DÉLINQUANCE URBAINE : Les causes, mon remède ! (Par Mamadou Mouth BANE)

Pour aborder cette question de la violence dans la banlieue dakaroise, il faudrait qu’on s’entende sur une chose, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de société humaine sans violence. L’être humain est violent par nature. Car, souvent, il extériorise certains de ses sentiments par la violence par le verbe ou par l’acte.


DÉLINQUANCE URBAINE : Les causes, mon remède !   (Par Mamadou Mouth BANE)
Au Sénégal, par exemple, notre sport national, la lutte avec frappe est bâtie sur la violence physique. Les téléspectateurs suent de bonheur lorsqu’ils voient le sang couler à l’occasion d’un combat. Tous sautent de joie, s’extasient criant : «Ardo ! Ardo ! Ardo !», du nom du médecin de l’arène. Le meilleur des combats c’est celui au cours duquel, les deux lutteurs se sont arrosés de coups jusqu’à ce que du sang en suinte. Les combats Gris Bordeau/Eumeu Séne et Tapha Tine/Bombardier sont souvent cités en référence à cause du sang qui avait beaucoup giclé. C’est pourquoi, ceux qui ambitionnent de combattre la violence dans les arènes, risquent d’y perdre leur énergie. Toute leur énergie d’ailleurs. Car sur le ring comme dehors, la lutte avec frappe draine de la passion aveuglante et les grands événements de lutte sont des occasions rêvées par les acteurs de la délinquance urbaine pour effectuer des opérations criminelles.  Cette violence dans la lutte débute déjà à l’occasion des signatures de contrats par des propos acerbes avant l’entrée en action des muscles.
Alors pour revenir à cette violence urbaine ou péri urbaine, il faut analyser le phénomène en profondeur en tenant compte des paramètres humains, sociologues et politiques. En effet, pour baisser les crimes et les violences dans les quartiers, il faut d’abord réduire la pauvreté mère de tous les maux. La pauvreté sécrète la violence.
Répondons aux questions suivantes : Qui sont ces gens qui agressent et tuent ? D’où viennent-ils ? Quel âge ont-ils ? Nous allons essayer de faire le profilage de ces délinquants de quartiers pour mieux cerner le phénomène.
 
I- QUI SONT CES ACTEURS DE LA VIOLENCE ?
 
 
1- Leur âge
Le ministre de l'Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, a annoncé, la semaine passée, qu'un groupe de 15 bandits a été démantelé à hauteur du lycée Seydina Limamou Laye à Guédiawaye, dans la banlieue. Le commissaire de police principale, El Hadji Cheikh Dramé a expliqué comment ses hommes ont neutralisé cette bande composée de jeunes âgés entre 23 et 35 ans.
A Dakar voici la structure des âges en 2017 concernant les hommes. Pour la tranche d’âge entre 20 à 24 ans, ils sont 154.627 jeunes garçons, les  25 à 29 ans font 171.702 jeunes, les 30 à 34 ans font 153.890 jeunes sénégalais, les 35 à 39 ans sont au nombre de 128.448 personnes, les 40 à 44 ans font 103.624 selon l’Ands.
A voir ces statistiques, dans le département de Dakar, les personnes âgées entre 23 à 35 ans font 608.667 selon le recensement de 2017. Il faut d’ailleurs comprendre que les acteurs de la violence urbaine sont des jeunes. Car pour commettre une violence physique il faut avoir de la force. Il ne nous a jamais été signalé un agresseur âgé de 50 ans ou plus, puisque l’âge de ces criminels, tourne entre 20 ans et 35 ans.
 
II- ORIGINE DES ACTEURS DE LA VIOLENCE
 
 
1- La migration interne
Depuis quelques années, le Sénégal connait des hivernages peu satisfaisants à cause de la rareté des pluies qui s’explique selon certains par le réchauffement climatique ou par un changement de cycle. Dans les régions du Nord et du Centre, les paysans sont confrontés à des problèmes existentiels nés des mauvais hivernages. L’ancien Bassin arachidier composé des régions de Thiès, Diourbel, Louga, Kaolack, Fatick est mort de sa belle mort. Les paysans sont encore nostalgiques des grandes périodes de traite de l’arachide. A ces moments, l’Etat achetait la production arachidière dans ces régions. Des «seccos » (magazin de stockage) équipés de bascules et de machine de tri de l’arachide appelée «tarar », étaient ouverts dans les villages. Le paysan était payé séance tenante. A l’époque les bons impayés n’existaient pas encore.
Le mil de la saison actuelle était encore stocké dans les greniers jusqu’à l’hivernage prochain. Le paysan sélectionnait ses propres semences de l’année prochaine sans rien attendre du Gouvernement. Aujourd’hui, c’est la misère qui harcèle le monde rural. Les préoccupations du monde rural sont reléguées au second plan par les Gouvernements. La conséquence, c’est qu’ils bradent leurs productions maigres dans les marchés hebdomadaires à de vils prix. Voilà pourquoi l’agriculture ne fait plus nourrir son homme.
A l’approche de chaque événement : ouverture des classes, Tabaski, Korité, Magal, Gamou etc… les paysans bradent leurs récoltes pour subvenir à leurs besoins familiaux. De cette situation est née une pauvreté généralisée qui a poussé la jeunesse rurale à se déplacer vers les centres urbains. Cette migration des populations rurales vers les centres urbains est à l’origine de ce déséquilibre social et démographique entre le monde rural sous peuplé et les villes surpeuplées.
En général, les déplacés des zones rurales s’installent dans la grande banlieue dakaroise : Keur Massar, Diakhay, Yeumbeul, Malika, Tivaouane Peul, Guédiawaye, Pikine, Parcelles Assainies...
Anciens cultivateurs avec un niveau scolaire primaire, ces jeunes viennent à Dakar pour s’activer dans les petits commerces et dans le secteur informel comme laveur de véhicule, vendeur de café Touba, vigile, vendeur de mouchoir, vendeur de Cd pirate, mécaniciens, apprentis dans le transport en commun, cireurs, vendeurs de carte de recharge de crédit, charretiers, jardiniers, trafiquants de tous genre. Nous devons reconnaître que dans cette horde de jeunes, certains gagnent honnêtement leur vie malgré tout.
C’est une Lapalissade que de dire que pour éviter cette migration interne des jeunes issus des zones rurales vers les centres urbains, il faut que l’Etat mette en place une politique de développement du monde rural. Mais malheureux, il y a un déséquilibre manifeste entre Dakar et le reste du Sénégal. Tout est concentré dans la capitale qui étouffe à cause de l’entassement des populations qui vivent dans une  promiscuité intenable, accentuant ainsi la précarité, la pauvreté et inspirant à ces jeunes un réflexe de survie souvent violent. Comment fixer les jeunes dans les zones rurales pour éviter la migration interne ? C’est à cette question que le Gouvernement doit apporter une réponse pratique pour réduire la délinquance juvénile.
 
2- Le recyclage des enfants talibés
 
 
Lorsqu’on analyse le phénomène de la violence, rares sont les spécialistes qui évoquent le cas des enfants talibés. Et pourtant, souvent, ces enfants abandonnés et rejetés par la société se recyclent dans la délinquance urbaine. En 2013, Human Right Watch dans son rapport, a estimé à 50.000 le nombre d’enfants talibés en quête de pitance dans les rues des centres urbains. Qui se préoccupe de la réinsertion de ces milliers de jeunes talibés ? Qui a essayé de comprendre comment ces jeunes se recyclent dans la vie active ? Qui s’est posé la question de savoir que deviennent un talibé à l’âge de 20 ans, 25 ans, 30 ans ou 40 ans ? Dans l’imagination publique, on pense que ces gavroches errant ne deviennent jamais des majeurs. Et pourtant, dès qu’ils atteignent l’âge de la maturité, ils jettent leur sébile et s’engagent dans la vie active. Mais comment ?
Les plus chanceux trouvent un emploi dans l’informel comme vendeurs à la sauvette, chauffeur dans le transport en commun, lutteurs, chanteurs, artistes, maître coranique ou autres. Les malchanceux se recyclent dans la délinquance urbaine. Ils deviennent des criminels marginalisés. Chaque année un contingent de jeunes talibés qui ont atteint l’âge majeur rejoint la petite délinquance.  Dans d’autres pays, ces enfants sont enrôlés dans les guerres pour devenir «des enfants soldats» ou dans les groupes terroristes, au Sénégal, ils intègrent la délinquance urbaine. Trouver aujourd’hui une solution à cette forme de maltraitance des enfants par les cartels criminels, c’est réduire la délinquance urbaine de demain.
 
3- L’emploi des jeunes
Ils sont âgés entre 25 ans et 35 ans. Ils sont jeunes et ont de la force physique. Mais le hic, c’est qu’ils sont désœuvrés, sans emploi fixe et rentable. Ils ne sont pas des chômeurs mais plutôt des sans-emplois, parce que ces jeunes n’ont en général, aucun niveau académique et sans formation. Aujourd’hui, nous faisons face à cette armée de jeunes virils désœuvrés et pauvres. Une véritable bombe sociale. Les agressions et les vols constituent pour eux un raccourci lucratif pour satisfaire leurs besoins primaires. Un sans-emploi est un homme exposé aux dérives et une proie facile face aux cartels criminels. Les jeunes pleins d’énergie ont tendance à investir leur force dans un créneau facile. Voilà pourquoi la plupart s’engage dans le secteur informel accessible sans aucune conditionnalité ou ils se livrent à la délinquance.
Il n’existe pas de Cadre de banque, d’entreprise nationale quelconque qui s’engage dans la délinquance urbaine. Qui a une fois vu un Enseignant, un médecin, un avocat, un Inspecteur du Trésor, un Magistrat, un Journaliste, un Ingénieur s’activer dans des réseaux de délinquances urbaines ou dans une entreprise de violence de quartier ? Cela n’existe pas. Cette conclusion confirme donc que quelque part, le problème de l’emploi des jeunes est devenu aussi une équation d’ordre sécuritaire. Sans risque d’être démenti, nous pouvons avancer que tous les agresseurs sont des sans-emplois fixes, sans revenu, d’où l’exigence pour l’Etat de trouver une solution durable à ce problème d’emploi des jeunes.
 
III- RÔLE DES FORCES DE SÉCURITÉ
 
Il ne se pose pas un problème de formation, nos forces de défense et de sécurité sont bien formées. Il revient à l’Autorité de prendre les décisions politiques pour bien les aider dans leur mission de sécurité publique. La population dakaroise et celle de la banlieue s’accroit à un rythme très dynamique. Il faut alors une stratégie prospective qui tient en compte l’évolution démographique au Sénégal mais surtout dans les zones urbaines et péri urbaines. D’ici 2020, la population sénégalais sera entre 18 à 19 millions d’habitants. Les politiques publiques doivent tenir compte de cette évolution pour être efficaces et efficientes.
Les forces de sécurité ont besoin d’un renforcement de capacité face aux nouvelles menaces qui se manifestent par plusieurs manières selon les pays. Elles ont besoin d’équipement mais aussi de ressources humaines de qualité.
Enfin, abordons un élément important de la sécurité c’est-à-dire le Renseignement. Face à cette petite et grande délinquance, les populations devraient aider les forces de sécurité dans la collecte de renseignement par l’alerte précoce. Mais faudrait-il d’abord que les relations entre la Police et les Populations soient assainies. Car souvent, les citoyens sont mal accueillis dans les Commissariats et dans les Gendarmeries lorsqu’ils sollicitent un service quelconque. D’où la nécessité d’ouvrir des Bureaux d’Accueil, de Conseil et d’Orientation dans tous les Commissariats et les Gendarmeries pour que le citoyen soit traité avec tous les égards dès son arrivée afin qu’il puisse accepter et croire effectivement que ces forces de sécurité travaillent pour lui. C’est l’unique moyen pour créer un climat de confiance et d’harmonie entre le citoyen et les agents de sécurité qui ne sont autre des citoyens aussi.
- La démocratisation du renseignement,
- Le renforcement des liens entre les populations et les agents de sécurité,
- La création au sein de la Police ou de la Gendarmerie des 
a) Sections groupes dangereux,
b) Section des personnes dangereuses,
c) Section délinquance urbaine,
d- Section évènements,
e) Section politique,
f) Section religieuse entre autres… sont les initiatives qui peuvent aider les forces de sécurité à anticiper sur les actions futures des acteurs de la violence. Car certains groupes doivent être contrôlés de l’intérieur par l’infiltration… Tant mieux si ce dispositif existe déjà. Il faudra alors renforcer leurs moyens…
Enfin, disons qu’une société sénégalaise sans violence n’existera jamais. Des agressions, des meurtres il y en aura encore. L’objectif devrait être la réduction de ces crimes et de toute sorte de délinquance urbaine par la mise en œuvre d’un Programme de Développement des Zones Rurales afin de réduire les migrations internes vers les zones urbaines. Une décision politique courageuse doit aussi être prise contre le phénomène des enfants tabilés. Et l’Education, la Formation et l’Emploi des jeunes doivent être inscrits dans les programmes prioritaires du Gouvernement.
Mamadou Mouth BANE
Journaliste spécialisé en crimes organisés, en terrorisme et en sécurité
Mardi 16 Octobre 2018




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