L'ère d'une gouvernance sans âme... (Habib Sy, ancien ministre d'État)


C'est avec beaucoup d'intérêt, que j’ai lu la réplique à ma réflexion relative à une « élection présidentielle anticipée en 2022», par monsieur Alioune Fall, conseiller du Président de la République.
En attendant d'y revenir, étant entendu que je n'ai pas encore clos le débat sur la question, je soumets à l’éminence grise de monsieur le Président de la République, une autre réflexion, qu'il qualifie certainement encore de  « recommandations bizarres». Je le cite.
C'est avec plaisir du reste, que je lui expose mes  « bizarreries », dont certaines ont  inspiré  des décisions de son patron.
Nous pourrions en reparler plus tard. 

Mon cher Alioune Fall, que je me permets de tutoyer, pour donner plus de convivialité à nos échanges,  bénéficie certainement du privilège de proximité avec le Président de la République.
A ce titre, et sans aucun doute, il portera cette réflexion aussi « bizarre » à  l'attention du Chef de l'Etat, pour qu’il s’en inspire une fois n'est pas coutume- aux fins  de repenser et de réorienter sa gouvernance.
 J'attends encore impatiemment une brillante répartie de sa part.
« Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? »
A cette question existentielle de Lamartine, Birago Diop donne une réponse « cosmogonique », dans la mesure où, elle évoque la complexité de l'univers, appréhendé sous l'angle de la relativité.
« Ecoute plus souvent les choses que les Êtres, la Voix du Feu s'entend, Entends la Voix de l’Eau. ».

L'Afrique répond à l’Occident.
Aussi bien l'interrogation que la réponse trouvent leur force  dans l'évocation d'un « principe de  la sensibilité et de la pensée », autrement dit, d'une âme.
Pour parler avec  Cheikh Hamed Tidiane Sy Al Maktoum,". La vulgarité tue l'œuvre d'art et une œuvre d’art sans une âme est une production vulgaire."
Qu'en est –il de la politique, cet  art d'organiser  la société ?
Historiquement, au Sénégal, les partis politiques se sont organisés autour d’un « principe de vie », c'est-à-dire d’une âme, dont la sensibilité  est incarnée par un ou des leaders à la trajectoire captivante, et dotés d’un référentiel émotionnel.
Entre autres, ces valeurs ont suscité, créé, construit et formaté une adhésion militante et sentimentale aux partis et à leurs dirigeants.
Par la force de leur âme, les partis sont inscrits dans la durée et leurs leaders dans l’éternité. 
Carpot, Blaise Diagne, Ngalandou Diouf, Lamine Gueye, Léopold Sedar Senghor, la SFIO, le BDS, l’Ups puis  le PS etc. , en plus d'être des hommes et des partis politiques, sont des « principes de vie. »
Ils ont respiré la lutte pour l’autonomie et l'indépendance de  notre nation, pour l'égalité des droits entre le peuple sénégalais et celui de la France, et pour la dignité de l'homme noir.
Les uns ont jeté les bases et les autres ont, in fine, construit une Nation et un État.
Et arriva la deuxième génération, ou la deuxième vague. 
Majmouth Diop, Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Wade, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Landing Savané, le Pai, le Rnd, le Pds, le Pit, la Ld/Mpt etc.
Ils ont soufflé l'air de la démocratie, de la liberté d'opinion, du droit  de manifester, de l’éveil des consciences des masses, et de la liberté de la presse.
Avec grand nombre de leurs compagnons de lutte et autres leaders non moins engagés, ils ont vécu l’exil, subi des brimades, l’emprisonnement, l’humiliation
Au nom d'un "principe de vie, ils n'ont jamais plié, encore moins rompu. Ils sont restés debout.
Ils ont construit une histoire qui peut être racontée et enseignée aux générations futures.

Ceux parmi eux qui ont exercé le pouvoir ont montré la voie à emprunter pour faire décoller le Sénégal vers le progrès.
Et soudain, surgit de la confusion, une mosaïque de partis et de mouvements politiques, dans laquelle s’est dissoute pour enfin, se volatiliser  l’âme de certaine de ses composantes, tel un brouillamini de briquaillons
« Un éclair…. Puis la nuit ! Fugitive beauté. » 
Quelle meilleure référence à Baudelaire, pour décrire, depuis, la plongée de notre pays dans l'incompétence, l’amateurisme, les faux documents administratifs, l'injustice, les petites coteries, le tâtonnement dans  les prises de décisions, le « braconnage gouvernemental », etc.
La vertu n'habite pas un corps sans âme.
La sobriété ne peut exister dans une organisation sans  "principe de vie."
Quant à la corruption, elle pénètre facilement le corps de l'Etat par les fissures de la mal  gouvernance.
Une mosaïque sans âme, qui en conséquence gouverne sur la base d'une fausse compassion aux souffrances du peuple, après avoir « braconné » la volonté populaire.
La  gestion politique de la Covid-19 en est la parfaite illustration.
Le 11 mai 2020, s’adressant à la nation au cours d'un message, le chef de l'Etat Macky Sall a tenu ces propos : «  Dans le cadre de cette nouvelle phase qui va durer, non pas quelques semaines, mais au moins trois à quatre mois, nous devons désormais apprendre à vivre en présence du virus… » 
Depuis, les barrières de protection de l'Etat à l'endroit des populations ont été progressivement démantelées.

Il s'en est suivi une propagation du coronavirus, du nombre de cas testés positifs, de l'augmentation des cas graves et du nombre de décès.
Les mesures de relâchement de protection des citoyens sénégalais, en leur demandant d’  « apprendre à vivre en présence du virus… », sont  une forfaiture, et une violation de dispositions de notre Charte fondamentale.
L’article 7 de la Constitution du Sénégal dispose : « La personne humaine est sacrée. L'Etat a l'obligation  de la respecter et de la protéger.
Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au libre développement de sa personnalité, à l’intégrité corporelle, notamment à la protection contre toutes mutilations physiques. »
Il ressort de ces dispositions, qu'en demandant aux populations d’apprendre elles-mêmes  à coexister avec un virus aussi dangereux, l'Etat du Sénégal a failli à son obligation de respect et de protection du citoyen.
Notre droit à la vie, à la sécurité, au libre développement et  à l’intégrité corporelle a été violé par la Puissance Publique.

L’article 8  dispose : « La République du Sénégal garantit à tous les citoyens les libertés individuelles fondamentales, les droits économiques et sociaux, ainsi que les droits collectifs. Les libertés et droits sont notamment : »
Parmi les droits énumérés, figure « le droit à la santé. »
Manifestement, la levée des mesures de protection sanitaire des populations, constitue une atteinte grave au droit à la santé du peuple sénégalais.
Ainsi, de façon volontaire et consciente, l’Etat du Sénégal expose son peuple à un danger sanitaire.
Il est vraiment « bizarre », ce gouvernement !

Habib Sy
Ancien ministre d'Etat
Président du parti de l'Espoir et de la Modernité/Yaakarou Réew Mi
Mercredi 5 Août 2020




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