Guinée Bissau : Révélations sur un coup d’État avorté.


Mardi 01 février, la Guinée Bissau a failli basculer dans les travers d’un énième coup d’État. Le président ainsi que son Premier ministre et des membres du gouvernement ont été pris au piège au palais du gouvernement par un groupe de militaires dans ce qui apparaît clairement comme une tentative de putsch. Pendant cinq tours d’horloge, le chef de l’État bissau-guinéen et ses collaborateurs n’ont donné aucune nouvelle alors que les balles crépitaient à l’extérieur entre les assaillants et les loyalistes. Ce n’est qu’en fin d’après-midi que Umaro Sissoco Embalo a pu être « libéré ». 

Le successeur de José Mario Vaz qui a réussi à rentrer au palais présidentiel s’est adressé aux journalistes. Il a regretté les évènements malheureux du jour et son lot de victimes. Le président bissau-guinéen ne tardera pas à faire le lien entre la tentative de déstabilisation de son pays et les décisions qu’il aurait prises contre la corruption et la drogue. Dans la même veine, il annonce des arrestations dans les rangs des personnes impliquées dans le coup d’État manqué mais ne donne pas de précisions sur leur identité. Lorsque le nom d’un officier a été cité, il n’a pas confirmé. Cet officier est le contre-amiral Bubo Na Tchuto. 

Le journaliste sénégalais Barka Ba, spécialiste de la sous-région ouest-africaine révèle dans un post sur Facebook que Bubo Na Tchato a été arrêté dans le cadre de cette tentative de coup d’État et serait entre les mains du renseignement militaire. Une information de taille corroborée par certains médias qui suivent cette affaire dans laquelle quatre personnes ont perdu la vie. Est-il coupable de ce qu’on l’accuse ? L’enquête n’a pas encore révélé le moindre détail sur les preuves de son implication. 

Cependant, l’homme s’est forgé une réputation dans le trafic international de drogue. Ancien combattant de la guerre d’indépendance contre le Portugal, Bubo Na Tchuto devient chef d'État-major de la marine en 2003 jusqu’à ce qu’il soit impliqué dans une tentative de coup d'État le contraignant à quitter la Guinée Bissau pour la Gambie. De retour en Guinée, il s’était déjà fait déboulonner par le Général Antonio Indjai dans le monde du trafic de stupéfiants. Les deux hommes font l’objet d’une surveillance par la redoutable DEA américaine pour leur supposé lien avec les rebelles colombiens, les FARC.

En 2013, Bubo Na Tchuto est pris au large du Cap Vert par les américains et extradé aux États-Unis où il sera jugé en 2014 et condamné à 3 ans de prison. Le contre-amiral rentre chez lui en 2016 et demande sa réintégration dans l’armée mais ne l’obtient pas. Le site observador.pt  révèle que l’homme s’est reconverti dans la vente de carburant mais attire les radars de la justice bissau-guinéenne qui le soupçonne de blanchiment de capitaux et de fraude fiscale. Une enquête est ouverte contre lui en mars 2021. Un mois plus tôt, il était désigné à l'instar de l’un de ses protégés, Tchami Lalà, parmi un groupe de militaires qui fomenteraient un coup d’État contre Umaro Sissoco Embalo élu à l’issue de la présidentielle de 2019. 


Octobre 2021, le chef d’État-major des armées, Biague Na Ntam affirme avoir déjoué un coup d’État. Des soldats enrôlés pour la manœuvre à raison de 10 000 francs CFA par tête auraient vendu la mèche à l’Etat-major mais on n’en apprendra pas davantage sur les auteurs. Mais un fait intéressant, au moment où des informations font état de la mort du patron de l'armée à la suite d' une maladie que les armes ont encore parlé à Bissau.

Des spécialistes des événements politiques qui ont émaillé la vie de cette nation n’ont pas pu s’empêcher de faire le lien. Des militaires auraient-ils voulu profiter de la disparition du Général Biague Na Ntam qui a permis à Embalo d’asseoir son autorité dans un climat de contestation de sa victoire par le Parti africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) et son candidat Domingos Simoes Pereira pour prendre le pouvoir ?

À supposer que sa culpabilité soit établie, le contre-amiral Bubo Na Tchuto a-t-il tenté de faire payer au président Embalo ce qui ressemble fort à une justice à deux vitesses dans la traque des membres de l'armée empêtrés dans le trafic international de drogue ? Le président bissau-guinéen a catégoriquement refusé de livrer le Général Antonio Indjai aux États-Unis qui ont émis un mandat d'arrêt international contre lui dans le cadre de l'affaire du financement des activités des FARC avec l'argent de la drogue. 


Il est important de relever que Umaro Sissoco Embalo a posé ces derniers temps des actes qui n’ont pas fait l’unanimité même au sein de son gouvernement et en premier lieu son chef. On se rappelle de cette affaire d’avion qui s’est posé à l’aéroport de Bissau et soupçonné de transporter des armes. Le premier ministre Nuno Nabiam s’est montré favorable à une enquête, contre la volonté du chef de l’État. Au mois de décembre, le parlement guinéen a rejeté un accord entre le président Sénégalais Macky Sall et son homologue de la Guinée Bissau sur l’exploration pétrolière dans la zone maritime commune entre les deux pays. La clé de partage définie par l’accord octroie 30% des ressources à la Guinée contre 70% au Sénégal. C'est dans ce contexte que le pays a failli renouer avec ses vieux démons dans une Afrique de l'Ouest où les régimes anti-constitutionnels sont la tendance. 
Jeudi 3 Février 2022




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