La célébration de 18 Safar, l’anniversaire du départ pour l’exil, est donc une date qui doit retenir l’attention non pas seulement des fidèles mourides, mais aussi de tous les musulmans. Cette date marque le début d’une entreprise de rénovation du soufisme qui sera indéfiniment profitable à la Oumah islamique et même à l’humanité tout entière. La convergence à Touba de millions de musulmans à l’occasion du Magal est une sorte de prise de conscience de la dimension universelle de l’œuvre de Serigne Touba ; c’est le témoignage que sa vie et son œuvre sont définitivement entrées dans le patrimoine islamique. Le Magal de Touba est devenu une mœurs qui charrie une culture dans laquelle on peut retrouver l’essentiel des valeurs islamiques et humanistes. Sous ce rapport, la formidable révolution spirituelle que le mouridisme insuffle au monde est un trésor infini de valeurs, de principes, d’enseignements et de solutions, dont l’exploitation et la diffusion seront à coup sûr profitables à toute l’humanité.
La leçon de morale que le refuge du Cheikh auprès de ces deux grands boucliers, que sont le Prophète et le saint Coran, donne à ses disciples et contemporains est que la foi est la seule arme absolue. Les meilleures armes sont non opérationnelles et caduques lorsqu’elles sont entre les mains d’une personne qui n’est pas suffisamment nantie de foi. Toutes les grandes armées du monde échoueraient à écraser et même à faire fléchir un homme fortement agrippé sur les cimes indestructibles de la foi. Inversement, un homme sans foi est irrémédiablement la molle victime de la plus naine contrariété et de la moindre catastrophe, qu’elle soit naturelle ou le fruit de l’action humaine.
Nous disciples ou simples concitoyens d’un homme aussi courageux et aussi visionnaire ne devrions par conséquent pas être désemparés et apeurés face aux vicissitudes de la vie de tourbions et d’incertitudes de ce 21e siècle. Dans la langue Wolof, le mot écrire « Bind » signifie à la fois écrire et créer : voilà qui pourrait résumer l’œuvre littéraire et scientifique de Serigne Touba. Par ses écrits, il a rendu grâce à son seigneur, a chanté les louages du prophète, et a fondé une communauté. Par ses écrits il a jeté les bases solides d’une communauté structurée autour des principes de la charia et ayant un mode de vie qui est simplement la mise en œuvre de l’Islam en tant totalité organique.
Du cultuel illégitimement séparé du culturel, il a fait une civilisation, de sorte que la vie de l’homme exprime en même temps la finalité de son existence. Parce qu’il a compris que l’Islam est un tout, il a réussi à concilier l’exigence naturelle d’épanouissement à la pureté morale vers laquelle nous tire cette religion. On comprend dès lors pourquoi le départ pour l’exil (18 Safar) est l’acte fondateur de la béatitude de la communauté mouride. Le Cheikh a endossé le calvaire humainement insupportable pour la véritable félicité de ses disciples : le début de son martyre est aussi le point de départ de notre rédemption à la fois spirituelle et matérielle. Ceux qui s’étonnent de voir quelqu’un célébrer l’anniversaire du commencement de son supplice et non la fin de celui-ci pourront méditer ce principe de la rédemption pour comprendre la signification du grand Magal de Touba.
Cette empreinte que l’Islam sénégalais aura définitivement sur la civilisation musulmane est la révélation parfaite de la vérité selon laquelle l’homme noir n’avait pas perdu sa place dans les religions révélées. Contrairement à une idée reçue, la fin de l’histoire n’a pas sonné, l’histoire de l’humanité ne s’est pas faite et ne se fera jamais sans le génie de l’homme noir. Nous n’avons reçu de religions révélées, mais l’Islam en tant que religion universelle est celle de l’homme noir. Mieux, le mouridisme revendique avec succès une vivification de la foi musulmane que le temporel et les savoirs profanes étaient en train d’occulter dans cette partie du monde et même ailleurs. Jamais dans l’histoire de l’humanité on ne trouvera l’exemple d’un homme qui a décidé de fonder une ville et une communauté dans le seul dessein d’adorer son seigneur.
Il faut, sur ce point, essayer de comprendre les instants qui jalonnent la durée du Magal comme des séances de pédagogie ambiante. Tout fidèle incapable de lire les actes et d’apprendre par eux demeurera dans le superficiel et l’informel du mouridisme ; il ne pourra jamais goûter aux délices spirituelles qu’offre la quintessence de l’orthodoxie mouride. Pour comprendre il faut « imiter » non pas au sens de copier en contrefaçon, mais au sens de s’inspirer des actes des gens qui servent de références. La sainteté ne se transmet ni de façon héréditaire, ni par l’apprentissage classique, c’est par l’aspiration dynamique que se traduit par des actes posés que l’on peut être digne de recevoir la sainteté de la part de Dieu.
Il faut peut-être étudier l’histoire des saints dans la religion musulmane pour comprendre ce postulat que nous venons de poser : le piétisme et la résignation n’ont jamais été des voies suffisantes pour accéder à ce grade. L’engagement a toujours été le glaive fumant qui transperce le bouclier de l’infidèle et de l’ennemi de la foi. Il faut faire vivre la foi non pas seulement par la prière, mais par l’édification d’une culture qui la fige de façon indélébile sur l’être du monde. L’existence humaine elle-même doit refléter la foi et ce, non pas par la simple ferveur, mais par la réalisation immanente de ce que la prière doit avoir comme effets sur l’individu et sur la société. La prière et les autres piliers de l’Islam doivent avoir un impact sur le fidèle, sinon ils ne sont que pires fantaisies et tartufferies : le vrai disciple doit révéler dans sa façon d’être cette pureté, cette humilité, cette générosité et cette perfection morale que la prière est censée réaliser chez le croyant.
Grand érudit du saint Coran, Serigne Touba a très tôt bien compris que le savoir sans la discipline est vain voire même périlleux pour l’humanité et pour celui qui en est le dépositaire. Il a alors enseigné que celui qui est imbu d’un savoir sans être pourvu de discipline et de vertu est comparable à un âne qui porterait un sac de livres savants. Toute l’élévation spirituelle du mouride prend racine sur ce principe, et c’est pourquoi un fidèle mouride est généralement reconnaissable à travers son comportement citoyen irréprochable. Il fut des temps où la « mouridité » se vivait presque dans l’anonymat et dans le privé, tellement la persécution était rude et parfois avilissante. Aujourd’hui la mouridité est donnée en exemple à toute l’humanité : c’est dire donc si la pédagogie de l’action sincère reposant sur la vertu intrinsèque est efficiente.
Et pourtant l’odyssée du mouridisme ne fait que commencer, car la revivification de la foi n’a pas de limite et plus les temps seront obscurs, davantage le mouridisme apparaitra comme la solution à l’égarement, à l’athéisme et à l’incivisme. Ce qui est frappant dans l’histoire du Magal c’est qu’il est indéfiniment capable d’adapter les besoins de l’homme à son essence mystique. Sans jamais se laisser pervertir dans l’aventure d’une mondanité excessive, le grand Magal de Touba se révèle chaque année un évènement d’une dimension universelle et plurivalente. Contrairement à une approche négativiste et assimilatrice d’autres religions, l’Islam est une religion intégrationniste. Beaucoup de pratiques non contraires aux principes fondamentaux de l’Islam ont été intégrés dans celle-ci sans ostracisme.
Le mouridisme nous en donne l’illustration parfaite : tout ce qui dans la culture de l’homme noir n’est pas antinomique à l’Islam est toléré. Cette ouverture sous forme de tolérance est l’une des forces qui sous-tend l’évolution positive du mouridisme. La notion de tolérance ici n’est pas seulement une acceptation de l’autre, c’est aussi et surtout le respect de l’identité d’autrui. Dans le fonctionnement de la communauté mouride comme dans l’intonation des khassyides, la confrérie mouride donne l’exemple de la tolérance « positive » consistant à respecter sans frilosité la différence. En Mauritanie, le Cheikh montré l’universalité du mouridisme et son ouverture dynamique sur les autres confréries.
C’est pourquoi le Magal est aujourd’hui célébré jusque dans d’autres pays du monde et il n’est pas exclu dans un avenir proche de voir toute la communauté musulmane l’adopter comme un moment de réunir les différentes versions de l’Islam. Si la dynamique actuelle est maintenue, le grand Magal deviendra dans les prochaines années une occasion unique que la Oumah islamique mettra à profit pour régler les questions essentielles de la communauté musulmane mondiale. L’OCI l’organisation pour la conférence islamique) des États existe et fonctionne présentement suivant les principes et les préceptes que détermine la diplomatie : les peules y sont quasiment exclus. Il est temps qu’il y ait une OCI des peuples où les musulmans du monde entier, affranchis des contraintes de la politique des États, pourront échanger librement et décider des affaires de la communauté. Ce qu’on peut légitimement penser est que, conformément aux enseignements de Serigne Touba et suivant le rythme de progression naturelle de l’organisation du Magal, le mouridisme est sur la bonne voie pour devenir cette OCI des peuples. Il suffit d’observer le perfectionnement de l’organisation et de l’orientation du Magal pour se convaincre qu’un tel but pourrait être atteint dans un avenir proche.
Sur le plan psychologique, le mouride est préparé à ne jamais se laisser envahir et handicapé par la frilosité à la modernité. L’ardeur avec laquelle le Magal est, chaque année, modernisée davantage avec les avancées technologiques vise à accoutumer la communauté aux progrès. Il n’y a aucune espèce d’antinomie entre la modernité et l’islam : c’est ce que la communauté mouride à travers le Magal et à travers tous les actes de dévotion montre de façon pédagogique. Sur le plan intellectuel, la communauté mouride tire le maximum d’avantage sur les progrès des technologies et l’information et de la communication.
Le patrimoine intellectuel et culturel que le mouridisme a aujourd’hui consigné dans le Net est inépuisable : c’est ce qui a surtout permis aux autres de mieux comprendre le mouridisme. Les préjugés, l’ostracisme et la xénophobie ont très souvent pour fondement l’ignorance. Aussi, sans complexe ni chauvinisme, le mouride a-t-il investi les divers couloirs qui mènent à la connaissance et en a fait des supports de sa compréhension par les autres. Plus on connaît les autres, davantage on les comprend et les préjugés disparaissent : c’est en cela que les progrès de la modernité sont les alliés du mouridisme. Jamais dans l’histoire de l’humanité la foi n’a tiré profit de la raison et jamais elles n’ont été si complémentaires.
Les usines qui produisent de l’eau minérale se réjouiraient davantage si le grand Magal de Touba était trimestriel tellement la commande fait un bon considérable : les pics atteints en période de du grand Magal de Touba sont forcément records et il est temps que des études chiffrées soient faites dans ce domaine pour davantage monter l’impact commercial du Magal dans cette filière. Il en est ainsi aussi de la filière fruit et légumes : la quantité impressionnante qui est écoulée à Touba durant la période du grand Magal est une source de résurrection de cette filière très fragile dans notre pays. La filière riz, celle de l‘huile et celle de l’élevage connaissent durant la période du Magal sont considérablement boostées. Ceux qui connaissent l’impact économique, social et financier des différents grands rendez-vous qui se tiennent régulièrement en Europe savent bien que ces moments sont aussi très propices à des rencontres d’ordre économique, culturel, et même culturel.
Si l’Afrique pouvait démultiplier des rendez-vous similaires au grand Magal le commerce et les relations économiques entre pays et entre individus s’en porteraient mieux. Il manque au continent des grands moments d’échanges économiques pouvant générer quotidiennement des milliards et nos marchés en termes de consommateurs sont très réduits. En plus de cela, il y a une sorte de peur de l’investissement de la consommation dans certains milieux, notamment dans le monde rural. Or la consommation est le moteur de la production : ce couple permet à l’économie d’être en vie et de réguler ses crises. Lorsqu’on s’enfonce dans une culture de la thésaurisation excessive on perd toute faculté de promouvoir une économie dynamique. En réalité avec la thésaurisation il n’y a même pas d’économie car sans le mouvement des finances, des produits et des personnes la notion d’économie n’est qu’un mot vide de sens. Justement la grand Magal de Touba est une façon propédeutique d’inciter les populations à consommer et à participer activement à une économie réelle où l’investissement et la consommation ne sont plus perçus comme des risques ou comme un gaspillage, mais comme des leviers économiques.
Pape Abdoulaye KHOUMA
Parcelles Assainies
abkhouma@yahoo.fr
DAKAR
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