Editorial "Tam-Tam" de l'Emergence: « Investir pour une relance durable en Afrique» (Par Dr Cheikh Kanté)

« Investir pour une relance durable en Afrique», c’est le thème plein de sens et de significations du 20ème Forum Economique International sur l’Afrique, tenu le 22 février 2021, à Dakar, par visioconférence, sous la présidence de Son Excellence, Monsieur Macky Sall, Président de la République du Sénégal.


Forum, conjointement organisé par l’OCDE et l’Union Africaine, en partenariat avec le Sénégal, s’est en effet tenu en Afrique, pour la première fois depuis 19 ans. La pandémie ayant bouleversé l’ordre des choses, plusieurs Institutions Internationales ont pris part à cet événement, qui a atteint le chiffre record de presque 1000 personnes connectées en ligne, composées d’éminentes personnalités, d’universitaires, d’experts d’organisations internationales, de chercheurs, d’étudiants, et de membres de la société civile, qui ont apporté de riches contributions aux différents panels. La justesse des propos liminaires, évoqués au cours des allocutions d’ouverture, et la pertinence des idées novatrices, exprimées tout au long des interventions, ont mis en exergue le renouveau d’une conscience collective, et confirmé la volonté forte des décideurs africains de relancer nos économies post COVID 19.
 Pour traiter le thème central de ce Forum Economique, les débats ont été organisés autour de deux grands panels : « Accélérer la transformation productive et l’intégration régionale pour réaliser l’Agenda 2063 » : les débats étaient dirigés de mains de maître par Mario Pezzini, Directeur du Centre de Développement de l’OCDE. « Repenser le financement d’une croissance durable et inclusive au tournant de la pandémie » a constitué le second panel, que j’ai eu l’honneur de modérer.
Le Président Macky Sall a, à cette occasion, confirmé sa vision prospective, son leadership, et son esprit d’anticipation, d’action et de mobilisation des énergies, au service d’une relance forte et soutenue des économies africaines post COVID. La mise en œuvre du Plan Sénégal Emergent (PSE), qui a permis d’atteindre des résultats exceptionnels, et la légitimité de son combat pour le Continent, ont grandement milité en faveur de la délocalisation du Forum au Sénégal. Après une revue des déterminants conjoncturels de la pandémie qui entretient une morosité au niveau mondial, le Président Sall a abordé des questions essentielles et structurelles qui doivent jeter les bases d’une action concertée, afin de mettre en place une nouvelle forme de gouvernance mondiale, au sein de laquelle l’Afrique se positionnerait comme une des locomotives.
Les cinq remarques explicités dans son intervention, viennent compléter, de façon cohérente, les sept paradigmes du Consensus de Dakar. Il s’agit, en effet : - de la révision des règles du système fiscal international, mise en œuvre par le projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice, piloté par l’OCDE, sous l’égide du G20 ; - de l’impérieuse nécessité de lutter contre les flux financiers illicites qui nous coûtent plus de 100 milliards de USD par an ; - du soutien nécessaire à la révision des codes miniers et des hydrocarbures, pour une meilleure rémunération des ressources africaines ; - d’une lutte plus soutenue contre l’évasion fiscale, pour que l’impôt soit payé là où se crée la richesse, c’est-à-dire dans les pays où les compagnies mènent leurs activités et réalisent leurs bénéfices. Dans plusieurs pays, les activités minières échappent, en effet, à la fiscalité, au motif qu’elles ne relèvent pas de l’industrie, alors que les mêmes activités, considérées comme industrielles dans les pays développés, sont dûment taxées ; - et enfin, de l’élimination de la mauvaise perception du risque dans les investissements en Afrique, qui rend nos économies non compétitives. Le Consensus de Dakar avait déjà posé les conditions de base pour soutenir une croissance inclusive et durable des économies africaines, conditions validées par les Chefs d’Etat de l’UEMOA, la Directrice du FMI, et toutes les Institutions Internationales présentes à la Conférence de Dakar, du 02 décembre 2019. Les programmes d’ajustement structurels des années 80, basés sur les 10 Commandements de Washington, avaient, par ailleurs, fortement bouleversé nos économies qui, exsangues, avaient subi de nombreux revers, parmi lesquels le coup de sabot de la dévaluation monétaire.
 La crise des subprimes de 2007-2008 était bidimensionnelle, c’est-àdire économique et sociale. Il faut se souvenir qu’elle avait, en un temps record, engendré une crise alimentaire, conséquence d’une forte hausse du prix des denrées alimentaires de base, et avait plongé les régions les plus pauvres du monde dans des situations d’instabilités politiques, et d’émeutes. Cette crise financière avait eu comme conséquence directe une très forte volatilité des marchés. Les matières premières étaient devenues des valeurs refuges et spéculatives. Les aliments de base et les matières premières, comme le pétrole, avaient servi de refuge aux institutions bancaires et autres fonds d’investissements, qui avaient perdu des montants très importants, après avoir spéculé avec les subprimes. Certaines banques centrales les avaient soutenus, en injectant dans les circuits financiers des milliards de USD de liquidités, avec des crédits bon marché, qui leur avaient permis de se tourner vers de nouveaux investissements rentables, et à moindre coûts. Le résultat était que des hedges funds avaient accéléré la hausse des prix par leurs interventions sur les marchés à terme, en voulant retrouver leur santé financière le plus rapidement possible. Ces nouvelles fièvres spéculatives sur l’or, le pétrole, et les produits alimentaires de base avaient comme conséquence une hausse mondiale des prix du riz et des céréales, aggravée par une inadéquation des politiques agricoles mises en œuvre par certains Gouvernements. Les troubles sociaux provoqués par cette crise avaient affecté la quasi-totalité de la population mondiale, avec des conséquences graves dans les pays en développement. La FAO avait dû élaborer une liste de 37 pays en urgence alimentaire.
Plusieurs pays comme le Burkina Fasso, le Cameroun, le Sénégal, la Mauritanie, l’Egypte, le Maroc, et la Cote d’ Ivoire, avaient connu des manifestations inattendues. Les crises de subsistance se sont toujours transformées en désordre, partout dans le monde. La situation agricole en Europe, entre 1847 et 1848, en est un parfait exemple. En quelques jours seulement, l’Europe s’était embrasée, et l’ordre absolutiste, né au lendemain du Congrés de Vienne, s’était effondré. La révolte, partie d’Italie, s’était étendue en France, à Vienne, dans l’empire Austro-hongrois, en Allemagne, et même en Suisse. Entre février et mai 1848, la monarchie française s’était écroulée avec l’abdication de Louis Philippe, Metternich quittait le pouvoir à Vienne, et l’Allemagne se dotait à Francfort d’un premier Parlement. Le souvenir de ces tragédies a été ravivé par l’hiver arabe, que nous avons vécu en 2011, avec un embrasement spectaculaire de la révolution, de la Tunisie à l’Égypte, qui se propageait jusqu’en Jordanie, puis au Yémen. Il n’y avait pas d’internet et de Facebook, et encore moins de WhatsApp en 1848, mais l’information circulait déjà très vite . La nouvelle de la chute de Louis Philippe avait fait tomber Metternich, comme celle de Ben Ali avait ébranlé Moubarak. Dans chacun de ces cas, le rôle crucial joué par la crise alimentaire et la faim reste déterminant. La tri-fonctionnalité sanitaire, économique et sociale de la pandémie COVID 19, dont la vitesse de propagation destructrice a plongé le monde dans un état jamais vécu, pourrait être encore plus grave de conséquences que toutes les crises connues et gérées par le passé. Dans le long terme, elle pourrait être à l’origine d’émeutes de la faim, aussi bien dans les pays développés que dans les pays pauvres. Pour le moment, les sommes faramineuses injectées par les Etats, pour atténuer la morosité économique survenue avec la pandémie, a quelque peu permis de stabiliser et de contenir les velléités de révolte, dont le secteur informel et la jeunesse sans emploi constituent l’épicentre.
Dans mon éditorial de la précédente Edition de Tam Tam, j’avais clairement décliné les mégatendances à maîtriser pour arriver à une croissance inclusive et durable, et adaptée à nos réalités africaines. Les jeunes et les femmes, en tant que moteurs du développement, occupent une place centrale dans cette stratégie. Le monde compte environ 1,8 million de jeunes de 10 à 24 ans. Plus de 85% de cette cohorte, qui entame sa transition vers la vie adulte, vivent dans les pays en développement, et peuvent représenter près de 30% de la population. Et ce nombre devrait continuer d’augmenter. Investir dans la jeunesse est un pari à gagner. Il faut cependant adopter des politiques économiques adaptées et soutenues par des programmes d’investissements judicieux. En effet, l’accès à une éducation de qualité, à la formation, à des emplois décents, et à la participation citoyenne, au même titre que l’accès aux services de santé, sont autant de défis à relever, pour répondre à leurs besoins. Un très grand nombre de jeunes se voit forcé d’abandonner le système scolaire à un âge précoce, et se retrouvent complétement désarmés pour affronter l’avenir.
Aujourd’hui, un enfant sur quatre n’achève pas le cycle primaire, et de plus en plus de jeunes se retrouvent au chômage, ou avec des emplois vulnérables. De nouveaux besoins en matière de santé sexuelle et reproductrice chez les jeunes adolescents sont très mal gérés, alors que de nouveaux risques sanitaires font leur apparition. Qui plus est, tous les jeunes n’ont pas les mêmes chances de mobilité, et un très grand nombre est exclu des processus de prise de décisions sur des questions qui les intéressent au premier chef. Le Président Macky Sall a compris et pris en charge très tôt la problématique de l’employabilité des jeunes, et il a articulé sa stratégie d’un Sénégal émergent sur la valorisation du capital humain, qui est le balancier entre la transformation structurelle, la bonne gouvernance, la paix et la sécurité. Il faut reconnaitre pourtant qu’il reste encore beaucoup à faire. Si tous les Gouvernements qui ont précédé les siens des indépendances à 2012, avaient fait comme lui, le chômage et la pauvreté auraient disparu. Des réformes s’imposent et les stratégies post COVID des pays africains se doivent de garder en ligne de mire deux axes essentiels : les réformes des systèmes éducatifs, et les réformes agraires.
Les réformes des systèmes éducatifs sont impératives et nécessaires, si l’on veut réguler certains facteurs d’instabilité comme le taux d’analphabétisme encore élevé et le niveau de pauvreté, couplés à la dynamique démographique qui exerce une redoutable pression sur le secteur de l’éducation. Au Sénégal par exemple, la population a crû de 2,75% par an en moyenne, et le taux de fécondité est très élevé, atteignant 4,9 enfants par femme en moyenne en 2013, et 6,1 en zone rurale (selon les données de la Banque Mondiale en 2007 et de l’ANSD en 2016). Si une telle tendance se confirmait, elle pourrait aboutir à un doublement de la population dans un quart de siècle. Cela entrainerait naturellement une importante pression démographique sur le secteur de l’éducation, qui devrait alors accroître l’offre éducative, tout en assurant un enseignement de qualité, face à une population estudiantine en forte croissance. Le décrochage, d’environ 8% au primaire et au cycle moyen, estencore important. En outre, 27% des enfants en âge d’aller à l’école n’y vont pas (OCDE 2017). Le niveau acquis des apprentissages est particulièrement bas et seulement 51,8% des élèves obtiennent le brevet de fin d’études moyennes, à la fin du cycle fondamental. Les marges de manœuvre du Gouvernement du Président Macky Sall sont notamment entravées par une politique économique inadaptée, héritée de politiques publiques passées inefficaces et dont les effets se font toujours ressentir.
 Face à ces multiples constats, les réformes des systèmes éducatifs devraient être orientées vers une diversification de l’offre éducative, basée sur une réhabilitation de l’éducation non formelle, l’amélioration du niveau d’analphabétisme, une réponse à la demande d’enseignement religieux orientée vers le patriotisme et la citoyenneté, et une meilleure valorisation de la formation professionnelle et technique. Concomitamment, les enseignants devraient être mieux formés, au sein de centres de formation adaptés. Le système de formation continue, qui facilite leur évaluation et leur certification, devrait également être renforcé, et une politique de professionnalisation du personnel de l’éducation élaborée et mise en œuvre. L’enseignement supérieur ne doit pas être en reste. L’éducation et la formation supérieure sont bien les deux piliers sur lesquels repose le développement. Leur absence conduit toujours à déséquilibrer la croissance, particulièrement fragilisée par cette détestable pandémie. Au cours des prochaines années, la demande en denrées alimentaires des grands pays émergents comme la Chine et l’Inde ne cessera de croître. A l’horizon de 2050, dans ces pays, selon certains scénariis, la raréfaction de l’eau pourrait faire chuter la production de riz ou de blé de 30 à 50%. C’est la raison pour laquelle les regards se tournent de plus en plus vers l’Afrique, une région du monde qui a été largement tenue en dehors de la révolution verte de l’après-guerre. Notre Continent dispose d’un potentiel en terres arables très important, estimé à plus de 219 millions d’hectares, soit 7% de la superficie mondiale, selon la Banque Mondiale, et l’on trouve en Afrique plus de la moitié des terres arables inutilisées dans le monde. Selon une étude de Mc Kinsley Institute, une vraie révolution verte en Afrique pourrait tripler la production agricole d’ici 2030, pour une rentabilité de plus de 900 milliards de dollars US par an. Mais pour y arriver, il nous faudra porter le principal rendement de nos céréales à 80 % de la moyenne mondiale, en exploitant la majorité des terres arables. Au-delà des considérations économiques, la révolution verte en Afrique est un impératif moral, car l’insécurité alimentaire, dont le seuil est de 2200 calories par jour, pourrait concerner 500 millions de personnes et entrainer une forte mortalité d’ici 2020. La pandémie qui affecte le Monde pourrait largement l’amplifier. Les infrastructures rurales ont été grandement négligées pendant plusieurs décennies, ce qui explique la faiblesse de la productivité dans ce secteur. La valorisation de nos ressources est nécessaire pour l’Afrique, mais aussi pour le reste du Monde.
Notre Continent, qui pendant longtemps à été nourri par l’aide alimentaire mondiale, doit maintenant aider à nourrir le Monde, tout en tirant des avantages certains de cette situation. La production agricole pourrait passer de 300 milliards de USD à 900 milliards de USD, d’ici 2030. Cette augmentation tirerait la demande d’engrais et de semences en amont, tout en stimulant la croissance des activités de transformation en aval, avec la fabrication d’énergie propre, le raffinage des céréales et le bio-carburant. La combinaison de l’aval et de l’amont pourrait générer un chiffre d’affaire additionnel de plus de 300 milliards de USD. Le Président Macky Sall, qui a parfaitement compris ces enjeux, a toujours donné une place de choix à l’agriculture. Nul doute qu’avec lui, nous réaliserons notre auto-suffisance alimentaire. Dans la 3ème Edition du Tam Tam, j’avais mis l’accent sur la révolution agraire qui avait été rendue possible grâce au PSE, et le Ministre de l’Agriculture et de l’Equipement Rural en avait fait le bilan, et avait décliné des perspectives porteuses d’espoir. Le Président Macky Sall a une claire conscience de l’importance de l’agriculture, et il a, en ce sens, placé le paysan et la femme rurale au cœur de ce processus de transformation structurelle agraire vers la modernité et l’industrialisation. Toutes ces questions ont été abordées par les panelistes et les intervenants. Les principales recommandations de nos travaux ont tourné autour de deux axes essentiels, déclinés dans douze points fondamentaux. L’impérieuse priorité est de gagner rapidement la guerre contre le virus, partout dans le monde. L’autre nécessité incontournable est celle d’un « nouveau deal» à construire et à mettre en œuvre à travers des actions coordonnées, au niveau continental et global. Pour réaliser l’Afrique que nous voulons et matérialiser les objectifs que nous nous sommes fixés dans l’Agenda 2063, il nous faut œuvrer sans relâche, et gagner ces paris.
Jeudi 8 Avril 2021




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