Sénégal : le Falcon français, "un apport substantiel" à la surveillance des eaux sénégalaises

Le Falcon 50 des Eléments Français au Sénégal (EFS) décolle au moins une fois par semaine pour surveiller les activités de pêche dans les eaux sénégalaises. Résultat d'une coopération entre le Sénégal et la France, ces vols continuent de porter leurs fruits, avec l'arraisonnement ou l'identification des navires qui ne respectent pas la réglementation, et d'avoir ainsi "un apport substantiel sur l'effort de surveillance des pêches" selon la marine sénégalaise.


Les chalutiers qui pêchent sous les nuées d'oiseaux de mer dans les eaux poissonneuses du Sénégal voient parfois un avion français filer vers eux à basse altitude et virer au-dessus de leur tête. Ils se savent alors surveillés.

Le Falcon 50M de la Marine française qui scrute l'Atlantique avec son radar, cinq militaires et un inspecteur sénégalais à son bord participe à la surveillance qu'exerce le Sénégal sur ses eaux et sur la pêche. Cette vigilance est stratégique, tant la pêche compte dans l'économie et la vie du pays.

Sénégalais ou étrangers, les équipages qui ont lancé leurs filets là sont loin d'imaginer la minutieuse organisation à l'oeuvre à bord du triréacteur à cocarde bleu-blanc-rouge au moment où celui-ci amorce une courbe qui met à l'épreuve l'estomac des journalistes de l'AFP embarqués.

- "Par la droite, on a un écho à huit nautiques", rapporte le radariste à l'arrière de l'habitacle exigu. Son écran fourmille de flèches blanches et rouges qui manifestent la densité de la fréquentation dans le nord de la Zone économique exclusive (ZEE) du Sénégal, près de la Mauritanie. Sous chaque flèche: un armement de pêche industrielle sénégalais ou étranger, ou l'une de ces pirogues sénégalaises qui ratissent l'océan par milliers, ou encore un gros tonnage de commerce.

Les artisans pêcheurs locaux prélèvent encore 80% du volume global. Mais le poisson se raréfie sous l'effet du réchauffement climatique et de la surexploitation, et ils font entendre depuis des années leur complainte sur le tort causé par les armements étrangers, européens et chinois notamment.

Protéger la ressource est un enjeu primordial, dit le capitaine de vaisseau Ibrahima Diaw, chef de la direction de la protection et de la surveillance des pêches du Sénégal: "On a 600.000 personnes qui travaillent directement ou indirectement dans la pêche, et des millions de personnes en dépendent. Il est important de surveiller l'exploitation de la ressource".

- Des Tropiques au Pôle -

Le Falcon de la Flottille 24F de l'aéronautique navale française est détaché à l'année à Dakar de la base de Lann-Bihoué (ouest de la France) en vertu d'accords illustrant les liens historiques entre les deux pays. Il apporte son allonge à un effort qui associe les moyens nautiques et un avion des forces armées sénégalaises. A 700 km/h, ou 500 en patrouille, on est vite d'un point à un autre.

Derrière pilote et copilote, les deux veilleurs aux sabords droit et gauche, le radariste et l'inspecteur des pêches corrèlent les positions, les signaux émis par les navires, les listes de licences de l'administration sénégalaise et, au bout du compte, l'observation à vue. La radio grésille d'azimuts et d'un jargon dans lequel "clair licence" ou "en pêche" signifie que le bateau est en règle.

- "Préparez pour la position (...) On va faire une passe sur lui pour voir si le nom qu'il émet correspond à l'AIS" (Automatic Identification System, sorte de signature du bateau, ndlr), annonce le chef de bord, le lieutenant de vaisseau Mathieu (l'armée française impose l'anonymat de ses personnels).

- "En pêche. 1182. Confirmé", lâche la radio.

Le maître principal Pierre-André, radariste, désigne les flèches blanches et rouges sur son écran: "On pourrait penser que les blancs qui émettent sont les gentils. Mais il y a plein de façons de pêcher illégalement": pêche en zone interdite, pêche avec du matériel prohibé, pêche sans licence ou pavillon... Les fraudeurs disposent de logiciels pour trafiquer l'AIS. Il arrive qu'un AIS capté dans les eaux sénégalaises place le bateau très loin de la position où il est repéré, jusqu'au pôle Nord, dit-il.

- Enjeu alimentaire -

Les eaux sénégalaises suscitent la convoitise. Thon, sardine, crevette, langouste, poulpe... elles sont parmi les plus poissonneuses au monde. La pêche contribue à 3,2% du Produit intérieur brut et 10,2% des exportations, indique un rapport de 2022 du département américain de l'Agriculture.

Quand les données recueillies éveillent le soupçon, l'avion descend et les veilleurs prennent des photos. En cas d'infraction, le plus souvent, un procès-verbal est dressé, explique le capitaine de vaisseau Djibril Diawara, commandant de la base navale centre à Dakar. Dans les cas exceptionnels, la Marine sénégalaise envoie un bateau avec des fusiliers marins aborder le contrevenant, mais "ces dernières années, nous n'avons pas eu à mener de telles opérations".

"On a procédé à 35 arraisonnements en 2022", dit le directeur de la surveillance des pêches. Arraisonnements "à vue", précise-t-il: les bateaux sont sanctionnés à distance sans être amenés à quai. Mais "35, c'est énorme". Les amendes peuvent atteindre 30 millions de francs CFA (45.000 euros), dit-il.

Les Falcon détachés à tour de rôle à Dakar ont contrôlé près de 600 bateaux en 2022, selon la Marine française. Ils ont aussi mené 25 missions de secours dans la sous-région depuis 2020 et participent à la lutte contre le trafic de drogue.

Les experts reconnaissent les efforts fournis par le Sénégal pour combattre la pêche illégale. Mais ils s'alarment de l'inadéquation des moyens face à l'ampleur d'un phénomène qui, selon l'ONG Environmental Justice Foundation, "fait perdre plus de 270 millions de dollars de revenus au Sénégal chaque année" et "menace la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance de centaines de milliers de personnes".
Mardi 4 Avril 2023




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