Le conflit entre Tanor et Khalifa : conséquence indirecte des évènements de décembre 1962

Les braises du feu pas complètement éteint de décembre 1962 sont soudainement ravivées par la crise qui oppose Ousmane Tanor Dieng à Khalifa Sall. Le Parti socialiste, qui a promu des technocrates depuis ces évènements au détriment des combattants de la première heure, subit les contrecoups de l’hyperpuissance du leader consacré par le style ultra-concentrationnaire de Léopold Sédar Senghor, sorti vainqueur de ce bras-de-fer historique.


Le conflit entre Tanor et Khalifa : conséquence indirecte des évènements de décembre 1962
 
Au commencement fut Kaolack
Ce week-end, coïncidant avec l’anniversaire des évènements de décembre 1962, qui opposèrent Léopold Sédar Senghor à Mamadou Dia, des socialistes partisans de Khalifa Sall, tiendront un conclave à Kaolack en présence des représentants des 45 départements du Sénégal. Cela, à l’effet de produire un manifeste devant sonner le tocsin de la renaissance, pour ne pas dire de la révolte.  Officieusement, le but de la manœuvre serait d’annoncer la candidature du maire de Dakar à la présidentielle de 2019.
Près de soixante-dix ans plus tôt, en 1948, toujours au cœur du Saloum (base du richissime Djim Momar Guèye, alors rival de Senghor), qui abrita un congrès historique, les pères-fondateurs du doyen des partis politiques d’Afrique francophone (avec le Pdci d’Houphouët-Boigny), se démarquaient de la ligne assimilationniste de la Section française de l’internationale ouvrière (Sfio) de Me Lamine Guèye. Quelques mois plus tard, Senghor, Mamadou Dia, Ibrahima Sarr (leader de la grève des cheminots de 1947), Ibrahima Seydou Ndao…fondèrent le Bloc démocratique sénégalais (Bds). L’ogre naissant, qui fonde son ascension sur le vote rural,  ne perd pas de temps pour s’imposer comme la première force politique du Sénégal dès les Législatives du 17 juin 1951 en remportant les deux sièges mis en compétition face à l’alors  inamovible député-maire de Dakar, Me Lamine Guèye au rayonnement sous-régional, voire métropolitain éclipsant jusque-là tout antagonisme. La Sfio ne se relèvera plus de cette chute, au point d’être réduite à rejoindre son invincible concurrent avec lequel il créera l’Union progressiste sénégalaise (Ups-le nom unitaire aurait été donné par feu le Président Lamine Guèye), au lendemain de sa défaite de 1956. C’est dire que le choix de Kaolack, pour Barthélémy Dias et Cie, revêt un cachet à titre doublement historique et symbolique devant la nécessité de s’armer de foi pour soulever cette montagne qu’est Benno Bokk Yakaar.
L’hyperpuissance de Tanor Dieng date des évènements de décembre 1962
Si en 1948 le Bloc démocratique sénégalais a connu le succès grâce à la tendance naturelle des peuples à soutenir la querelle de David contre Goliath, en 1962, face à Mamadou Dia, le poète-président perdit le soutien des plus fortes personnalités de l’Ups, qui étaient avec le président du Conseil. « Si je suis désavoué devant le parti le 20 décembre, je renoncerai à toutes mes fonctions », déclarait Mamadou Dia, le théoricien de « la primauté du parti dominant sur l’Etat » », au plus fort de la crise. « Il y a dans une Constitution des principes écrits et d’autres non écrits », ajoutera son jeune avocat, un certain Me Abdoulaye Wade. Il se dit que c’est pour éviter d’être mis en minorité à l’occasion de ce conseil national du 20 décembre 1962, que Senghor activa l’Assemblée nationale pour le vote d’une motion de censure fatale à Mamadou Dia et à ses compagnons. En clair, l’exécutif et l’Assemblée nationale devaient se soumettre à l’arbitrage du parti pour régler tout différend majeur, comme c’est, à quelques différences théologiques près, le cas avec l’Iran, dirigé par le Guide la Révolution ou Gardien de la jurisprudence (et non Gardien de la Constitution comme dirait Mansour Mbaye), qui est au-dessus de toutes les institutions.  
La crise de décembre 1962 déboucha sur un régime présidentiel ultra-concentrationnaire conférant à Léopold Sédar Senghor tous les pouvoirs. L’Ups, qui a écarté tous ses opposants, soit en les absorbant (cas du Pra-Sénégal), soit en les dissolvant (cas du Fns de Cheikh Anta Diop), ou en exilant leurs leaders (cas du Pai) devint, jusqu’en 1974, un « Parti unique de fait » sous le mode du monolithisme d’Etat.
Et les technocrates, de Diouf à Tanor, remplacèrent les militants de la première heure
Cette haute de main de Léopold Sédar Senghor aussi bien sur l’appareil du parti que sur celui de l’Etat lui donne les coudées franches pour, unilatéralement, imposer de jeunes technocrates, tels Abdou Diouf, Ousmane Camara, Babacar Ba, au sommet. Dès 1970, le grammairien cède une parcelle de son hégémonie ou de son hyperpuissance en nommant Abdou Diouf Premier ministre. En 1976 est créé un poste de secrétaire-général adjoint au profit de ce dernier. Diouf est nommé, et non élu, successeur de Senghor par la magie de l’article 35, aménagé à cet effet. Le deuxième président de la République du Sénégal, à la faveur du congrès de 1983 et sous la dictée de Jean Collin, consolide son leadership dans le parti, au moment où les doyens quittent l’attelage, et gagne la présidentielle de 1983 avec une équipe de dioufistes, dont Khalifa Sall (porteur d’une fameuse motion) qui devient député pour la première fois à 27 ans, en récompense de son engagement aux côtés du nouveau chef. Les vétérans du Senghorisme de la trempe de Maguette Lô ou encore du Pr. Assane Seck quittent progressivement la scène. Quelques années plus tard, Ousmane Tanor Dieng, conseiller diplomatique dans le cabinet de Senghor dès 1978 grâce à ses qualités rédactionnelles, prend de la bouteille et est fait directeur de campagne du candidat Abdou Diouf à la présidentielle de 1993. Cette montée en puissance météorite du ministre d’Etat suscite des frustrations au sein des légitimismes de la vielle garde. Il s’ensuivit un conflit de légitimité animé principalement par Djibo Kâ (héros du « Congrès sans débat » de 1996) et Moustapha Niasse contre ce choix du chef d’Etat socialiste. Celui-ci ne parvient pas à endiguer la rébellion contre la Rénovation qui est le facteur déclencheur de sa chute en 2000. Au lendemain de cette bérézina, de grandes futures du Ps historique de Mamadou Diop (dont le père a posé les bases du parti à Dakar) à Robert Sagna, en passant par Abdoulaye Makhtar Diop etc, quittent le navire, refusant de se ranger d’être Ousmane Tanor Dieng. Pendant douze ans, le « Premier secrétaire » a fait de cette formation politique un instrument à son entière dévotion et se présente deux fois à la présidentielle sans succès. Il en contrôle toutes les structures de la base au sommet. Et la mise en perspective historique de Khalifa Sall et Cie  permettra de vérifier, comme le congrès de 2014 en a administré la preuve, que Otd a déjà huilé la machine à son avantage.
En somme, si Parti socialiste a survécu à plusieurs séismes depuis sa fondation en 1948, il lui sera très difficile de résister à la crise qui le déchire présentement, puisqu’il s’agit, cette fois-ci de son âme qui vacille entre deux options : la vie, à respiration limitée, dans le Benno ou la mort programmée dans la partition. Cette crise, au fond, n’est que le stade paroxystique d’un processus de décomposition enclenché depuis décembre 1962.      
 
 
 
 
Vendredi 15 Décembre 2017




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