Quelques leçons de la Présidentielle du 24 février 2019


À l’issue de la campagne électorale pour la Présidentielle du 24 février 2019, il est clairement apparu l’existence de trois principaux camps qui se sont distingués de par la nature sociale des forces qui les composent, et du contenu de leurs programmes respectifs :

Il y a le Camp  des "Nationaux démocrates" qui sont pour la République  laïque démocratique et citoyenne, et le  maintien de l’Etat dans le domaine marchand.

Ce camp piloté par le Président Macky Sall, est composé des membres de BBY  constitués de libéraux, de socialistes, de communistes, de nationalistes pan africanistes, et des mouvements alliés.

 C’est sur la base des réalisations des politiques publiques de ce camp, que le Sénégal a renoué avec une croissance forte et durable, mieux partagée à travers une politique de redistribution fiscale, de politiques sociales inclusives de réduction de l’extrême pauvreté et de l’exclusion territoriale, tout en augmentant notre coefficient de souveraineté nationale à travers une politique de gestion budgétaire axée sur la réduction progressive du déficit et de l’endettement extérieur du pays, tout en construisant de solides bases en termes d’infrastructures, de maîtrise de l’énergie électrique, d’aménagement d’espaces dédiés à l’investissement privé, et d’éducation et de formation professionnelle, de soutien à la modernisation de l'agriculture familiale, et de défense du pouvoir d'achat des ménages.

C’est ce premier camp qui a su réconcilier notre pays avec ses voisins, en  développant une politique de coopération et d’amitié, comme moyen stratégique pour assurer la sécurité de notre peuple, et exploiter au mieux, les ressources naturelles que nous partageons avec eux, au grand bénéfice de nos populations.

C’est ainsi que le Fleuve Sénégal et notre façade atlantique, sont devenus  des Zones de paix et de coopération, alors qu’ailleurs, l’eau est facteur de guerre fraticide !

 Il y a ensuite le second camp, celui des libéraux  qui prônent   une République technocratique,  dans laquelle,  les grands Commis de l’Etat sont choisis par concours, pour les mettre hors du contrôle légitime des Elus de la Nation.

Sous couvert d’expertise, ils s’affranchissent ainsi de tout contrôle politique et citoyen, pour pouvoir se soumettre aux intérêts stratégiques du grand capital à travers l’activisme de ses lobbies.

Cette bureaucratisation de l’Etat est nécessaire pour accompagner  le retrait de l’Etat du domaine marchand, mener  la privatisation et la libéralisation du secteur de l'eau,  promettre des cadeaux fiscaux au grand capital par une politique de baisse continue de l'Impôt sur les bénéfices des grandes entreprises, l'aménagement des terres agricoles à céder à l'agro-business, le retrait des redevances de publicité du financement de l'audio- visuel public pour les consacrer à l'audiovisuel privé, tout en faisant supporter le financement de l'audiovisuel public par une augmentation des taxes sur l'électricité et le téléphone.

En outre, devant les revendications de suppression des "fonds secrets", il les maintient, tout en promettant d'en réduire le montant.

 Il est, pour le maintien du CFA jusqu'à l'arrivée de la monnaie commune CEDEAO, rejoignant sur ce point la position du camp du Président e la République, qu’il combat en prétendant changer de politique économique.

En outre, il a un programme économique de 2875,116 milliards de Frs CFA par an, durant ses 5 ans de mandat, dont le financement comporte 1000 milliards de Frs CFA issus du pétrole et du gaz qui ne seront , selon ses propres aveux, disponibles qu'à partir de 2021!

 Il a donc un programme qui, dès les deux premières années,  2019 et 2020, sera confronté à un manque de financement de 1000 milliards chaque année!

Avec lui, le pays va s'engouffrer dans une crise financière sans précédent dès cette année, qui va l'obliger à recourir à plus d'emprunt pour augmenter de 1000 milliards par an, le plafond de dette qu'il a limité à 550,9 milliards par an, ou de réduire les dépenses prévues pour l'exécution de son programme, s'il ne veut pas taxer davantage les ménages.

En outre, voilà le leader de ce camp qui agresse les croyances religieuses des musulmans de notre pays et du monde entier, en remettant en cause, la direction historique de leur prière qu'il croit devoir déplacer de la Mecque(Makka),  à Jérusalem (Bakka.)

Pourtant, c’est lui  qui a gagné le vote à Touba, contre un candidat issu de cette même confrérie, Madické Niang, et contre le Président sortant, candidat à sa propre succession, malgré toutes les réalisations de ses politiques publiques en faveur de ces populations en termes d’assainissement, d’approvisionnement en eau potable, en électricité, et en désenclavement routier, avec l’autoroute  ILLA TOUBA!

Il est donc proprement ahurissant de voir tous ces commentaires «  savants »  visant à qualifier le vote contre le Président Macky Sall à Touba, de « vote confrérique », en occultant le « vote sanction »  d’une partie des cadres de l’APR pour des motifs de rivalités internes !

Enfin, le troisième camp est celui des populistes, qui draine des couches moyennes intellectuelles, petite bourgeoise par nature, et idéologiquement  issues de l'extrême gauche, et de l'extrême droite islamo-salafiste, et qui sont  adeptes d'un nationalisme étroit sous couvert de " patriotisme économique" qui confond l'anti impérialisme à l'anti occidentalisme, notamment anti français.

Ce camp avec Sonko, prétend représenter "l'anti système", alors qu'il est au service du grand Capital qui régente le « système », et malgrè ses virulentes critiques contre le fr CFA, il a fini par opter pour son maintien jusqu’à l’arrivée de la monnaie commune CEDEAO.

Ainsi, sur la question de la monnaie, aucun des deux camps de l’opposition ne se démarque des positions incarnées par le camp du Président sortant, malgré tout l’activisme débordant qu’ils ont entrepris sur cette question pour déstabiliser le pouvoir. Donc, c’est le statut quo monétaire, et non la rupture qu’ils avaient promise aux Sénégalais.

La servitude de Sonko au grand Capital est reflétée par ses promesses d'énormes cadeaux fiscaux par la  baisse de  l'impôt sur leurs bénéfices de 30% à 23%, en faisant mieux que Wade  qui l'avait arrêté à 25%!

Il a  dans ce domaine, accompli au Sénégal, les prouesses de Trump aux Etats Unis, en faveur du grand Capital.

En outre, l’étude de la  géographie des voix qu’il a engrangées, permet de  mieux comprendre la nature des forces sociales qui gravitent autour de lui.

Du Canada, en Suisse ou en Allemagne, il a été publicité par les membres les plus radicaux du MFDC, qui retardent la tenue de négociation de paix avec le gouvernement du Sénégal.

En outre, de Fès à Tunis, en passant par l’Egypte, l'Algérie et l’Arabie Saoudite, ce sont les étudiants sénégalais salafistes qui ont porté leur suffrage sur lui, de même que les IBADU et l'extrême gauche l’ont fait massivement au Sénégal et en France.

  Ce sont ces trois courants populistes d’extrême gauche anti Française, salafiste  anti-occidentale, et indépendantiste,  qui font de Sonko, un homme à triple visage, très dangereux pour notre peuple, qui prétend combattre le «système », tout en faisant des cadeaux fiscaux aux maîtres du «  système » que sont  les grandes entreprises qui contrôlent notre Economie nationale.

 Pis encore, sous prétexte de « défendre les intérêts du Sénégal », il cherche à mettre en mal les relations de notre pays avec les Etats limitrophes, en voulant mettre en cause la coopération que nous avons avec la Mauritanie, la République de Guinée, et le Mali dans la gestion de l’eau du Fleuve Sénégal, et  la coopération avec la Mauritanie et la Guinée Bissau dans la gestion de nos ressources pétrolières, gazières et hallieutiques, mettant ainsi notre pays dans une situation d’hostilité avec ses voisins, dans un contexte où le terrorisme islamiste menace ouvertement notre pays.

IL est présenté comme un « messie », sauveur du peuple sénégalais, alors qu’il est l’incarnation de ces trois courants extrémistes qui gangrènent notre pays, et sapent la cohésion de notre peuple.

C’est certainement pour avoir compris le danger qu'il représente pour son unité,  sa sécurité et sa stabilité, qui sont nécessaires à sa cohésion et à sa quête de progrès et de souveraineté nationale, dans l’entente et l’amitié avec ses voisins, que le peuple l’ait mis loin derrière Idrissa Seck qui, pourtant, ne lui inspire pas confiance, malgré sa grande coalition de « généraux », comme une « armée mexicaine avec peu de troupes » peu motivées par-dessus le marché. 

La nature anti démocratique de ces deux camps se reflète dans leurs positions communes contre les acquis des travailleurs et du peuple en matière de dialogue politique et social, pour une meilleure prise en compte de leurs aspirations dans les politiques publiques.

C'est ainsi que sous couvert de " gouvernance sobre", ils projettent de supprimer le Conseil Economique , Social et Environnemental, le Haut Conseil des Collectivités Territoriales, et le  Conseil National pour le Dialogue Social, qui sont des organes de gouvernance participative et de concertation entre les pouvoirs publics, les forces économiques et sociales, d'une part, et, d'autre part,  entre l'Etat, le Patronat et les Organisations des Travailleurs.

Ces conquêtes institutionnelles dans le processus de démocratisation de notre Etat, consacrées dans les propositions de reforme de la CNRI, sont donc menacées de disparaître, pour laisser les coudées franches aux grands Commis de l'Etat, sélectionnés par concours, pour régenter notre peuple.

Ainsi, l'avènement au pouvoir d'un de ces camps, aurait signifié un recul sans précédent de nos acquis démocratiques.

Enfin, pour masquer leur option de maintien du Parti - Etat, ils dénaturent la proposition  des Assises nationales et de la CNRI  de non cumul de la  fonction de Président de la République avec celle de Chef de l'Etat, par le transfert du pouvoir exécutif à un Premier Ministre issu de la majorité à l'Assemblée nationale, qui détermine la Politique de la Nation, et qui est, pour cela, Chef de Parti en même temps, dont il a besoin pour gouverner.

A la place, ils proposent le non cumul de la fonction de Président de la République avec celle de Chef de Parti, comme Abdou Diouf l'avait institué en 1996, et nous l'avait légué en 2000, tout en maintenant le Parti-Etat, c'est à dire le cumul de Président et de Chef de l'Etat, qui définit la politique de la Nation et la fait exécuter par un Premier Ministre de son choix.

C'est cela  qui donne au Président de la République des pouvoirs exorbitants que nous avions continué de dénoncer et de combattre de 1996 jusqu'en 2000, et que Wade a reconduit dans sa réforme de 2001 en renforçant le pouvoir du Président par un Droit de dissolution de l'Assemblée nationale selon son bon vouloir,  après les deux premières années de la législature de cinq ans.

Donc, tous ceux qui prétendent réduire les pouvoirs exorbitants du Président de la République par des  artifices,  en laissant intact ce cumul de ses fonctions avec celle de Chef de l'Etat,  sont des adeptes camouflés du Parti-Etat, qui peut aménager ses rapports avec le Pouvoir judiciaire sans jamais le laisser indépendant de lui.

Le pouvoir judiciaire peut être indépendant du Chef de l'Etat, si la fonction n'est pas cumulée avec la Fonction de Président de la République, mais, dans tous les cas de figure, il dépend du Président de la République ou du Roi selon le cas, pour éviter l'avènement d' un " gouvernement des Juges".

Mais,  pour masquer cette différenciation socio-économique de notre paysage politique qui s'opère sous nos yeux,   des intellectuels,  "politologues autoproclamés", dans les milieux universitaires, dans la presse, et dans la société civile, ont cherché à expliquer le vote du peuple sénégalais à partir de motivations ethnoculturelles ou confrériques, en   n'accordant aucune attention au rôle des réalisations socioéconomiques du pouvoir dans le choix électoral des sénégalais ce 24 février 2019, ni celui des programmes alternatifs des  différents candidats, encore moins  au degré de maturité politique de notre peuple.

 C'est ainsi qu'ils ont interpellé la défaite du candidat Macky Sall à Touba comme un vote confrérique dirigé contre lui, et sa défaite en Casamance, comme un vote ethnique du Sud, contre le vote ethnique du Nord du Sénégal en sa faveur.

Ils ont évacué de l’explication du vote de la région de Ziguinchor, les inquiétudes des populations suscitées par le projet d’exploitation du Zircon, et l’installation d’une usine de fabrication de farine de poisson.

Ils n’ont tenu compte que les dommages collatéraux des propos inacceptables de Moustapha Cissé traitant de «  rebelles » tous ceux qui sympathisent avec Sonko, mais aussi, le faux bond fait au «  mouvement des femmes pour la paix » qui avait programmé de rencontrer le Candidat Macky Sall, à la gouvernance, pour l’auditionner au même titre que  les autres candidats de passage à Ziguinchor.

Ces deux circonstances ont été largement senties comme du «  mépris », vis à vis des populations de la région de Ziguinchor, qui a fortement atténué leurs appréciations positives des bienfaits des politiques publiques du Candidat Macky Sall en leur faveur, en termes de désenclavement maritime, aérien et routier par le pont transgambien, de cesassion des hostilités en vue d’une paix définitive et durable de la crise dans cette région,  et les perspectives de création d’emplois pour les jeunes, par les mesures prises pour le développement de l’agro- industrie et du tourisme, comme moteur stratégique d’un développement intégré et inclusif.

Dans ces conditions, la défaite électorale du candidat Macky aurait bien pu être comprise comme un avertissement pour les manquements notoires des cadres de l’APR et de l’Administration du territoire pour n’avoir pas pu  porter leurs préoccupations au près du Candidat, plutôt que comme une réaction éthniciste contre les candidats issus du Nord, ou une «  défiance » des indépendantistes vis à vis du pouvoir.

D’ailleurs le discours de «  dépassement, de paix et de réconciliation » que Sonko a tenu lors de son audition par le «  mouvement des femmes pour la paix », aurait dû convaincre les plus sceptiques, que le vote de la Région de Ziguinchor pour Sonko, est un «  vote pour la paix dans la dignité » !

Sonko n' a pas été élu grâce à la région de Ziguinchor,  mais surtout, grâce à  la région de Dakar, qui lui a accordé  229. 684 voix, contre la région de Ziguinchor où il n'a obtenu que 101.938 voix; ce qui est égal à son score dans le seul Département de Dakar où il a obtenu 101.003 voix!

Mais, toute la question est de maintenant de  savoir, ce que Sonko  va faire de ce « vote de paix dans la dignité », compte tenu de la nature sociale de sa coalition, qui lui a donné le triple visage que le peuple voit en lui et qui suscite sa crainte.

Avec l'avènement de ces trois camps dans le paysage politique sénégalais, il faut y ajouter  le camp du " libéral autocrate", le Président Abdoulaye Wade,  qui est anti républicain et quasi monarchiste, en prônant sa succession par son fils, autant dans son Pati le PDS, que dans l'Etat, en cherchant obstinément à imposer sa candidature à la Présidentielle du 24 Février.

Ce camp  reste encore le leader de l'opposition parlementaire, puisque disposant du seul " groupe parlementaire"  de l'opposition à l'Assemblée nationale, lui conférant un pouvoir institutionnel de premier ordre.

Mais son incapacité à rassembler autour de son fils, toute l'opposition, l'amené à refuser d'en soutenir un candidat, permettant ainsi à Idrissa Seck, arrivé deuxième à la Présidentielle du 24 février, d'occuper la place de leader de l'opposition non parlementaire, avec 20% du suffrage exprimé, loin devant Sonko avec 16%.

Le peuple a ainsi rationalisé le paysage politique, sans remettre en cause le droit acquis en matière de liberté d'organisation. Il ne reste plus qu'à continuer à l'assainir en maintenant le parrainage citoyen pour tous, afin de limiter le pouvoir d'argent dans les compétitions électorales.

S'il n' y avait pas de parrainage citoyen pour tous, la sélection des candidats par le niveau de la caution aurait permis une pléthore de " milliardaires" de briguer le suffrage ce 24 février!

Les cinq candidats qui ont pu passer le parrainage ont démontré qu'ils ont  disposé d'une base sociale nationale que les résultats des élections ont confirmé.

Il ne peut donc plus y avoir de retour en arrière vers la sélection des candidats par l'argent.

Cependant, il est important de tenir une nouvelle concertation en vue de rendre le parrainage plus opérationnel et moins controversé, mais c'est le chemin pour assainir notre paysage politique, en mettant fin au " louage de récépissé" à des fortunés pour leur permettre de se soustraire aux contraintes de représentativité nationale qu'il exige.

Avec ce scrutin du 24 février et ses résultats, la recomposition politique,  qui était en gestation depuis la première alternance, s'est désormais accomplie. La vie politique, devenue moderne, va être de plus en plus marquée  par des débats et des échanges sur des choix de société et de politiques publiques, que sur les hommes et femmes  à identités remarquables.

                       Ibrahima SENE PIT/SENEGAL

                                                              Dakar le 4 février 2019
Lundi 4 Mars 2019




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