Un règlement en Libye aux calendes grecques après la démission de l'émissaire de l'ONU


La démission fracassante de l'émissaire de l'ONU pour la Libye, Abdoulaye Bathily, acte l'échec des efforts de réconciliation entre dirigeants rivaux qu'il a ouvertement accusés de pérenniser la division du pays au service de leurs propres intérêts.

En poste depuis 18 mois seulement, le diplomate sénégalais à la tête de la mission de l'ONU en Libye (Manul) a annoncé mardi avoir présenté sa démission au secrétaire général Antonio Guterres, en tirant à boulets rouges sur les principaux protagonistes dans un pays en proie au chaos et à des cycles de violences fratricides depuis la chute du régime de Kadhafi en plein Printemps arabe en 2011.

Constatant une "détérioration" de la situation ces derniers mois, M. Bathily a dénoncé "le manque de volonté politique et de bonne foi des dirigeants libyens qui sont contents de l'impasse actuelle".

Le pays est en effet gouverné par deux exécutifs rivaux. L'un à Tripoli (Ouest) est dirigé par Abdelhamid Dbeibah et reconnu par l'ONU, l'autre dans l'Est, est incarné par le Parlement et affilié au camp du maréchal Khalifa Haftar, dont le fief est à Benghazi.

Des élections présidentielle et législatives étaient prévues en décembre 2021 mais avaient été reportées sine die en raison de divergences entre camps rivaux, faisant perdurer l'instabilité politique.

"La détermination égoïste des dirigeants actuels à maintenir le statu quo par des manoeuvres et tactiques dilatoires, aux dépens du peuple libyen, doit stopper", a cinglé M. Bathily, qui a également pointé du doigt sans les nommer les sponsors étrangers des deux camps rivaux.

Pour Jalel Harchaoui, chercheur associé auprès de l'institut britannique Royal United Services (RUSI), le départ de Bathily n'est pas surprenant "pour la simple raison que le processus qu'il menait depuis plusieurs mois était déjà entièrement exsangue".

- "Sabotage" -
Selon lui, les efforts de M. Bathily ont largement été sapés par l'Egypte qui, avec les Emirats arabes unis, est le principal soutien du camp du maréchal Haftar face aux autorités de l'Ouest appuyées, elles, par la Turquie notamment.

"Cette situation est le résultat de plusieurs facteurs dont notamment une politique égyptienne consistant à systématiquement contredire la logique relativement cohérente que tentait d'insuffler Bathily", a indiqué ce spécialiste de la Libye à l'AFP.

"Face au sabotage du Caire, les grandes démocraties occidentales comme les Etats-unis ou la France n'ont jamais, d'une manière authentique, soutenu Bathily, préférant, d'une manière passive, éviter de froisser le géant égyptien", a-t-il ajouté.

Pour Emad Badi, expert à l'Atlantic Council, le départ de Bathily intervient à un "tournant indéniable où le vernis de stabilité qui prévalait en Libye ces dernières années est en train de disparaître".

En attendant un successeur, c'est l'Américaine Stephanie Koury, désignée en mars comme adjointe de M. Bathily pour les affaires politiques, qui assurera l'intérim, un remake du scénario du mandat intérimaire de sa compatriote Stephanie Williams après le départ en mars 2020 de Ghassan Salamé.

Williams avait réussi à rassembler en juin 2022 à Genève des représentants libyens et à aboutir à un accord politique et à la désignation d'un gouvernement intérimaire pour organiser les scrutins présidentiel et parlementaire de fin 2021.

Il est "très probable" de voir Mme Koury "émerger comme envoyée spéciale intérimaire", ce qui serait "un arrangement permettant aux Etats-Unis de mener la Manul sans devoir affronter un veto russe au Conseil de sécurité" de l'ONU, estime M. Harchaoui.

Son rôle actuel d'adjointe permettrait à Mme Koury d'assurer un intérim en l'absence du chef de mission, mais sans le soutien du Conseil de sécurité, elle serait "limitée dans ce qu'elle peut accomplir", a pour sa part affirmé M. Badi.
Mercredi 17 Avril 2024
Dakaractu



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