Le Sénégal vient de connaitre encore une fois l’entrisme d’une partie de l’opposition significative dans le Gouvernement de la mouvance présidentielle. Cette nouvelle configuration vient conforter le mode traditionnel d’interaction au sein du système politique de notre pays, autour des règles du jeu politique longtemps inchangés entre les acteurs du Système et ceux de l’anti-Système. En effet, la dialectique politique de notre pays ne se joue pas, comme nous avons tendance à le croire, entre la dualité Pouvoir et opposition, mais plutôt entre la suprématie du Système sur l’anti-Système.
De toute l’histoire postcoloniale du Sénégal, qu’ils soient politiques, religieux ou simples notables avec une représentativité sociale ou économique, les hommes du Système ont toujours tiré les ficelles du jeu politique et ont constamment pesé sur le devenir du pays. A la veille des indépendances, il y a eu une tentative d’ostraciser les religieux par le nouveau Système qui était en train de se constituer avec le rassemblement de tous les hommes politiques au sein de l’UPS suite à la fusion d’abord entre le BDS de Senghor et l’UDS pour donner naissance au BPS avant que ce dernier ne fusionne en 1958 avec le PSAS de Lamine Gueye pour donner l’UPS l’ancêtre du PS.
L’histoire est témoin du rôle éminemment important que Serigne Cheikh Tidiane SY a joué pour rétablir la légitimité sociale du Guide religieux dans ses relations avec l’Etat et faire partie du Système qui était en train de se formaliser. Son engagement politique et le soutien reçu d’autres chefs religieux comme Cheikh Ibrahima Niasse, de la branche tijaniya de Kaolack, en sont largement tributaires.
Ainsi, conformément aux orientations posthumes de son Père Serigne Babacar Sy à propos d’une certaine précocité de la proclamation de l’indépendance mais aussi du fait de son manque de confiance à l’endroit de cette nouvelle élite politique sénégalaise, Serigne Cheikh appela à voter « oui » au référendum de 1958 mais s’opposa vigoureusement au vote par l’Assemblée législative de la nouvelle constitution en 1959. Serigne Cheikh la jugeait dangereuse et non conforme aux aspirations profondes des sénégalais, d’où la création de son parti politique pour s’opposer à l’UPS, ancêtre de l’actuel Parti Socialiste, qui regroupait les principaux acteurs politiques que comptait le Sénégal : Senghor, Dia, Lamine Gueye, Valdiodio Ndiaye.
Ce rappel historique est important dans le déterminisme des rapports qui ont prévalu entre le pouvoir politique et religieux au Sénégal et l’émergence du Système politique en vigueur dans notre pays. En effet, l’opposition de Serigne Cheikh au pouvoir va renforcer la légitimité sociale du pouvoir religieux à deux niveaux.
D’une part, Serigne Cheikh va sortir le Marabout du cadre strictement religieux, je veux dire en sa qualité d’éducateur en sciences coraniques et de dispensateur de bénédictions. Le Marabout s’engage, s’oppose et confirmera plus tard son statut de véritable acteur de développement économique car Serigne Cheikh deviendra successivement ambassadeur, agriculteur et industriel.
D’autre part, avec son engagement politique, Serigne Cheikh rendra un service précieux aux religieux qui soutenaient le pouvoir contre lui. En effet, son engagement poussa le pouvoir à aller chercher des soutiens d’autres chefs religieux les confortant par la même occasion dans leur légitimité en tant que porteur de voix et acteurs majeurs de la vie sociale sénégalaise.
Ceci contribuera à raffermir les relations entre le « prince » et le religieux et l’émergence d’un nouveau Système bipolaire
Comme l’ont souligné Jean Bossuyt et Ismail Madior Fall (2013) dans une étude privée sur l’Analyse d’économie politique du Sénégal, « Pour bien asseoir l’Etat, le pouvoir politique a négocié avec les légitimités concurrentes (chefs traditionnels et courtiers politiques efficaces) et notamment les hiérarques des confréries, qui regroupent la majeure partie des Sénégalais, un « contrat de stabilisation sociale » dont les termes reposent sur le commerce de la loyauté politique par des échanges de bons procédés profitant aux deux parties. »
Ce Système a perduré jusqu’à nos jours avec des combinaisons et des intrigues selon les intérêts et enjeux du moment mais aussi les ambitions des acteurs qui le nourrissent. Les hommes du Système discutent, se concertent directement ou par personne interposée, dans l’intimité des salons des religieux ou de notables et souvent pour « l’intérêt supérieur de la Nation » lorsque le pays traversait des moments d’incertitude ou de crises.
Au-delà de l’émotion que cela suscite auprès de nos concitoyens qui considèrent souvent ce jeu politique comme une forme de complot sur le dos du peuple, il faut reconnaitre que ces intrigues ont souvent sauvé le Sénégal du chaos du moins de l’instabilité. En effet, le Sénégal détient depuis belle lurette son cinquième pouvoir qui, de manière active ou passive, intervient dans la marche du pays, jouant son rôle de régulateur en tant que contre-pouvoir, ou en connivence avec le pouvoir exécutif pour maintenir l’ordre républicain.
En face l’anti-Système
Face au Système, des hommes ont toujours incarné l’antisystème au risque de se marginaliser, hors des cercles qui font la marche du pays. Mamadou Dia a été l’une des premières victimes du Système. Il a été accusé à tort ou à raison d’avoir des ambitions défavorables à certains acteurs du Système en l’occurrence les Marabouts du Sénégal. Selon ses propres écrits, Mamadou Dia soutenait : « J’avais entrepris une campagne de clarification sur l’islam. Etant donné ce qu’on avait fait de l’islam au Sénégal, en utilisant certains marabouts complètement dépersonnalisés, et les déviations qui ont donné naissance à des mœurs établies par le système colonial j’ai, comme musulman, essayé d’opérer un redressement. (Mamadou Dia, Afrique le prix de la liberté, L’Harmattan, Paris, 2001, P. 170)
De là à penser que Mamadou DIA voulait mettre au pas la classe maraboutique en les dépouillant de leurs « privilèges » et d’en faire des acteurs dans sa nouvelle conception du développement, le pas était vite franchi. Il poursuit dans la même verve que « si on voulait que l’islam devienne un facteur de progrès et de développement - dans un pays, faut-il le rappeler, à écrasante majorité musulmane – il convenait courageusement de favoriser le retour à un Islam pur, à un Islam des sources »
Le Président DIA, en tant que Président du Conseil chargé de l’Exécutif dans un contexte de néo-indépendance et de décolonisation, pouvait être perçu par la classe maraboutique comme le nègre blanc qui après la colonisation par le blanc européen aller instaurer une nouvelle forme de colonisation.
Cette perception de certains cadres africains de l’Administration coloniale de l’époque par la classe maraboutique de leur temps est décelée à travers les propos de Serigne Babacar SY rapportés par un de ses fils, Abdoul Aziz SY Al Amine.
Lors du vote de la loi Cadre qui devait donner plus d’autonomie aux colonies, Serigne Babacar SY, alors Khalife Général des Tidianes, prédisait l’émergence d’une classe de « nègres blancs » représentée par certains membres de l’administration coloniale qui luttait pour l’indépendance du pays juste pour substituer à la colonisation française une nouvelle forme de domination de l’africain par ses pairs. Il craignait que la proclamation précoce de l’Indépendance du pays puisse déstructurer les rapports entre gouvernés et gouvernants et entraîner le pays dans le chaos. Par indépendance précoce, il faudrait peut-être comprendre, le fait que la transition nécessaire entre la chute du pouvoir colonial et l’émergence d’un leadership endogène ne soit pas matérialisée par la mise en place d’un nouveau cadre de gouvernance continuant l’Etat sans mimer le colon. Tout le débat sur la substitution d’une domination à une autre en gardant toutes les tares de la précédente. Les propos prémonitoires de Serigne Babacar ont-ils inspirés quelques années plus tard certains marabouts de l’époque qui ont vu d’un mauvais œil les tentatives non concertées du Président DIA de restructurer les fonctions maraboutiques et revoir ses rapports à l’Etat et au progrès économique ?
De toute façon, sans insinuer une attitude de Mamadou Dia voulant instaurer une nouvelle forme de domination du sénégalais par son vis-à-vis et encore moins casser l’hégémonie du Marabout dans la vie sociale des sénégalais, sa démarche pouvait inquiéter les chefs religieux musulmans, toutes confréries confondues.
Mon avis est que Mamadou DIA voulait reconsidérer la fonction maraboutique dans le tissu social sénégalais pour la mouler de manière efficace voire utilitariste dans sa nouvelle stratégie de développement économique et social.
Le problème est qu’en tant qu’acteur de l’anti-Système, il s’y est, peut-être, pris sans assez de doigté comme d’ailleurs avec toutes les élites de l’époque qui bénéficiaient de privilèges de l’Etat, membre à part entière du Système. La politique de DIA pour la construction d’un nouvel Etat postcolonial, pouvait être perçue comme une manière de niveler par le bas la mise à disposition du peu de ressources disponibles afin d’en faire profiter le plus grand nombre.
Nous connaissons la suite. DIA fut accusé de coup d’Etat par Senghor qui le destitua et l’emprisonna avec l’assentiment des principaux acteurs du Système de l’époque et surtout avec l’indifférence de la classe Maraboutique. Comment pourrait-il, logiquement, faire intervenir ceux à qui il cherchait à dépouiller du rôle même de médiateurs ?
En ma connaissance, aucun chef religieux, musulman ni chrétien, ne s’est offusqué de l’emprisonnement de DIA car l’homme manquait, peut-être de pédagogie pour rassembler les sénégalais autour de sa politique de développement économique et social qui comportaient sans nul doute un atout certain pour mettre les sénégalais au travail après plus de deux siècles de domination.
Faut-il le dire, inconsciemment ou volontairement, la politique de DIA était antinomique du maintien du Système.Dia voulait d’une politique agricole basée sur le système coopératif qui repose essentiellement sur l’égalité des membres dans le management et l’usufruit. Les marabouts acteurs du Système voulaient instaurer un schéma agricole où le disciple s’est volontairement vassalisé en ouvrier agricole dans une forme d’économie morale difficilement appréhendée par les théories marxisantes de l’époque dominée par les concepts de lutte des classes et d’exploitation.
Le système de prévoyance et d’assistance sociale proposé par DIA était fondé sur la mutualisation selon des schémas économiques compris des seules élites alors que les acteurs du Système jouaient déjà un rôle de collecteur et redistributeur des ressources dans un cadre informel mais faisant sens dans leur conception du monde et des rapports sociaux. Dès lors, par son caractère intelligible des peuples que prétendaient défendre des élites incomprises parce qu’insuffisamment pédagogues, le Système survivra à tous les régimes de Senghor à Macky Sall.
De Senghor à Macky ; la continuité saccadée ?
Depuis lors, le jeu politique continue de se jouer entre les acteurs du Système. L’histoire politique récente de notre pays a vu Abdoulaye Wade s’opposer farouchement à Abdou Diouf avant de rentrer deux fois dans son Gouvernement au nom de la préservation de la paix sociale et ceci, jusqu’à son accession à la magistrature suprême.
A côté de cette marche de la Nation, les hommes de l’anti-Système cheminaient parallèlement en faisant bouger de temps à autres les lignes tracées par le Système. En vérité, les acteurs de l’antisystème n’ont jamais fait le pays, même s’ils ont de temps à autre, joué un rôle pour recadrer les dérives du Système. Majmouth Diop, Cheikh Anta Diop, Amath Dansokho, en tant qu’acteurs de l’anti-Système, n’ont jamais pu casser le système. Au contraire, le système s’est souvent servi d’eux pour arriver à ses fins.
Le Système, facteur de résilience politique ?
Tous ces faits historiques montrent encore une fois la capacité de résilience politique de notre pays quand l’intérêt supérieur du Système tant décrié est en jeu. En empruntant les mots de La Fontaine, il peut arriver que le Système « plie, mais ne rompt pas ». C’est en cela qu’il permet la respiration démocratique nécessaire sans annoncer les moindres signaux de son dernier soupir. En effet, la paix sociale et la sérénité dans l’Exécutif sont des conditions sine qua non pour amorcer un développement socio-économique durable et inclusif si et seulement si, les belligérants politiques ne complotent pas sur le dos peuple.
Le Sénégal est à un tournant décisif de son histoire, requérant une gestion concertée et transparente de ses ressources actuelles et futures. Pour cela, il a besoin de tout le capital humain à même de participer efficacement à la perpétuation du Système. Toutefois, ces compromis forts ne doivent pas céder à quelque forme de compromission comme le redoutent, à tort ou à raison, certains esprits sceptiques face à ces alliances régulières entre acteurs du Système.
L’exemplarité du Sénégal dans son modèle du Vivre ensemble semblent réconfortantes face aux dérives que nous voyons dans des pays autour de nous. Au moment où nos pays voisins sont empêtrés dans des confrontations post électorales et des coups d’état militaires, notre Système a permis deux alternances démocratiques et une paix sociale que nombre d’entre-eux nous envient. La perfection n’étant pas de ce monde, le Sénégal a peut être besoin de son Système. En fait, si le Système perdure, c’est parce que, naturellement, le Peuple y trouve encore son confort et ce dernier n’hésite surtout pas de se défaire de l’anti-Système quand ses ressorts de stabilité sont menacés. Contrairement à l’assertion de Karl Marx sur le Libéralisme qui détient les germes de sa propre destruction, ici, le Système renferme les germes de sa pérennité. Pour autant, peut-on se passer de l’anti-Système, Sachant que les acteurs de l’anti-Système sont souvent les agneaux du sacrifice sur l’autel d’un intérêt général dont le contenu peut être toujours discuté ?A l’image de Dieu qui a créé l’homme pour, entre autres raisons, affirmer sa déité, le Système a besoin de l’anti-Système pour montrer sa suprématie car il faut un tout pour l’équilibre du Système. Et si par malheur l’anti-Système n’existait pas dans notre landerneau politique il faudrait assurément le créer. Eternelle lutte entre l’ordre et le mouvement ou « mal nécessaire », d’où n’est sorti pour le moment qu’un bien qui a pour nom la stabilité !
Cheikh Tidiane SY Al Amine
Citoyen
De toute l’histoire postcoloniale du Sénégal, qu’ils soient politiques, religieux ou simples notables avec une représentativité sociale ou économique, les hommes du Système ont toujours tiré les ficelles du jeu politique et ont constamment pesé sur le devenir du pays. A la veille des indépendances, il y a eu une tentative d’ostraciser les religieux par le nouveau Système qui était en train de se constituer avec le rassemblement de tous les hommes politiques au sein de l’UPS suite à la fusion d’abord entre le BDS de Senghor et l’UDS pour donner naissance au BPS avant que ce dernier ne fusionne en 1958 avec le PSAS de Lamine Gueye pour donner l’UPS l’ancêtre du PS.
L’histoire est témoin du rôle éminemment important que Serigne Cheikh Tidiane SY a joué pour rétablir la légitimité sociale du Guide religieux dans ses relations avec l’Etat et faire partie du Système qui était en train de se formaliser. Son engagement politique et le soutien reçu d’autres chefs religieux comme Cheikh Ibrahima Niasse, de la branche tijaniya de Kaolack, en sont largement tributaires.
Ainsi, conformément aux orientations posthumes de son Père Serigne Babacar Sy à propos d’une certaine précocité de la proclamation de l’indépendance mais aussi du fait de son manque de confiance à l’endroit de cette nouvelle élite politique sénégalaise, Serigne Cheikh appela à voter « oui » au référendum de 1958 mais s’opposa vigoureusement au vote par l’Assemblée législative de la nouvelle constitution en 1959. Serigne Cheikh la jugeait dangereuse et non conforme aux aspirations profondes des sénégalais, d’où la création de son parti politique pour s’opposer à l’UPS, ancêtre de l’actuel Parti Socialiste, qui regroupait les principaux acteurs politiques que comptait le Sénégal : Senghor, Dia, Lamine Gueye, Valdiodio Ndiaye.
Ce rappel historique est important dans le déterminisme des rapports qui ont prévalu entre le pouvoir politique et religieux au Sénégal et l’émergence du Système politique en vigueur dans notre pays. En effet, l’opposition de Serigne Cheikh au pouvoir va renforcer la légitimité sociale du pouvoir religieux à deux niveaux.
D’une part, Serigne Cheikh va sortir le Marabout du cadre strictement religieux, je veux dire en sa qualité d’éducateur en sciences coraniques et de dispensateur de bénédictions. Le Marabout s’engage, s’oppose et confirmera plus tard son statut de véritable acteur de développement économique car Serigne Cheikh deviendra successivement ambassadeur, agriculteur et industriel.
D’autre part, avec son engagement politique, Serigne Cheikh rendra un service précieux aux religieux qui soutenaient le pouvoir contre lui. En effet, son engagement poussa le pouvoir à aller chercher des soutiens d’autres chefs religieux les confortant par la même occasion dans leur légitimité en tant que porteur de voix et acteurs majeurs de la vie sociale sénégalaise.
Ceci contribuera à raffermir les relations entre le « prince » et le religieux et l’émergence d’un nouveau Système bipolaire
Comme l’ont souligné Jean Bossuyt et Ismail Madior Fall (2013) dans une étude privée sur l’Analyse d’économie politique du Sénégal, « Pour bien asseoir l’Etat, le pouvoir politique a négocié avec les légitimités concurrentes (chefs traditionnels et courtiers politiques efficaces) et notamment les hiérarques des confréries, qui regroupent la majeure partie des Sénégalais, un « contrat de stabilisation sociale » dont les termes reposent sur le commerce de la loyauté politique par des échanges de bons procédés profitant aux deux parties. »
Ce Système a perduré jusqu’à nos jours avec des combinaisons et des intrigues selon les intérêts et enjeux du moment mais aussi les ambitions des acteurs qui le nourrissent. Les hommes du Système discutent, se concertent directement ou par personne interposée, dans l’intimité des salons des religieux ou de notables et souvent pour « l’intérêt supérieur de la Nation » lorsque le pays traversait des moments d’incertitude ou de crises.
Au-delà de l’émotion que cela suscite auprès de nos concitoyens qui considèrent souvent ce jeu politique comme une forme de complot sur le dos du peuple, il faut reconnaitre que ces intrigues ont souvent sauvé le Sénégal du chaos du moins de l’instabilité. En effet, le Sénégal détient depuis belle lurette son cinquième pouvoir qui, de manière active ou passive, intervient dans la marche du pays, jouant son rôle de régulateur en tant que contre-pouvoir, ou en connivence avec le pouvoir exécutif pour maintenir l’ordre républicain.
En face l’anti-Système
Face au Système, des hommes ont toujours incarné l’antisystème au risque de se marginaliser, hors des cercles qui font la marche du pays. Mamadou Dia a été l’une des premières victimes du Système. Il a été accusé à tort ou à raison d’avoir des ambitions défavorables à certains acteurs du Système en l’occurrence les Marabouts du Sénégal. Selon ses propres écrits, Mamadou Dia soutenait : « J’avais entrepris une campagne de clarification sur l’islam. Etant donné ce qu’on avait fait de l’islam au Sénégal, en utilisant certains marabouts complètement dépersonnalisés, et les déviations qui ont donné naissance à des mœurs établies par le système colonial j’ai, comme musulman, essayé d’opérer un redressement. (Mamadou Dia, Afrique le prix de la liberté, L’Harmattan, Paris, 2001, P. 170)
De là à penser que Mamadou DIA voulait mettre au pas la classe maraboutique en les dépouillant de leurs « privilèges » et d’en faire des acteurs dans sa nouvelle conception du développement, le pas était vite franchi. Il poursuit dans la même verve que « si on voulait que l’islam devienne un facteur de progrès et de développement - dans un pays, faut-il le rappeler, à écrasante majorité musulmane – il convenait courageusement de favoriser le retour à un Islam pur, à un Islam des sources »
Le Président DIA, en tant que Président du Conseil chargé de l’Exécutif dans un contexte de néo-indépendance et de décolonisation, pouvait être perçu par la classe maraboutique comme le nègre blanc qui après la colonisation par le blanc européen aller instaurer une nouvelle forme de colonisation.
Cette perception de certains cadres africains de l’Administration coloniale de l’époque par la classe maraboutique de leur temps est décelée à travers les propos de Serigne Babacar SY rapportés par un de ses fils, Abdoul Aziz SY Al Amine.
Lors du vote de la loi Cadre qui devait donner plus d’autonomie aux colonies, Serigne Babacar SY, alors Khalife Général des Tidianes, prédisait l’émergence d’une classe de « nègres blancs » représentée par certains membres de l’administration coloniale qui luttait pour l’indépendance du pays juste pour substituer à la colonisation française une nouvelle forme de domination de l’africain par ses pairs. Il craignait que la proclamation précoce de l’Indépendance du pays puisse déstructurer les rapports entre gouvernés et gouvernants et entraîner le pays dans le chaos. Par indépendance précoce, il faudrait peut-être comprendre, le fait que la transition nécessaire entre la chute du pouvoir colonial et l’émergence d’un leadership endogène ne soit pas matérialisée par la mise en place d’un nouveau cadre de gouvernance continuant l’Etat sans mimer le colon. Tout le débat sur la substitution d’une domination à une autre en gardant toutes les tares de la précédente. Les propos prémonitoires de Serigne Babacar ont-ils inspirés quelques années plus tard certains marabouts de l’époque qui ont vu d’un mauvais œil les tentatives non concertées du Président DIA de restructurer les fonctions maraboutiques et revoir ses rapports à l’Etat et au progrès économique ?
De toute façon, sans insinuer une attitude de Mamadou Dia voulant instaurer une nouvelle forme de domination du sénégalais par son vis-à-vis et encore moins casser l’hégémonie du Marabout dans la vie sociale des sénégalais, sa démarche pouvait inquiéter les chefs religieux musulmans, toutes confréries confondues.
Mon avis est que Mamadou DIA voulait reconsidérer la fonction maraboutique dans le tissu social sénégalais pour la mouler de manière efficace voire utilitariste dans sa nouvelle stratégie de développement économique et social.
Le problème est qu’en tant qu’acteur de l’anti-Système, il s’y est, peut-être, pris sans assez de doigté comme d’ailleurs avec toutes les élites de l’époque qui bénéficiaient de privilèges de l’Etat, membre à part entière du Système. La politique de DIA pour la construction d’un nouvel Etat postcolonial, pouvait être perçue comme une manière de niveler par le bas la mise à disposition du peu de ressources disponibles afin d’en faire profiter le plus grand nombre.
Nous connaissons la suite. DIA fut accusé de coup d’Etat par Senghor qui le destitua et l’emprisonna avec l’assentiment des principaux acteurs du Système de l’époque et surtout avec l’indifférence de la classe Maraboutique. Comment pourrait-il, logiquement, faire intervenir ceux à qui il cherchait à dépouiller du rôle même de médiateurs ?
En ma connaissance, aucun chef religieux, musulman ni chrétien, ne s’est offusqué de l’emprisonnement de DIA car l’homme manquait, peut-être de pédagogie pour rassembler les sénégalais autour de sa politique de développement économique et social qui comportaient sans nul doute un atout certain pour mettre les sénégalais au travail après plus de deux siècles de domination.
Faut-il le dire, inconsciemment ou volontairement, la politique de DIA était antinomique du maintien du Système.Dia voulait d’une politique agricole basée sur le système coopératif qui repose essentiellement sur l’égalité des membres dans le management et l’usufruit. Les marabouts acteurs du Système voulaient instaurer un schéma agricole où le disciple s’est volontairement vassalisé en ouvrier agricole dans une forme d’économie morale difficilement appréhendée par les théories marxisantes de l’époque dominée par les concepts de lutte des classes et d’exploitation.
Le système de prévoyance et d’assistance sociale proposé par DIA était fondé sur la mutualisation selon des schémas économiques compris des seules élites alors que les acteurs du Système jouaient déjà un rôle de collecteur et redistributeur des ressources dans un cadre informel mais faisant sens dans leur conception du monde et des rapports sociaux. Dès lors, par son caractère intelligible des peuples que prétendaient défendre des élites incomprises parce qu’insuffisamment pédagogues, le Système survivra à tous les régimes de Senghor à Macky Sall.
De Senghor à Macky ; la continuité saccadée ?
Depuis lors, le jeu politique continue de se jouer entre les acteurs du Système. L’histoire politique récente de notre pays a vu Abdoulaye Wade s’opposer farouchement à Abdou Diouf avant de rentrer deux fois dans son Gouvernement au nom de la préservation de la paix sociale et ceci, jusqu’à son accession à la magistrature suprême.
A côté de cette marche de la Nation, les hommes de l’anti-Système cheminaient parallèlement en faisant bouger de temps à autres les lignes tracées par le Système. En vérité, les acteurs de l’antisystème n’ont jamais fait le pays, même s’ils ont de temps à autre, joué un rôle pour recadrer les dérives du Système. Majmouth Diop, Cheikh Anta Diop, Amath Dansokho, en tant qu’acteurs de l’anti-Système, n’ont jamais pu casser le système. Au contraire, le système s’est souvent servi d’eux pour arriver à ses fins.
Le Système, facteur de résilience politique ?
Tous ces faits historiques montrent encore une fois la capacité de résilience politique de notre pays quand l’intérêt supérieur du Système tant décrié est en jeu. En empruntant les mots de La Fontaine, il peut arriver que le Système « plie, mais ne rompt pas ». C’est en cela qu’il permet la respiration démocratique nécessaire sans annoncer les moindres signaux de son dernier soupir. En effet, la paix sociale et la sérénité dans l’Exécutif sont des conditions sine qua non pour amorcer un développement socio-économique durable et inclusif si et seulement si, les belligérants politiques ne complotent pas sur le dos peuple.
Le Sénégal est à un tournant décisif de son histoire, requérant une gestion concertée et transparente de ses ressources actuelles et futures. Pour cela, il a besoin de tout le capital humain à même de participer efficacement à la perpétuation du Système. Toutefois, ces compromis forts ne doivent pas céder à quelque forme de compromission comme le redoutent, à tort ou à raison, certains esprits sceptiques face à ces alliances régulières entre acteurs du Système.
L’exemplarité du Sénégal dans son modèle du Vivre ensemble semblent réconfortantes face aux dérives que nous voyons dans des pays autour de nous. Au moment où nos pays voisins sont empêtrés dans des confrontations post électorales et des coups d’état militaires, notre Système a permis deux alternances démocratiques et une paix sociale que nombre d’entre-eux nous envient. La perfection n’étant pas de ce monde, le Sénégal a peut être besoin de son Système. En fait, si le Système perdure, c’est parce que, naturellement, le Peuple y trouve encore son confort et ce dernier n’hésite surtout pas de se défaire de l’anti-Système quand ses ressorts de stabilité sont menacés. Contrairement à l’assertion de Karl Marx sur le Libéralisme qui détient les germes de sa propre destruction, ici, le Système renferme les germes de sa pérennité. Pour autant, peut-on se passer de l’anti-Système, Sachant que les acteurs de l’anti-Système sont souvent les agneaux du sacrifice sur l’autel d’un intérêt général dont le contenu peut être toujours discuté ?A l’image de Dieu qui a créé l’homme pour, entre autres raisons, affirmer sa déité, le Système a besoin de l’anti-Système pour montrer sa suprématie car il faut un tout pour l’équilibre du Système. Et si par malheur l’anti-Système n’existait pas dans notre landerneau politique il faudrait assurément le créer. Eternelle lutte entre l’ordre et le mouvement ou « mal nécessaire », d’où n’est sorti pour le moment qu’un bien qui a pour nom la stabilité !
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