Crise dans l’Education nationale : Prendre le taureau par les cornes !


Crise dans l’Education nationale : Prendre le taureau par les cornes !
La crise actuelle dans le secteur public de l’Education nationale prend sa source dans la coexistence de deux statuts du personnel enseignant, avec d’une part, les enseignants fonctionnaires qui relèvent du Statut Général de la Fonction Publique, et d’autre part, des enseignants contractuels, qui ne relève ni de ce Statut, ni du  Code du travail qui régit les relations de travail dans le secteur Privé de l’Education nationale. 

Cette anomalie dans le corps enseignant du secteur public de l’Education nationale est devenue, au fur du temps, d’exception, une règle, avec un effectif d’enseignants contractuels, plus nombreux dans les effectifs totaux, favorisé par le changement de mode recrutement, qui fait du statut de contractuel, le passage obligé d’entrée à la fonction publique après l’ obtention d’un diplôme pédagogique prévu à cet effet.

Ainsi, sans l’obtention de ce diplôme, l’on reste «  contractuel à vie », c’est à dire un « sous enseignant », alors qu’on est soumis aux mêmes astreintes que son homologue enseignant fonctionnaire.

La prouesse des gouvernants d’alors, a été de faire accepter aux enseignants concernés,  cette  évolution de leur carrière, et le bénéfice d’années validées passées dans leur statut de contractuel,  qu’à ceux d’entre eux qui auront obtenu ce diplôme !

D’où l’émergence d’une double problématique : d’une part, celle de l’encadrement pédagogique pour permettre aux contractuels d’avoir le maximum de chance d’obtenir ce diplôme, et d’autre part, celle de l’intégration effective dans la Fonction publique des nouveaux diplômés, et du payement des rappels de salaire  qui leur sont dus au  prorata de leur  nombre d’années validées.

La satisfaction de ces nouveaux  droits se heurtent aujourd’hui aux lenteurs et autres blocages dans la gestion des carrières des agents de l’Etat par la Fonction publique, et  aux mêmes contraintes de gestion de la Masse salariale de l’Etat par le Ministère chargé de l’Economie et des Finances,  qui étaient à l’origine du recours  au  « volontaire  et au « contractuel » pour faire face au besoin d’enseignant dans l’objectif de l’Education pour Tous, afin d’éradiquer l’analphabétisme.

A ces problèmes statutaires avec leurs incidences budgétaires, qui sont spécifiques  aux « contractuels », deux nouveaux problèmes sont venus s’y greffer : celui de l’indemnité de logement, et celui du déficit du Fonds National de Retraite.

C’est l’accumulation de ces problèmes,  et l’ampleur de leur incidence sur la Masse salariale, sous le régime de Wade, qui ont  rendu la crise actuelle dans l’Education nationale, toute sa gravité. 

En effet,  sous Macky, si  les « Assises  de l’Education nationale et de la Formation professionnelle» ont apporté  une solution définitive pour les nouvelles recrues dans l’Education nationale en relevant leur niveau de recrutement pour en faire des « stagiaires pour un an », et non plus des «  contractuels »  à durée indéterminée », elles n’ont pas apporté de solutions au problème de statut pour le gros lot des « contractuels » déjà en fonction et  qui sont appelés à dépérir à travers l’obtention du diplôme. 

C’est ce gros lot qui constitue la troupe dans les syndicats des corps émergents, et qui sont source de la radicalité de leurs revendications et des formes de leurs luttes.

Pourtant, malgré leurs  dénégations,  l'Etat, sous le Président Macky Sall,  a fait d'énormes efforts pour solutionner leurs problèmes à travers le traitement, entre 2015 et 2017 de  71658 cas  au niveau du Ministère de l'Economie, des Finances et du Plan, avec  le payement de 62 milliards de Rappel,  et de 42 milliards de mise en solde, soit un total de 105 milliards.  Le reliquat,  pour solder le compte des dossiers traités est de 85 milliards, que l'Etat a réunis et placés au Trésor,  afin de  démarrer les payements  à partir du 26 Mars 2018. 

C'est donc incompréhensible d'entendre le G.6, qui est informé de tout cela,   soutenir que l'Etat n'a rien respecté de ses engagements depuis 2014! 

En outre, au risque de dérégler davantage le système de rémunération des Agents de l'Etat qui est dû principalement au recours exclusif aux indemnités, initié par Wade, pour améliorer les revenus d'une catégorie d'agents, l'Etat a consenti d'augmenter de 15000 frs l'indemnité de logement pour les enseignants  de l'Education Nationale, pour la porter à  75 OOO frs à partir de la Loi des Finances Rectificatives d'octobre 2018, là où  ils revendiquent 20 000 frs à partir d'Octobre, et autant, à partir de janvier 2019, pour la porter à 100. 000 frs !

Dans l’Education nationale, le gros lot des «  Contractuels » se  sent  comme des enseignants de « seconde zone », non pas par rapport à leurs collègues fonctionnaires, mais paradoxalement, par rapport à d’autres corps de la Fonction publique, comme les Magistrats ou les  Agents du Ministère de l’Economie et des Finances !

Il s’est ainsi développé,  dans ce  milieu,  un grave « complexe d’infériorité » que traduisent concrètement les revendications du CUSEMS  pour l’alignement  de leurs indemnités de logement sur  celles des Magistrats, sous prétexte qu’ils ont fait aussi Bac +6 ans comme eux.

Ce « complexe d’infériorité » les rend  si aveugles, au point de considérer les15 000frs qui leur ont été proposés à la place des 40.000 frs,  comme du « mépris »de la part du gouvernement.

Ce faisant, ils n’ont pas pu comprendre,  que dans la Fonction publique, les rémunérations se font à partir des diplômes obtenus, et non à partir du nombre des années d’Etudes. 

Pourtant, ils ne devraient pas l’ignorer, puisque, quel soit leur nombre d’années d’Etudes après le BFM, ils ne peuvent pas être recrutés comme enseignant fonctionnaire dans la Fonction publique, et rémunéré comme tel, s’ils n’ont pas obtenu le diplôme exigé à cet effet.

S’ils n’ont pas un Diplôme équivalent à celui des Magistrats, ils ne seront jamais classés à leur niveau en termes  de rémunération et d’indemnités, même s’ils ont fait  Bac + 10 ans !

En outre, le nombre d’années de stage n’est pris en compte dans la Fonction publique, que si elles sont sanctionnées par un nouveau diplôme qui surclasse  l’agent intéressé.

Donc, prétendre être logé au même niveau que les Magistrats pour le simple fait d’avoir effectué  le même nombre d’années sans diplôme équivalent, relève d’un délire inquiétant, surtout,  si c’est pour fonder la légitimité d’une revendication.

Donc, autant leurs revendications  de payement de rappel et de mise en solde sont fondés, donc légitimes, autant leurs prétentions  en terme d'indemnité de logement n'ont aucun fondement, et sont par conséquent, illégitimes.

L'amalgame qu'ils entretiennent entre les revendications légitimes et illégitimes, en occultant les avancées concrètes dans la satisfaction de leurs revendications pour pouvoir mieux les nier à grand renfort de propagande médiatique, est mal sain!

Cela reflète une volonté réelle d'intoxication de l'opinion en usant  du poids de leur représentativité dans le corps enseignant de l'Education Nationale, à des fins politiques ouvertement avouées,  de vote -sanction contre le Président Macky Sall, candidat pour un second mandat.

Pour atteindre cet objectif, ils ont pollué le climat social à l’Ecole, par le recours excessif à la grève,  et à des débrayages illégaux, pour faire prévaloir leurs revendications, alors que le mouvement syndical sénégalais  a acquiert une panoplie de moyens de lutte, souvent plus efficaces que la grève, et exposant moins les travailleurs à des sanctions sur leur rémunération,  sur leurs carrières, et même souvent sur leur emploi.

La grève entraîne légalement une perte de salaire pour les jours non travaillés, et dans le secteur public, comme celui de l'Education nationale, de la Santé et des transports publics, son usage systématique peut mettre en péril  la capacité de l'Etat à assumer sa fourniture régalienne de services publics aux populations, surtout des plus démunies. 

C'est pourquoi, dans le secteur public, les syndicats les plus responsables évitent  le " tout ou rien", dans la satisfaction de leurs revendications,  qui risque d'être fatal à leurs membres.

Ainsi, miser sur cette « incapacité » artificiellement créée, de l’Etat à assumer ses fonctions régaliennes de fourniture de services publics, pour susciter un mécontentement populaire à son égard, à des fins électoralistes, n’est ni syndical, ni, républicain, ni  patriotique.

C'est à cause de cela, que la crise de l'Education Nationale s’est  traduite,  aujourd'hui, dans des  performances  catastrophiques, telles qu'en atteste la Banque mondiale qui rappelle que  «  Plus de 40% ne finissent pas le primaire », et parmi ceux qui finissent, « seuls 60% savent lire et compter « .  (Source : Apanews le 14 mars 2018).

Aujourd’hui, les  mouvements de grève ont atteint  une ampleur telle, qu’ils ont suscité de graves inquiétudes, quant au risque d’invalidation de l’année scolaire encours.

Ces inquiétudes sont amplement traduites  par le cri  de  désespoir émit par le  porte – parole des Elèves, Ibrahima BA, lors de leur marche à St-Louis, en ces termes :

"Nous avons fait la composition du premier semestre, mais aucune note nous a été remise, depuis. Pire, aucune évaluation n’a été faite pour le second semestre en cours ».

A ce cri de détresse, la « Fédération Nationale des Associations des Parents d’Elèves » (FENAPES) avait fait écho,  en pointant du doigt la « menace sur le quantum horaire » qui plane sur l’Ecole, avant d’appeler à  la « nécessité d’un pacte de stabilité de 10 ans ».

Mais à ces inquiétudes légitimes, le G6, qui regroupe les syndicats de l’Education nationale les plus représentatifs dans lesquels les «  contractuels » sont largement dominants, a répondu, lors de sa marche récente à ST- Louis, après celle des Elèves, en ces termes : « Nous ne sommes plus dans la logique de sauver l’année, mais plutôt, dans la logique de sauver l’école sénégalaise, car la satisfaction de nos revendications, c’est maintenant, ou jamais ». 

Il a ensuite annoncé le sens de leur combat en ces termes : "Notre combat est d’amener l’Etat à mettre en place une école publique de qualité, en respectant les engagements signés avec les syndicats des enseignants". (Source: APS  Le 15 mars, 2018). 

Mais, c'est à Louga que le Coordonnateur de l’Inter-cadre des enseignants,  Gouna Niang, un regroupement rival de syndicats d'enseignants sortis minoritaires des élections de représentativité, a encore précisé  les raisons de leurs  luttes  en déclarant : "Nos revendications vont au-delà de l’indemnité de logement qui n’en est pas le point le plus important". "Le principal souci des enseignants est de voir un rééquilibrage du système de rémunération des fonctionnaires".  "Il faut que ce système soit fait sur la base du niveau des concernés qui, la plupart du temps, à diplôme égal, sont moins traités que d’autres corps de fonctionnaires de l’Etat".

A l’analyse des motivations de la lutte des enseignants telles que relatées par le G6 et " l'inter-cadre", l’on se rend compte  à quel point, elles sont  contradictoires, et à quel point leur méthode de lutte, la grève systématique, est incompatible avec "leur objectif de sauver l’Ecole".

En effet, la première contradiction, c'est vouloir, d'une part, l’augmentation  de l’indemnité de  logement qui va contribuer à amplifier le déséquilibre du système de rémunération des Agents de l’Etat, et d'autre part, chercher,  à  le  ré- équilibrer pour plus d’équité!

La seconde contradiction, c'est vouloir, d'une part,  sauver l’Ecole publique,  et d'autre part, sacrifier  une année scolaire.  Cette contradiction fait de ce  sacrifice, un acte de destruction de cette même Ecole publique,  que vont déserter les  parents les plus fortunés au profit du secteur privé de l’Education, tandis que les parents plus pauvres voient disparaître toute  opportunité d’ascension sociale pour leurs enfants!

Le nouveau plan d’actions qu’ils comptent dérouler  couvre ce qui reste du mois de mars et va jusqu’au vendredi 13 avril.  Ce qui restera de l’année ne suffira pas pour quantum horaire acceptable.

L'année blanche ou invalide  va devenir  alors inéluctable!. 

Ainsi, les pouvoirs publics et les parents d’élèves, quelque soit le bord politique, ou l’organisation de la Société civile, où  ils  se trouvent, sont interpelés pour barrer la route, avant qu'il ne soit trop tard, aux fossoyeurs de l'Ecole publique pour des raisons  étroitement corporatistes et politiciennes.
La mentalité du  "Tout ou rien" ne devrait pas tuer l'Ecole publique.
Exigeons, de la part des enseignants, le retour sans délai aux classes !

 

Ibrahima SENE  PIT/SENEGAL

                                            Dakar le 22 mars 2018
Jeudi 22 Mars 2018




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