le mercredi 12 juin 2025, l'audience du tribunal de grande instance de Dakar a accueilli un procès retentissant qui alliait religion, influence numérique et violation de la vie privée. En tête d'affiche, Fallou Ndoye, un maçon devenu influenceur, habillé en boubou traditionnel, faisait face à une série d'accusations sévères : recueil illégal de textes et de matériels audiovisuels contraires aux bonnes mœurs, violation de la vie privée et diffusion non autorisée de contenus confidentiels impliquant les guides religieux de Touba.
Le contexte : une cérémonie de culte, un conflit maraboutique et une vidéo qui a fait le tour du web.
Tout commence à l'occasion d'un mariage qui a eu lieu à Guy Mbinde (Touba), dans la cité sacrée de Touba. Pour l'événement, Fallou Ndoye, connu sous le nom de « Ndoye TV », filme la cérémonie en temps réel. Il capture notamment un passage où le marabout Cheikh Ahma tient des propos que Serigne Bassirou Khadim Awa Ba Mbacké considère « inappropriés » et qui vont à l'encontre de l'harmonie entre les familles religieuses. Malgré les demandes répétées de Serigne Bass pour l'effacement de parties délicates, Fallou persiste dans sa démarche et diffuse, deux jours après, une vidéo qui engendrera d'importantes tensions. Un échange téléphonique tumultueux entre le guide et l'influenceur suivra, que ce dernier enregistre sans autorisation. Il prétend avoir transmis l'enregistrement à son mentor spirituel, Serigne Ahma, « simplement pour lui démontrer que son Oncle m'avait insulté ». Cependant, la situation s'aggrave : l'enregistrement est rendu public, accompagné d'un montage photo et d'un commentaire explicite « Ki vrai domaram la » (C’est un véritable bâtard) considéré comme une attaque directe contre Serigne Bass. L'incident a rapidement fait le tour de TikTok et des réseaux sociaux, suscitant l'indignation et la consternation au sein de la communauté mouride.
Sur le banc des accusés : un prévenu indécis, des confessions incomplètes. Lors de son audition par le magistrat, Fallou Ndoye déclare d'abord ne pas avoir diffusé la vidéo ni participé à sa réalisation. « Je l'ai simplement transmis à Serigne Ahma, ce qui est arrivé après ne me regarde pas », dit-il, perplexe, avant d'admettre qu'il a bel et bien enregistré la conversation sans que son correspondant ne le sache. « J'ai présenté mes excuses... » des excuses qui éveillent l'intérêt du juge. Celui-ci lui demande la raison de ses excuses, compte tenu du fait qu'il nie toute culpabilité. Il répond : « Je croyais que les paroles de Cheikh Ahma mettaient trop en avant sa personne au détriment du guide, c'est cela qui déplaisait à Serigne Bass. » Le juge est surpris : « Tu prétends ne pas être influenceur, pourtant tu as reconnu que ça fait des années que tu n'exerces plus le métier de maçon. Tu gagnes ta vie grâce à TikTok, tu filmes, tu réalises le montage, tu fais des directs… » C'est donc ta profession. Ce que l'accusé finit par reconnaître en partie : « Je parle haut, mais je dis toujours des choses de valeur. »
Les procureurs dénoncent une exploitation des réseaux sociaux.
Le procureur ne fait pas dans la dentelle : « Ce n'est pas Cheikh Ahma qui t'a conduit ici, c'est toi-même grâce à tes vidéos, tes montages et tes publications sur TikTok. » Tu cherches la popularité, tu crées le buzz, tu ruines des réputations. Tu te réfugies derrière ton ‘guide’ pour échapper à tes obligations. Le procureur souligne aussi qu'aucune réclamation n'a été faite par Fallou Ndoye pour se défendre s'il estimait avoir subi des insultes : « En matière juridique, on ne se venge pas sur TikTok. » Si tu étais réellement offusqué, tu te serais manifesté ici pour exprimer ton mécontentement, plutôt que de te livrer à des publications perfides.
La partie plaignante exige 500 millions de francs CFA en réparation de préjudice.
Serigne Bassirou Mbacke Khadim Awa Ba se déclare partie civile, représenté par Me El Hadji Diouf et trois autres avocats. L’avocat exprime ouvertement sa colère : « On se trouve face à une personne qui a clandestinement enregistré, apposé des injures sur l'image d'un religieux et propagé le tout dans le but de rabaisser. » "Ce n'est pas une erreur, mais une stratégie." Il parle d'une atmosphère de tension sous-jacente entre Serigne Ahma et son oncle Serigne Bass, reprochant au premier d'avoir employé Fallou Ndoye comme « instrument d'assaut » : « Fallou et Ahma ont tendu un piège à un guide religieux. » Ils ont ruiné son image, envahi sa vie privée, terni sa réputation. Nous réclamons une indemnisation de 500 millions de francs CFA.
El Hadji Diouf, dans un geste de témoignage authentique, a exposé avec passion les histoires qui lui ont été racontées à propos de Fallou, ce fidèle intrépide dont les actions et paroles demeurent vivantes dans la mémoire collective. « On m'a rapporté, et ce n'est pas une personne quelconque qui le dit, que Fallou, face à Serigne Bara, n'hésitait pas à se retourner vers Serigne Ahma pour lui lancer : « Yaye Gaïndé bou mak bi ! » — C'est toi le véritable lion ! » Ces paroles, lancées avec la puissance de la conviction et le courage de l'honnêteté, résonnaient comme une proclamation d'estime et de gratitude. Selon El Hadji Diouf, bien qu'il ne l'ait pas observé de ses propres yeux, le récit dépeint un homme sans crainte ni respect pour qui que ce soit, excepté Dieu lui-même — un homme dont les mots étaient acérés comme une épée et droits comme un minaret.
La défense plaide la relaxe et dénonce un procès à charge
En réponse à ces allégations, l'avocat de la défense, Me Sylla, cherche à réaligner la discussion sur le fondement juridique : « Mon client n'a pas effectué de diffusion. » Il vient de transmettre un enregistrement audio à son mentor. Il ne l'a pas installé. Il n'y a aucune preuve qu'il ait publié quoi que ce soit. L'enregistrement n'a pas été truqué, il s'agit d'une preuve et non d'une agression. « L'avocat a déclaré avant de présenter une preuve (une accusation de son client Fallou contre Serigne Bass suite à des insultes) que cette plainte avait été jugée « frauduleuse » par Maître El Hadji Diouf. « Cette plainte a été formulée après l'arrestation de Fallou, il était en prison même au moment où elle a été déposée. »
Au centre des plaidoiries, Maître El Hadji Diouf, représentant de la partie civile, a vigoureusement dénoncé ce qu'il considère être une attaque minutieusement planifiée par Serigne Ahma à l'encontre de Serigne Bassirou Mbacké. Il a décrit une dynamique familiale tendue, soulignant que Serigne Ahma n'a cessé de s'en prendre à son oncle depuis que ce dernier a gagné en renommée, en particulier après les événements significatifs liés à Serigne Bara. « C'est une jalousie masquer, un désaccord familial étalé en public avec pour instrument, Fallou Ndoye », dénonce-t-il. Selon la défense, les vidéos et montages ne servaient qu'à miner la dignité de Serigne Bass en l'humiliant devant ses disciples et en questionnant son autorité spirituelle. D'après Me Diouf, c'est Serigne Ahma qui aurait, dans l'ombre, exploité le poids numérique de Fallou pour propager une image dévalorisante de son oncle, érodant de ce fait l'unité entre les descendants de Serigne Touba.
Pour revenir à l'origine, Maitre El Hadji Diouf explique que le jour du mariage à Gouy Minde, Serigne Ahma, dans un de ses états d'élévation spirituelle intense, aurait prononcé cette phrase pleine de mystère : « Bëneu seub si Thine la. ». Des termes simples mais empreints d'une profondeur mystique, qui ne laissaient personne insensible. C'est Serigne Bassirou, grand héritier de la lumière soufie, qui, dans son silence empreint de sagesse, percevait au-delà du voile : il discernait les « offens », des manifestations délicates de la sainteté, des présences imperceptibles pour l'œil humain, mais palpables pour ceux dont le cœur était pur. Cet endroit, empreint des mots d'un wali et de la vision d'un autre, se transformait alors en un point de convergence où s'entrelacent les mystères du ciel et les traces furtives des élus divins.
Un verdict très attendu dans une affaire symptomatique des dérives numériques
L'audience a maintenu une tension palpable jusqu'à la dernière seconde, l'ambiance lourde d'un procès où les valeurs religieuses, l'éthique digitale, la protection de la vie privée et les questions de réputation ont été en conflit direct. La réquisition du procureur est sévère : deux ans d'emprisonnement dont trois mois fermes, pour donner l'exemple face aux « influenceurs » qui se servent des plateformes comme zones de conflit. On attend le jugement dans les heures à venir. Peu importe l'issue finale, ce dossier représente un point de bascule : celui d'un système judiciaire sénégalais face à une époque où le pouvoir du numérique peut perturber la structure sociale, religieuse et personnelle.
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