Gouvernance migratoire : Le Sénégal entre défis et perspectives…

Le départ massif de migrants irréguliers vers les pays européens continue de mobiliser les dirigeants du monde, les partenaires pour trouver des solutions concertées à la question de la migration. En effet, depuis la fin des années 1990, les mesures européennes destinées à renforcer les contrôles aux frontières, à associer migration et sécurité et à encourager les États d’Afrique à lutter contre les migrations dites irrégulière se sont multipliées à travers le monde. Les États du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest à leur tour ont, suivant les cas, consenti, négocié ou résisté à appliquer le cadre impulsé par les partenaires, notamment l’Union européenne. Depuis les années 2000, la focalisation sur la sécurité des frontières s’est accompagnée d’un discours gestionnaire, diffusé en Afrique méditerranéenne et subsaharienne par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Centre international pour le développement de politiques migratoires (ICMPD). Au Sénégal, malgré la persistance du phénomène, le gouvernement a consenti d’énormes efforts et placé les questions migratoires au cœur de sa gouvernance. Ainsi plusieurs programmes sont initiés dans ce sens afin d’impulser une meilleure gouvernance migratoire.


À la fin du premier mandat d’Abdoulaye Wade, entre 2005 et 2007, alors que les départs des Sénégalais vers les îles Canaries se sont intensifiés, s’est progressivement installée la question des migrations dans l’agenda des politiques de coopération au développement, accompagnée de la négociation d’accords avec les pays européens. Dans une communication intitulée « Migration et développement : des orientations concrètes », la Commission européenne recommande en 2005 l’élaboration de « profils de migration », qu’elle considère comme un « outil utile pour soutenir le dialogue et la coopération » avec les pays dits tiers, et invite à une plus grande coopération avec les organisations internationales. 

En 2007, le document cadre de coopération entre la Communauté européenne et le Sénégal recommandé, pour la période 2008-2013, la définition d’une politique de migration « pour mettre un terme à l’émigration irrégulière et favoriser le retour au pays de certains Sénégalais de l’extérieur », afin de répondre au « défi » de « maîtriser les flux migratoires vers l’Europe ». Plusieurs engagements sont mentionnés : un « dialogue régulier UE-Sénégal sur le respect de l’article 13 de l’accord de Cotonou » (article relatif à la réadmission des migrants en situation irrégulière) ; la « mise en place d’un dispositif de surveillance des côtes pour freiner l’émigration clandestine par voie maritime », le « développement de projets créateurs d’emplois pour freiner le départ massif de candidats à l’émigration et le développement des projets portés par les Sénégalais de l’extérieur ». 

Les consignes de la Commission européenne à l’endroit du Sénégal soulignent explicitement que la migration des Sénégalais vers l’Europe est considérée comme numériquement importante : « massive », « irrégulière » et dommageable pour l’Europe. Ce qui justifie la mise en place par le Sénégal de plusieurs programmes et politiques pour une meilleure gestion de la question. 
 

Le cadre répressif

Le Sénégal, pour sa part, a très tôt mis en place les dispositifs de riposte. C’est ainsi qu’il a été intégré dans son arsenal juridique répressif, de lourdes sanctions contre les auteurs de trafic de migrants ou d’infractions connexes avec adoption de la loi 2005-O6 du 10 Mai 2005 qui réprimande le trafic illicite de migrants et la traite des personnes. D’autres stratégies de riposte et de lutte contre la migration irrégulière sont également initiées. « C’est un combat qui s'impose à nous tous en raison des effets néfastes et dramatiques que ce type de trafic induit au plan économique et social des pays. C'est l'une des raisons pour lesquelles il y a une nouvelle dimension qui est intégrée de façon holistique dans la nouvelle approche qui est mis en œuvre pour prendre en charge correctement le fléau qui date des temps modernes. Le Sénégal pour sa part a très tôt intégré dans son arsenal juridique répressif de lourdes sanctions contre les auteurs de trafic de migrants ou d’infractions connexes. Dans le même ordre d’idées en 2018, il a été créé au sein de la direction générale de la police de l’Air et des frontières, une division de lutte contre le trafic de migrants et les pratiques assimilées. Au-delà de tous ces mécanismes, il a été jugé nécessaire d’aller plus en avant. C’est pour cette raison que le président Macky Sall a décidé en décembre 2020, d’instituer au sein du ministère de l’intérieur, un comité interministériel de lutte contre l’émigration irrégulière dit CILEC. Une structure regroupant des acteurs étatiques mais aussi non étatiques pour la coordination de la prise en charge exclusive de tous les aspects liés à la migration irrégulière dans ses dimensions transversales, préventives et communautaires », a rappelé le ministre de l’intérieur et de la sécurité publique Antoine Félix Diome à l’occasion de la cérémonie d’ouverture de la troisième conférence régionale des directeurs généraux et hauts commandements des forces de sécurité intérieure et des hauts fonctionnaires de justice sur la lutte contre le trafic illicite de personnes et la traite des migrants qui s’est ouverte à Dakar le 10 Mai 2022. 

Des actions qui ont permis de limiter et de contrecarrer des tentatives de départ, voire démanteler carrément des réseaux criminels de trafiquants de traite des personnes. Ces initiatives hardies du gouvernement sénégalais ont permis l’arrestation et le déférement de plus de 416 trafiquants de migrants dans les quatre dernières années.

« Au niveau répressif, au niveau de la direction de la police de l’Air et des frontières, une division spéciale a été créée avec des enquêteurs spécialisés et du matériel spécial. Cette division a fait un travail remarquable parce qu’en quatre ans, 416 trafiquants de migrants ont été déférés. Ce qui fait en moyenne 100 personnes par année. Ce qui n’est pas négligeable. Récemment aussi, le président de la république a créé le comité interministériel de lutte contre l’émigration irrégulière, qui regroupe aussi bien les acteurs étatiques et non étatiques pour prendre en compte toutes les dimensions de la lutte », a confié le contrôleur général de police Mame Saliou Ndour, par ailleurs le directeur de la police de l’Air et des frontières.
 

La coopération renforcée ainsi que les mécanismes de sensibilisation

Outre le renforcement du cadre juridique, d’importants projets et programmes ont été initiés par le gouvernement du Sénégal en coopération avec des partenaires comme l’organisation internationale pour les migrations et l’union européenne pour juguler les départs liés à la migration irrégulière. C’est le cas du Projet Gouvernance Migration et Développement.

F
inancé par l’Union Européenne (UE) et mis en œuvre de manière conjointe par la Direction Générale d’Appui aux Sénégalais de l’Extérieur (DGASE) du Ministère des Affaires Étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur (MAESE) et l’Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le Développement (AECID), dans le cadre du Résultat 3, prévoit d’appuyer (sous forme de subvention), à travers les Fonds Régionaux, des activités innovantes génératrices de revenus, qui créent de la valeur ajoutée à travers la création d’emplois. Comme zones d’intervention cibles, cette action d’accompagnement économique va toucher toutes les 14 Régions du Sénégal. C’est une opportunité de subvention pour accompagner les projets productifs (économiques). 

« Ce programme permet de mettre en place des bureaux d'accueil et d’orientation dans les 14 régions du pays. Dans chaque capitale régionale, un bureau y est ouvert et logé au niveau de l’agence régionale de développement et à la tête de ce bureau un responsable est nommé. Assisté d’une équipe, le responsable va travailler à disposer du répertoire de l’ensemble des migrants de retour et voir maintenant quels sont les programmes et projets que ce bureau peut développer pour aider à la réinsertion et l’intégration des migrants, soit par l’emploi ou par la création d’entreprise. Réintégration et réinsertion à travers un appel à projet national ou régional », renseigne le ministre Moïse Sarr, secrétaire d’État chargé des sénégalais de l’extérieur.  Par ailleurs, dans le souci de mieux harmoniser sa gouvernance migratoire, l’État du Sénégal a mis en place le fonds d’appui des sénégalais de l’extérieur, avec deux lignes extrêmement importantes : La ligne FFD (fonds, femme, diaspora). De trois cent millions de financement en 2012, ce programme est à trois milliards présentement, si l’on se fie au propos du secrétaire d’État chargé des sénégalais de l’extérieur.

Avec cette ligne de financement, le gouvernement du Sénégal finance des femmes entrepreneurs sénégalaises établies dans la diaspora. En plus de cela aussi la ligne le gouvernement sénégalais a mis en place, la ligne FSE dédiée au sénégalais de l’extérieur et qui veut retourner au Sénégal pour la création d’entreprise. D’autres programmes à l’image du projet « perspective via la coopération Sud-Sud » déroulés avec la direction d’appui aux sénégalais de l’extérieur viennent également contribuer à accompagner les potentiels candidats à la migration irrégulière et les migrants de retour.

Chez les partenaires de l’État comme l’Union Européenne et la coopération espagnole, de nombreux efforts consentis pour lutter contre le fléau sont à saluer, comme l’ambitieux programme Migrant comme messager (MaM), de l’organisation internationale pour les migrations. Ce programme mis 
en œuvre dans sept pays d'Afrique de l'Ouest (Côte d'Ivoire, Gambie, Guinée, Liberia, Nigeria, Sénégal et Sierra-Leone), vise à sensibiliser sur les risques et dangers liés à la migration irrégulière grâce à la participation et aux témoignages de migrants de retour. Depuis 2018, plus de 290 Volontaires ont rejoint le programme, dont 56 au Sénégal. Selon le rapport 2018 de l’ANSD sur la migration au Sénégal, « un total de 3.023 migrants de retour a été assisté par l’OIM en 2017. Ces migrants de retour sont en majorité des hommes estimés à 97 % contre 3 % de femmes ».

En outre, pour contenir les jeunes dans le pays, le gouvernement du Sénégal a initié d'importants programmes de financement dédiés à la jeunesse et les femmes tels que : la DER/FJ, le FONSIS, le FONGIP, l’ANPEJ. Tous ces programmes cherchent à promouvoir l’auto-emploi à travers l’entreprenariat des jeunes et des femmes afin de lutter contre les départs massifs de cette frange jeune de la population sénégalaise vers l’Europe. 

 

Gouvernance migratoire : Le Sénégal entre défis et perspectives…
Les jeunes plus que jamais déterminés à partir

Cependant, malgré tous ces efforts, politiques et programmes, force est de constater que la migration irrégulière persiste toujours au Sénégal et continue de faire des victimes surtout auprès des franges jeunes de la population qui n’hésitent pas d’emprunter la voie irrégulière pour aller en Europe à chaque fois que l’occasion se présente. « Plus de 3.000 personnes sont décédées ou portées disparues en mer durant leur tentative de rejoindre l’Europe via la Méditerranée centrale et occidentale ou l’Atlantique en 2021 », a renseigné le Haut-commissariat des réfugiés (HCR), lors de la conférence de presse du 29 Avril 2022 au Palais des Nations à Genève. La même source indique que « la plupart des traversées en mer s’effectuent à bord d’embarcations gonflables, bondées et en mauvais état, dont beaucoup ont chaviré ou se sont dégonflées, entraînant des pertes en vies humaines. La traversée depuis les États côtiers d’Afrique de l’Ouest, comme le Sénégal et la Mauritanie, et les îles Canaries est longue et périlleuse ».

Pour certains jeunes, sortir du territoire national et se retrouver dans les grandes villes européennes est une vitalité car « l’Etat a failli dans sa mission » en faveur des jeunes. « Si je vois une opportunité, je partirais car les choses ne marchent pas par ici. Les risques auxquels nous sommes confrontés pour rallier l’eldorado sont les mêmes ailleurs. Quand on veut vraiment s’en sortir, il faut en payer le prix », confie Baye Djiby Sylla, menuisier de profession. Même son de cloche pour Dame Ciss, mareyeur de son état. « J’ai vu beaucoup de jeunes quitter le pays à bord de pirogues de fortune. Parce que la plupart de ces jeunes sont déçus du fait de la mauvaise politique économique », regrette Dame Ciss. Tout pour dire que le Sénégal reste coincé entre le marteau d’une gouvernance migratoire accentuée sur la sensibilisation et l’enclume de départs massifs de jeunes vers l’Europe. D’où la nécessité d’une orientation de la gouvernance migratoire vers les potentiels candidats à la migration…

Daouda BA

Lundi 16 Mai 2022




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