Journée Mondiale de sensibilisation à l'Autisme : Entretien avec Aminata Fall Niane, une mère, militante de la cause des enfants différents


Mère d’un adolescent autiste de 17 ans, Aminata Fall Niane mène chaque jour un combat silencieux mais puissant, celui d’accompagner son fils dans un monde qui ne comprend pas toujours l’autisme. En effet, dès le bas  âge, son fils a montré des signes qui ont éveillé ses interrogations. Le diagnostic d’autisme est tombé, bouleversant sa vie, mais jamais son amour ni sa détermination. Une vie rythmée par des défis quotidiens à savoir offrir une bonne éducation à son enfant, affronter le regard des autres, expliquer encore et encore ce que signifie l’autisme. Mme Aminata Fall Niane est devenue malgré elle, une militante de la cause des enfants différents, souvent stigmatisés en "enfant djinn" ou "esprit malveillant". Elle organise depuis quelques années des camps de vacances dans le département de Keur Massar, particulièrement la commune de Jaxaay-Parcelles afin d'offrir une expérience de vacances enrichissante aux enfants et jeunes en situation de handicap.  
 

Bonjour Mme Niane, ce 2 Avril, c'est la journée Mondiale de sensibilisation à l'autisme, pouvez-vous nous parler de cette maladie ? En tant que maman d'enfant autiste, comment avez-vous vécu ça ?
 

"En tant que maman d’un enfant vivant avec l’autisme, j’ai vécu un parcours à la fois rempli de défis et de découvertes"

Merci de me donner l’opportunité de parler de ce sujet en ce jour spécialement dédié à la sensibilisation et à la communication sur l’autisme. Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, le trouble du spectre autistique n’est pas une maladie, mais un handicap qui affecte la communication, le comportement et l’interaction sociale. En tant que maman d’un enfant vivant avec l’autisme, j’ai vécu un parcours à la fois rempli de défis et de découvertes.

En effet, jusqu'à 18 mois, nous avions remarqué que notre fils ne prononçait ni « papa » ni « maman », mais qu'il répétait certains sons. Il était hyperactif et n'était pas réceptif aux interactions sociales. Son principal centre d’intérêt était tout ce qui pouvait lui renvoyer son image (miroir, dos des cuillères, etc.). Son père a été le premier à remarquer que quelque chose n’allait pas mais je me disais cependant que c’était juste un retard de langage. Par la suite, nous l’avons inscrit dans une école maternelle, pensant que le fait de s’associer à d’autres enfants de son âge allait le stimuler. Quelques mois après, la direction de l’école nous a alertés sur le fait qu’il ne suivait pas en classe, qu’il ne restait pas sur place et ne répondait pas non plus lorsqu’on l’appelait, et nous a conseillé de vérifier s’il ne souffrait pas de problèmes auditifs. A partir de ce moment-là, nous nous sommes rapprochés de l’unité pédopsychiatrique « Ker Xaléyi » de l’hôpital de Fann pour commencer la prise en charge médicale.

Les premiers mois après le diagnostic ont été particulièrement difficiles. Je n’avais jamais entendu parler d’autisme. J'étais submergée par une vague d'émotions et très inquiète pour l’avenir de cet enfant tant espéré. Mais petit à petit, j'ai compris que l'important était de l'accepter tel qu'il est, avec ses difficultés. Etre maman d'un enfant autiste m'a appris à être patiente, à voir le monde à travers ses yeux. Aujourd'hui, bien que le chemin soit encore semé d'embûches, je reste optimiste et déterminée à être à ses côtés, à chaque étape de son évolution.
 

Est-ce facile la prise en charge d'un enfant autiste ?
 

" Ces enfants sont souvent considérés comme étant possédés par des « djinn » ou des esprits malveillants, ce qui complique encore leur acceptation"

La prise en charge d'un enfant autiste n'est pas toujours facile. Nous, parents, sommes éprouvés émotionnellement, physiquement et financièrement par les efforts incessants déployés au quotidien. Les familles peuvent se sentir isolées et manquent souvent de soutien dans la gestion des comportements et des besoins spécifiques de leurs enfants autistes.

Sur le plan social, nous vivons dans un pays où les croyances culturelles et les perceptions du handicap, en général, influencent la manière dont les familles perçoivent et gèrent l’autisme. Ces enfants sont souvent considérés comme étant possédés par des « djinns » ou des esprits malveillants, ce qui complique encore leur acceptation. Cette méconnaissance de l'autisme au sein de la société entraîne également des stigmatisations et des discriminations à l'encontre de ces enfants.

Sur le plan sanitaire, l’accès et le coût des traitements et thérapies sont un réel problème, notamment en l’absence d’une couverture d'assurance adéquate. L’autre aspect concerne l’absence de diagnostic médical, ainsi que la disponibilité des services nécessaires, en particulier chez les familles vivant en banlieue ou dans les régions éloignées. Imaginez le calvaire d’un parent qui, pour un rendez-vous, est contraint de parcourir des kilomètres jusqu’à Dakar, avec son enfant souvent agité. Cette situation conduit souvent à des abandons de traitement, avec des conséquences néfastes sur le développement de l’enfant autiste.

Dans ce même registre, il nous arrive d’être confrontés à des situations où l’absence de personnel qualifié fait défaut. En effet, il est extrêmement difficile pour un parent de voir son enfant souffrir sans pour autant comprendre la source de son affection. C'est pourquoi nous demandons une amélioration de l'accueil réservé à ces enfants dans les établissements de santé, surtout au niveau des urgences. Pour cela, il est essentiel que nos dirigeants puissent envisager des initiatives visant à offrir un soutien financier et logistique aux familles, telles que des programmes de transport ou des consultations à distance, qui pourraient atténuer leur souffrance et créer un environnement plus inclusif et solidaire pour cette couche vulnérable.
 


Comment faites-vous pour l'éducation d'un enfant à besoins spécifiques ?
 

"Il faut dire que la transition vers l'âge adulte est difficile pour les adolescents autistes, en raison du manque de programmes de soutien"

Prenant l’exemple de mon fils, à la maison, nous le considérons comme un enfant normal à qui nous essayons d’inculquer des valeurs et de corriger certains comportements, tout en veillant à le suivre dans son rythme. Nous tentons de mettre en place une routine stable, en intégrant des activités ludiques et éducatives qui correspondent à ses intérêts. Nous privilégions des méthodes visuelles et sensorielles pour l’aider à comprendre et à interagir avec son environnement. Malgré cela, la notion d’hyperactivité est toujours présente. Il lui arrive des fois de traverser des moments d’angoisse et de manque de concentration, que nous essayons de gérer. Ce n’est vraiment pas évident étant donné qu’il ne parle pas. Nous avons toutefois remarqué que, plus il grandit, plus il fournit des efforts en communication, devient plus sociable et autonome. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à la phase la plus critique, celle de l’adolescence. Il faut dire que la transition vers l'âge adulte est difficile pour les adolescents autistes, en raison du manque de programmes de soutien pour les aider à acquérir des compétences de vie et pouvoir les intégrer pleinement dans la société.
 


Est-ce qu'il y a assez de structures qui prennent en charge ce genre d'enfant au Sénégal et quels sont les coûts ?
 

"Il faut noter que ces enfants autistes ne sont pas acceptés dans le système classique"

Au Sénégal, il existe quelques centres dits spécialisés dans la prise en charge des enfants autistes, mais ils sont encore insuffisants par rapport à la demande. Les coûts sont également trop élevés et les résultats attendus ne sont pas toujours garantis. Cet enseignement différencié n’étant pas à la portée de tout le monde, certaines familles, faute de moyens, sont obligées de garder leurs enfants à la maison ; ce qui ne fait qu’aggraver leur situation. Il faut noter que ces enfants autistes ne sont pas acceptés dans le système classique.

D’autre part, les programmes éducatifs et thérapeutiques adaptés aux adolescents autistes sont rares. Il y a un besoin urgent de ressources adaptées, telles que des centres d’apprentissages aux métiers et des formations pour le personnel encadrant. Pour cela, nous portons beaucoup d’espoir sur la volonté des nouvelles autorités à apporter des solutions pérennes pour le bien-être des personnes porteurs de handicap.



Depuis quelques années, vous menez des activités pour l'inclusion et l'amélioration des conditions de vie des enfants à besoins spécifiques, pouvez-vous nous parler de ça ?
 

"Mon objectif est d’aider à créer un environnement où chaque enfant, quelle que soit sa différence, puisse s’épanouir et être accepté"

Effectivement, depuis plusieurs années, je m’investis pleinement dans des actions allant dans le sens de promouvoir l’inclusion des enfants à besoins spécifiques. Nous travaillons à sensibiliser les écoles et les institutions pour qu’elles adoptent des pratiques plus inclusives pour les enfants. Mon objectif est d’aider à créer un environnement où chaque enfant, quelle que soit sa différence, puisse s’épanouir et être accepté.

C’est d’ailleurs, dans ce cadre que nous avions organisé un camp de vacances inclusif dans le département de Keur Massar, précisément dans la commune de Jaxaay-Parcelles durant les dernières vacances scolaires. Cette activité avait pour objectif d’offrir aux enfants et jeunes en situation de handicap, une expérience de vacances enrichissante à travers des jeux et animations favorisant l'interaction et la coopération entre les participants. L’expérience fut très intéressante pour les enfants car les parents appréhendent beaucoup cette période de vacances où ils ne trouvent quasiment pas d’activités dans cette zone de Keur Massar pour occuper leur progéniture.

Cette activité fut également un moment de sensibilisation et de plaidoyer envers les autorités locales sur la situation de ces enfants et la particularité de cette zone dépourvue de structures adaptées à leurs besoins.
 

Quel message lancez-vous aux autorités pour une meilleure prise en charge de l'autisme au Sénégal ?
 

" [...] Quelques avancées même si elles restent encore insuffisantes en termes de sensibilisation, de médecins spécialistes en pédopsychiatrie et de centres spécialisés"

Bref, en termes d’évolution dans la prise en charge de la pathologie de l’autisme, nous pouvons noter quelques avancées même si elles restent encore insuffisantes en termes de sensibilisation, de médecins spécialistes en pédopsychiatrie et de centres spécialisés. Nous pouvons dire qu’il y a un léger mieux dans la problématique des troubles du spectre autistique mais le chemin est encore loin et les défis à relever sont encore nombreux. Je me permets donc, à travers cette tribune qui m’est offerte, de lancer un appel aux nouvelles autorités pour plus d’effectivité de l’éducation inclusive au Sénégal afin que toutes les catégories de handicap soient prises en charge.
 

Votre dernier mot?
 
 
Je termine par des mots d'encouragement envers toutes ces familles qui vivent difficilement le handicap de leurs enfants avec dignité. Je souhaite également une bonne évolution sociale et sanitaire à nos chers enfants. Enfin, un grand merci à tous les acteurs engagés pour la cause (professionnels, mécènes, sympathisants, etc.)
Mardi 1 Avril 2025
Dakaractu



Nouveau commentaire :
Twitter



Dans la même rubrique :