Mame Ndiarré s’était transformée en essaim d’abeilles pour tuer les envahisseurs du Cayor, à la bataille de Diambore”
Dans son speech, notre interlocuteur nous révèle que Mame Ndiarré est la fille de Coumba Lamb (génisse protectrice de la ville de Rufisque), et qu’actuellement, elle est mariée et a rejoint le domicile conjugal. Actusen.com poursuit son périple ; direction, la maison du “Jaraaf” Babacar Mbaye Nguirane Mbengue.
L’homme, sanglé dans son blouson rouge, casquette bien vissée à la tête, donne l’impression d’être en phase avec la modernité. Chose qu’il réfute, néanmoins : « je suis gardien de la tradition, mon devoir est de la pérenniser. La modernité n’est pas un domaine où je voudrais m’aventurer », explique-t-il.
Le “Jaraaf” Babacar Mbaye Nguirane Mbengue : «récemment, j’ai reçu Mame Ndiarré dans ma maison, mais elle ne m’a jamais parlé de son mariage”
Dans ses appartements où il reçoit l’équipe de Actusen.com, le “Jaraaf” de Yoff retrace les origines de la génisse-protectrice. « Mame Ndiarré est un djinn, elle est une femme venue du pays des Sérères. Mame Warimol (génie de sa famille) l’a accueillie, durant la bataille de Diambore, afin qu’elle lui prête main forte. Elle est très gentille et veille à la protection du village de Yoff, depuis belle lurette ».
Selon ses propos, Mame Ndiarré est toujours à Yoff. « Récemment, j’ai reçu Mame Ndiarré dans ma maison. Elle ne m’a jamais parlé de son mariage, d’ailleurs je n’oserai m’aventurer sur un tel sujet par respect pour elle », précise le “Jaraaf”. Bombardé de questions, il ne vacille pas sur ses positions et refuse d’évoquer le mariage de Mame Ndiaré, un sujet plus que tabou. A peine est-il interrogé sur le caractère païen de vénérer un génie, que le “Jaraaf” nous coupe net : « nous ne vénérons pas Mame Ndiarré puisque nous sommes des musulmans, nous perpétuons le pacte signé entre nos ancêtres et la génisse. Il faut savoir que Mame Ndiarré est musulmane, elle a fait allégeance à Seydina Limamoulaye », précise-t-il.
Babacar Mbengue : « Yoff est envahi de malades mentaux, parce que les jeunes font maintenant tout ce que Mame Ndiarré interdisait”
La communauté léboue se caractérise par son ancrage dans la tradition. A cet effet, en plus de Mame Ndiarré, la protectrice du village, chaque famille a son génie-protecteur. Pour autant, avec la mondialisation, certains jeunes rencontrés, ne semblent pas assez emballés par Mame Ndiarré. Et restent mitigés sur la question.
C’est le cas de Moulaye Thiaw, 28ans. Torse-nu, dans short mouillé, il s’active à creuser un passage pour évacuer les eaux pluviales. Pelle à la main, et entouré de ses amis, Moulaye Thiaw nous confirme son appartenance à la communauté Lebou. « Je crois à l’existence de Mame Ndiarré, mais je pense qu’elle est une créature comme nous autres.
Certes, nous lui devons respect, mais je pense qu’il y a des gens qui s’enrichissent à ses dépens, et avec les querelles incessantes lors des cérémonies divinatoires, mes soupçons se sont confirmés », déclare le jeune Lébou.
Fustigeant l’attitude de son camarade, Babacar Mbengue, la trentaine à peine, véritable montagne à muscles avec son physique impressionnant, est pécheur de son état.
Avec sa noirceur d’ébène qui confirme ses traits lébou, Babacar Mbengue constate, pour s’en désoler : « Yoff est bourré de malades mentaux, parce que les jeunes font maintenant tout ce que Mame Ndiarré interdisait. Nous, les pécheurs, jadis, on était prospères et respectés par nos compères, ce qui n’est plus le cas. Dans la mesure où on néglige les recommandations de Mame Ndiarré”.
El Hadj Diop : “il peut arriver des fois, où Mame Ndiarré apparait en plein milieu de la nuit pour demander à certaines personnes d’éteindre leurs lumières ou…”
Selon Babacar Mbengue, “les Tuur (sacrifice) ne sont plus faits, comme le souhaite la génisse-protectrice de Yoff. C’est la raison pour laquelle les conséquences se font ressentir par la population, à travers la crise des valeurs et la cherté de la vie», souligne-t-il.
Un avis largement partagé par El Hadj Diop, 56 ans. Trouvé devant sa boutique, il parle de Mame Ndiarré. «Je crois en Mame Ndiaré. Certes, je ne suis pas lébou, mais j’ai fait ma jeunesse à Yoff et j’ai été témoin de beaucoup des faits et gestes ou pratiques qui découlent d’elle. Par exemple, il peut arriver des fois où elle apparait en plein milieu de la nuit pour demander à certaines personnes d’éteindre leurs lumières ou leur donner d’autres conseils ou leçons de morale “, explique-t-il.
“Heureusement”, embraie El Hadj Diop : “à vrai dire, elle, ce n’est pas une méchante génisse, elle est gentille et je pense que c’est, d’ailleurs, pourquoi la population de Yoff croit en elle et fait des sacrifices tous les jours à son égard. Mais en tant que musulman, je pense que nul ne doit faire des sacrifices qu’au nom d’Allah ».
Fatou Diagne : «je crois en Mame Ndiarré, parce qu’elle me protège”
Par ailleurs, la jeunesse de Yoff y voit une véritable aversion. D’aucuns disent croire en Mame Ndiarré, tandis que d’autres non. C’est l’exemple d’une jeune fille, la vingtaine, que nous surnommons Fatou Diagne, car souhaitant garder l’anonymat. Et qui livre sa conviction sur l’existence réelle de Mame Ndiarré.
« Je crois en cette « rap», parce qu’elle me protège, je suis lébou et je crois en son existence je sens comment elle est présente dans nos vies. Et il m’arrive très souvent de partir à des pratiques de Ndeup ou des trucs de ce genre en sa faveur ».
Cette certitude sur l’existence de ce Mame Ndiarré ne fait l’objet d’aucun doute chez plusieurs personnes interrogées. Y compris chez certaines qui ne sont pas originaires de Yoff, mais qui croient dur comme fer que la génisse-protectrice est plus que vivante à Yoff Tonghore.
Jeune vendeur de café Touba, devant sa cantine, ce jeune explique : « je ne suis pas de Yoff. Certes, je viens de la Casamance, mais je demeure convaincu que ce Mame Ndiarré existe. Car je vois comment tout le monde ici prend soin d’elle, comment les gens y croient”, dit-il. Avant d’ajouter : “si tu es étranger dans un lieu quelconque, le plus important c’est de s’adapter aux coutumes et croyances des populations trouvées sur place. En tout cas, moi, j’y crois comme eux ». C’est comme qui dirait que Mame Ndiarré est une créature omnipotente et omniprésente.
Actusen
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