En proposant un Mécanisme africain de stabilité financière (MASF), l'économiste Christian de
Boissieu et Cheikh Kanté, ministre d'Etat du Sénégal, veulent donner à l'Afrique les moyens de sa transition. Les deux (2) personnalités livrent dans cette contribution conjointe une orientation économique.
Les pays émergents ou en développement «naviguent dans des eaux dangereuses», selon le dernier rapport de la Banque mondiale. La conjugaison des chocs (pandémie puis guerre en Ukraine), le ralentissement de la croissance mondiale et de la croissance chinoise en particulier, l'inflation et la montée des taux d'intérêt, tout cela est venu réduire fortement les marges de manœuvre de pays déjà surendettés et qui ont besoin d'une croissance plus résiliente et plus inclusive.
Moins d'instabilité financière est une condition nécessaire, certes insuffisante, pour une telle croissance et pour réussir la tansition énergétique et écologique. C'est pourquoi nous proposons la création d'un Mécanisme africain de stabilité financière(MASF). Stabilité financière plutôt que stabilité monétaire: le continent africain est loin d'abandonner sa fragmentation monétaire actuelle et d'aller vers une monnaie unique justifiant, comme dans la zone euro, la mise en place d'un mécanisme de stabilité monétaire.
Une austérité mortifère
Avec le resserrement monétaire dans les pays du Nord, les capitaux ont eu tendance à
quitter massivement les pays du Sud, obligeant nombre d'entre eux à défendre leurs monnaies, à gérer le cercle vicieux (dépréciation du change/inflation accélérée/nouvelle dépréciation) et à pratiquer une austérité mortifère. L'accès au MASF permettrait aux pays africains de défendre leurs monnaies, de faire face à des crises bancaires systémiques, de mieux gérer leur surendettement, en résumé de faire face aux différentes sources d’instabilité financière.
Cet accès n'aurait rien d'automatique. Il serait décidé en commun par les organes de
gouvernance du MASF. En appliquant, sans démagogie et dans l'intérêt de long terme des
pays membres, une conditionnalité qui ne serait pas la réplique des conditions du FMI, de
la Banque mondiale...Une conditionnalité adaptée aux contraintes et aux ambitions
africaines, tout en sachant que, comme les autres régions, I'Afrique doit accorder une
priorité à la transition énergétique et écologique et à son financement.
D'où viendraient les ressources du MASF? A l'occasion de la dernière création de DTS, sur
la suggestion de la France, il a été décidé que les pays du Nord reverseraient une partie de
leur allocation aux pays africains. Une proposition salutaire, qui ouvre une brèche dans le mécanisme habituel de répartition des nouveaux DTS, même si les sommes en jeu restent modiques. Au lieu de recevoir pour l'équivalent de 35 milliards de dollars, l'Afrique va bénéficier en principe de 100 milliards. Nous proposons que, sur cette somme, environ
35 milliards viennent abonder le capital initial du MASF.
Un complément des dispositifs existants
A cela, devraient à notre avis s'ajouter un surplus de contribution de chaque pays membre du MASF, ainsi que des apports des banques de développement africaines, sans oublier les banques centrales concernées. Avec un tel tour de table, le MASF aurait une base de fonds propres qui lui permettrait d'emprunter sur les marchés financiers dans de bonnes conditions, grace aussi à la garantie des Etats participants.
Le pragmatisme doit être de règle. S'il s'avère compliqué de créer d'emblée un MASF panafricain, alors n'hésitons pas à commencer par deux ou trois MASF au niveau des principales sous-régions (Cédéao, Afrique de I'Est, Afrique australe...), avant de passer
plus tard à un MASF unifié.
Il faut souligner que le MASF ne doit pas être conçu comme une machine de guerre contre le FMI et la banque mondiale, mais en complément pour l’Afrique des dispositifs existants. Au cas où la dotation initiale du MASF tarderait à venir, des formules intermédiaires et provisoires comme l’ancrage du MASF sur des paniers de monnaies pourrait être imaginé.
(Notre proposition sera discutée lors lors des rencontres du cercle des économistes en juillet prochain à Aix-en-Provence).
Christan de Boissieu est vice-président du cercle des économistes.
Cheikh Kanté est ministre d’Etat et président de l’Excellence universitaire africaine à Dakar.
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