Me Assane Dioma N'diaye président de la Ligue sénégalaise des droits de l'Homme«Cela va éveiller un certain nombre de soupçons concernant une volonté d’écarter de potentiels adversaires»


Me Assane Dioma N'diaye  président de la Ligue sénégalaise des droits de l'Homme«Cela va éveiller un certain nombre de soupçons concernant une volonté d’écarter de potentiels adversaires»
«Dans tout le droit positif, le droit sénégalais y compris, il y a toujours eu des peines infamantes, des peines qui vous privent de vos droits d’éligibilité. De façon générale, quand on est condamné à plus de deux ans, on est privé de toute éligibilité, cela se vérifie par la production d’un casier judiciaire. Si l’on sait que le détournement de deniers publics est puni d’une peine de sept ans au moins, le problème était donc déjà réglé par la législation actuelle. C’est une disposition actuelle qui est générale et impersonnelle, et qui ne s’attache pas uniquement au détournement de deniers publics. D’ailleurs, on se demande pourquoi se focaliser sur le détournement de deniers publics, alors qu’il y a la drogue qui est aussi infamante quand on est condamné. Le problème du contexte se pose : pourquoi attendre cette période où des membres du Pds sont visés par une procédure de présomption de détournement de deniers publics pour agiter cette loi ? C’est ce qui fait penser qu’il y a une volonté de viser les membres actuels de l’opposition par rapport à une éventuelle candidature pour les élections à venir. Une autre curiosité, c’est pourquoi cette durée de dix ans ? Nous pensons que l’inéligibilité ne peut pas être circonscrite dans le temps. On ne peut pas considérer qu’après un détournement, on vous prive de votre éligibilité pendant un temps donné et après, vous la retrouvez. Les dispositions actuelles sont beaucoup plus sévères, parce que là, c’est une inéligibilité perpétuelle. Pourquoi limiter cela à dix ans aujourd’hui ? C’est une curiosité.
 
«Le verrou était déjà là, cette loi va poser des problèmes»
Pour nous, le danger, ce sont les lois de circonstance, la loi est générale et impersonnelle, il ne faut pas légiférer circonstanciellement ou personnaliser les lois, il ne faut pas que l’on pense que les lois sont faites par rapport à des catégories de personnes. Nous pensons que le dispositif législatif actuel est parfaitement adapté à la lutte contre la corruption et pour la préservation des deniers publics. En tous cas, du point de vue de la prévention par rapport à des personnes qui ont été condamnées, le Code électoral a déjà posé des conditions d’éligibilité qui prennent en compte les condamnations subies par les citoyens. Tout cela va encore créer un débat inutile et surtout éveiller un certain nombre de soupçons concernant une volonté d’écarter de potentiels adversaires, ce qui risque d’envenimer la situation sociale. Le débat politique risque d’être biaisé par une réforme de plus, qui, de mon point de vue, n’est pas opportune, parce que le verrou était déjà là. Si c’est pour aller vers plus de transparence et pour la préservation des deniers publics, nous sommes d’accord. Mais ce projet de loi pose problème, si elle est votée, il y aura un problème de rétroactivité. Quand sera-t-elle votée et promulguée ? Est-ce qu’elle pourra être appliquée à des faits ou des poursuites antérieures, sachant que les lois sont faites pour l’avenir ? La plupart des poursuites en cours aujourd’hui seront déjà entamées avant que cette loi n’intervienne. Donc ça va poser des problèmes.»

L'Observateur
Lundi 19 Août 2013




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