HOMMAGE À CHEIKH MOUHIEDINE SAMBA DIALLO : Un marabout atypique, ravi à notre affection. (1957 – 2020)


Un homme de tête ! Un intellectuel de très haut niveau ! Un leader ! Un manager ! Un coach ! Un bâtisseur ! Un architecte ! Un érudit ! Un exégète ! Un islamologue ! Un savant ! Un orateur à nul autre pareil ! 

 

Cheikh Mouhiédine Samba DIALLO, a vécu, chevillé sur son statut de marabout de son temps, venu au monde pour accomplir un devoir, un devoir d’enseignement à la Oummah, un devoir de bâtisseur d’infrastructures utiles à la localité de Sagne Mbamabara, agglomération devenue célèbre, du fait de sa particularité issue de son aura et de son œuvre grandiose. 

 

Cet homme multidimensionnel vient de quitter ce bas – monde, ce mercredi 15 à Avril 2020, à 23 heures, laissant orphelin cette bourgade, qui lui était si attachée à l’image du cordon ombilical liant une mère à son nouveau – né.

Vous avez vécu soixante - trois ans et une semaine. Vous êtes né en 1957, bien que l’année 1965 soit celle inscrite sur votre carte nationale d’identité. 

 

Vous êtes fils du saint homme Hamma DIALLA, un marabout d’ethnie bamabara, qui a habité cette bourgade, depuis plusieurs décennies. Il a vécu dans une case pendant de longues années, dans une ascèse que ses contemporains ont témoignée. Il fut un homme de Dieu, mu que par la crainte de son Seigneur. 

 

L’humilité a pavé son chemin. Son érudition et les pouvoirs mystiques à lui conférés par le Créateur, durant toute sa vie, n’ont jamais souffert d’une quelconque contradiction. Le fréquenter a suffi pour se rendre à l’évidence de ses privilèges divins. Il a vécu dans ce modeste hameau de quelques cases, que fut la contrée de Sagne.  

 

Vous êtes docteur ès lettres. Vous avez étudié dans les universités des pays arabes, comme la Libye, l’Egypte, etc. Vous êtes surnommé Alpha par vos intimes, vos proches et par les habitants de Sagne, voire par les habitants de Kaolack et ses environs. Vous êtes chef religieux, guide moral et vous jouez un rôle prépondérant dans cette contrée dont l’existence et l’évolution sont confondues à votre vie, à votre œuvre. Car, depuis que vous avez suppléé votre défunt père au Khalifat, vous avez imprimé à Sagne un nouveau visage, celui d’un village qui tend à la modernité.

 

Vous agrandissez la mosquée aux prix de plusieurs millions de francs. Mosquée dont le long minaret aux couleurs blanche et verte, s’aperçoit lorsqu’on emprunte la route qui mène à Kaolack, après Sibassor. Vous bâtissez une école franco – arabe, où les études sont gratuites. Qui comprend les cycles élémentaire, moyen, et secondaire pour un effectif de plus de six – cents élèves ; un centre social équipé de machines à coudre pour les femmes de la localité afin de les former sur le plan professionnel, en sus de leurs traditionnelles activités quotidiennes de survie. Entre autres réalisations à votre actif, vous construisez le mausolée du père Hamma dont la tombe, si particulière est surplombée d’un arbre si singulier et si large aux aspects de fleurs de choux, au point qu’aucun rayon de soleil ne puisse darder sur sa surface. Aucun pèlerin ne peut s’empêcher de s’émouvoir dès lors qu’il est devant cette tombe mystérieuse, où repose le saint homme. Vous bâtissez des maisons au style particulier, dont vous êtes l’architecte.

 

Vous entretenez les relations bilatérales entre nos deux familles ; relations issues de celles de notre oncle, Omar Niane MBOW qui fut le commissaire central de la police de Kaolack et votre défunt père. Vous perpétuez cette tradition de laquelle naitra, la nôtre via votre beau-frère et bras droit, mon ami Sandiougou COULIBALY que j’appelle affectueusement COULOU. Relation que je symbolise par le livre Haayatoul Makhsoudatoul Koubra que je vous ai offert, comme à feu imam Mouhamadou POUYE de Castors.

 

Par la force des choses, le temps aidant, notre relation se solidifie, à travers de l’une de vos épouses, celle – la, marocaine, Fatimatou Binetou Zahra, originaire de Casablanca dont je fus l’une des premières personnes à faire la connaissance, au Sénégal. Elle fut la directrice du centre de santé que vous construisez, il y’ a plus d’une décennie, dénommé Zin El Abidine, votre défunt fils, qu’il tient d’un petit – fils du prophète de l’islam (psl).

 

Me rappelant au bon souvenir du jour de son inauguration, en 2007, vous informez l’assemblée de l’origine licite des fonds ayant permis sa construction, une nécessité pour les populations de Sagne et environs. Vous apprenez à l’assistance les deux malades du cancer, venus d’Europe, que vous guérissez, par la Grâce de Dieu, partant des feuilles de cet arbre géant éclos sur la tombe du vieux Hamma, au quarantième jour de sa disparition, mesurant un mètre, aussitôt sorti de terre. Cela, après quarante jours de zikr de « La ilaaha ila lahou », en ce lieu de repos éternel, tel que recommandé, de son vivant, par le Saint homme.  

 

Vous laissez entendre que de la guérison du second cancéreux, vous recevez la somme de cent – onze millions de la part de son père, heureux d’avoir retrouvé la bonne santé de son enfant. Votre famille réunie, vous lui faites l’aveu que s’il advient que vous rendiez l’âme instantanément, cet argent est exclu de votre patrimoine, de l’héritage. Car, étant môme, atteint d’une douloureuse maladie, il vous a été, proscrit de vous soigner, dans un poste de santé, après avoir enduré les affres d’une longue queue, à la suite de laquelle vous êtes renvoyé, du fait de votre alphabétisation en langue arabe, contrairement à la langue française. Fort de cet affront, vous rentrez prier le Seigneur, jusqu’à l’apparition du prophète Mohamed, qui vous fait part de l’agrément de cette supplique inhérente à la mise à votre disposition d’une structure sanitaire où, sans exclusive, tout le monde pourrait se soigner.

 

Adulte, vous faites faire un devis relatif à la construction de celle - ci, par l’entrepreneur dont j’oublie le nom, celui – là, qui travaillait pour le vénéré Chékhal islam, El Hadj Ibrahima NIASS dit Baye. Un devis de cent – onze millions vous est servi, et ce dernier doutait de sa réalisation eu égard à son coût exorbitant. Méconnaissant votre foi en Dieu, qui vous rappelle l’omnipotence d’Allah SWT. Le nombre cent – onze équivalant à la valeur numérique de « Kahfi », un autre nom de Dieu, dites – vous, vous renvoie à cette lointaine promesse au Créateur. Et vous réalisez ledit centre de santé sans un quelconque appui de l’État, encore moins d’une ONG, comme vous aimez à le préciser ; quid de son équipement. 

 

Ambulance, fauteuil dentaire et j’en passe, vous vous en procurez sur fonds propres, bref tout le matériel moderne y afférent. Vous venez directement les acheter à Dakar.

Dans l’agglomération de Sikhaye, située à quelques encablures de Sagne vous mettez sur orbite une très grande mosquée, de même qu’une école. Sikhaye, contrée que vous choisissez pour abriter votre dernière demeure. Fidèle à votre dernière volonté, votre dépouille y est transportée et enterrée, par et votre famille et toute la communauté de Sagne et ses environs, en dépit de l’Etat d’urgence qui m’a aussi proscrit le déplacement. Votre inhumation est impressionnante de monde, selon les réseaux sociaux.

 

Docteur Samba DIALLO, en cet instant de rédaction de cet hommage, un flot de souvenirs partagés ensemble se ressassent dans ma mémoire. Il me revient à l’esprit, une conversation que nous avons eue dans votre véhicule 4 x 4, avec COULOU et votre chauffeur, alors que vous êtes venu à Dakar, et vous parlez de ce ministre qui s’était procuré votre numéro de téléphone et qui vous instruit, avec arrogance, de venir le rencontrer, à Dakar. Insistant sur son statut de ministre pour vous impressionner, vous lui rétorquez que vous-même, êtes un ministre de Dieu. Vous arrêtez la conversation, et, du coup, vous l’informez de sa chute libre imminente, y entrainant toute autre autorité politique de même bord que lui ; pour ne pas dire la chute du régime libéral.

 

Quid de l’anecdote concernant ce camion plein de denrées alimentaires qui vous a été destiné, de manière ostentatoire, par une autre autorité étatique dont vous renvoyez son émissaire. 

 

À l’image de cette autre autorité qui vous téléphone et décline tous ses titres professionnel et académique et à qui vous répondez, non sans humour : « Tout çà incarné par une seule personne ? ». Du reste comme aussi vous indiquez à l’assistance venue recueillir vos prières, chez vous, avant de vous accompagner au Gamou, la place d’une de vos disciples, Coumba TIMBO, la mère de l’actuel chef de l’État.  

 

Docteur Samba DIALLO, de vous, je comprends que le Tout – Puissant accorde ses privilèges à qui IL veut. Votre talent oratoire est impressionnant. Si impressionnant qu’à vous écouter durant la nuit du Gamou, l’auditoire perd la notion du temps. Votre éloquence et votre cohérence captent l’attention du plus ensommeillé. Votre éloquence me rappelle celle des présidents Ahmeth Sékou TOURÉ de la Guinée, Fidèle CASTRO de Cuba, et du général de GAULLE ; sauf que vous déroulez, dans la voie de Dieu ou dans les méandres des Hadith de son prophète Mohamed (psl), dont vous avez une parfaite maitrise de son histoire, comme du Coran. Vous savez faire danser les mots dans une emphase spécifique et une musique propre à votre art oratoire et dans moult langues, s’il vous plait

 

Docteur Samba DIALLO, je ne peux pas ne pas citer un fait qui ne manquera pas d’ahurir le lecteur de cette homélie. Me recevant dans le cadre d’une visite de courtoisie, accompagné par un couple sénégalo – marocain, madame et monsieur KONÉ, il y’ a une dizaine d’années, où nous passons une excellente journée avec vous, je vous trouve assis à même la moquette de votre salon, entouré de livres, dont je retiens deux tomes du célèbre LesMisérables de Victor Hugo. Ce qui fait tilt dans ma mémoire. Voilà un signe précurseur de votre immense culture générale. J’en ai déduit l’aisance qui vous habite dès lors que vous parlez d’hommes historiques, aussi bien en politique, que dans un autre domaine.

 

Docteur Samba DIALLO, en bon chercheur, vous creusez vos sillons dans les chantiers du savoir, aussi bien en sciences qu’en littérature, vous avez, lorsque le contexte le nécessite, divulgué vos connaissances avec une douce pédagogie, dans les domaines scientifiques de l’astrologie et de l’astronomie. Vous en avez toujours administré la preuve. Vos conférences annuelles à l’UCAD 2 de l’université Cheikh Anta DIOP en témoigne.

 

Docteur Samba DIALLO, j’allais dire Cheikh Mouhiédine, vous avez démontré lors des événements religieux célébrés à Sagne que la voie de Dieu est unique et que les musulmans de toutes confessions, convergent vers vous, comme les rayons d’une roue vers son moyeu. Les marabouts de toutes obédiences vous honorent de leur présence. Vous évoluez en parfaite intelligence avec eux tous. « Qadr » que vous êtes, de par vos rapports avec les « tarikhas, » vous enseignez la pédagogie par l’exemple.  

 

Après avoir suggéré à un fils de Monsieur Moustapha NIASSE, en l’occurrence, Cheikh Tidjane NIASSE, de venir à Sagne requérir vos prières, en vue de l’élection présidentielle de 2007, ce dernier, après m’avoir demandé sa situation géographique, finit par me rétorquer, oui, là où l’on aperçoit de loin le long minaret sur la route de kaolack, avec la mystérieuse tombe. Il affirma qu’ils s’y sont, une fois, rendus pour une visite de courtoisie au marabout. Après salutations, l’homme d’État, de lui dire que cette visite est faite « fii sabiililah ». Vous priez pour eux deux et les conduisez au tombeau du vieux. Très ébahis après le ziar et la prière, l’homme de Keur Madiabel demande à son fils l’enveloppe qui lui reste et qu’il remet à votre autorité. Ce que vous refusez poliment, arguant que faisons tout « fii sabiililah », comme précité lors de vos salutations. Ignorant que vous êtes polyglotte, il dit en français à son fils que c’est effarant de la part d’un homme d’un tel rang. Vous me l’avez confirmé.

 

Combien de fois vous est-il arrivé de donner la dépense quotidienne du village, je parle de la somme de trois – cent – cinquante – milles francs. Un signe de générosité que nul n’ose contredire à Sagne. Un autre signe de courtoisie : vous rendez visite régulièrement à une des veuves de votre défunt père, à qui vous manifestez une exquise politesse, en vous asseyant par terre devant elle, malgré l’attente de vos hôtes.

 

Vous avez vécu en homme grand format. Parce que votre existence s’est confondue à votre pluridisciplinarité. Docteur ès lettres, architecte, promoteur immobilier, promoteur de la vie active, enseignant, islamologue, marabout, guérisseur, vous avez enseigné l’islam, en rappelant la mission divine assignée à l’humain, tout en bâtissant la société, au propre comme au figuré. Vous êtes l’exemple type d’un acteur du développement participatif.

 

Ayant senti le décret devin, le ponctuel rendez – vous avec le trépas, la veille, vous faites le tour de toutes vos infrastructures, vos chantiers, en compagnie de votre fils ainé Cheikh Ibrahima, comme, dans un langage codé, vous annoncez votre départ, insinuant de continuer votre œuvre. Et vous quittez ce bas – monde, terminant votre mission.


Mes condoléances à la famille DIALLO dont je citerai, Cheikh Ibrahima, mon ami Sandiougou et son épouse Salimata, petite sœur du disparu, à Abdou Khadr Djeylani, votre frère et successeur, à la communauté de Sagne Bambara et à toute la Oummah.

Repose en paix, Cheikh Mouhiedine !

 

Mame Abdoulaye TOUNKARA

Citoyen sénégalais

Lundi 27 Avril 2020




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