Trois agents Sierra-léonais de l'association mondiale de l'Appel islamique cités dans une affaire de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme : La "société' a-t-elle rompu avec son côté sombre ?


Le 07 février dernier, deux citoyens sierra-léonais en partance pour l’Afrique du sud ont été interpellés par la subdivision de la douane de l’aéroport international Blaise Diagne de Diass. 

M. L. Samura et M. Koroma avaient dissimulé dans leurs valises 90 460 dollars, soit 45,23 millions FCFA non déclarés. Le quotidien Enquête qui avait donné l’information renseignait que les deux mis en cause ont été interrogés sur la provenance de cet argent et qu’ils ont confié aux policiers du commissariat spécial de l’aéroport de Diass l’avoir reçu du nommé M. O. M. Ahmed qui n’est personne d’autre que le représentant local de l’association mondiale de l’Appel islamique (AMAI).

Entendu à son tour, il a confirmé les dires des deux premiers interpellés. Selon les trois mis en cause, ce montant était destiné à payer les enseignants officiant dans les écoles coraniques de l’Amai en Sierra Leone. Un argument qui n’a pas convaincu les enquêteurs qui ont jugé nécessaire de pousser les investigations d’où la possibilité de l’ouverture d’une information judiciaire pour association de malfaiteurs, blanchiment de capitaux et financement du terrorisme qui avait été évoqués par le journal.

C’est d’autant plus opportun que l’exploitation des informations provenant des opérations bancaires du bureau local de l’Amai a révélé des mouvements de fonds très importants pouvant aller jusqu’à 50 000 dollars. Le solde actuel du compte ouvert dans une banque de la place est de 439 435 dollars, renseigne Enquête.

Créée par le défunt guide libyen, Mouammar Kadhafi en 1972, cette organisation à but non lucratif appelée la "société" avait pour mission initiale de contrer l’idéologie wahabite de l’Arabie saoudite. À cet effet, il avait un budget conséquent de 45 millions de dollars. Le personnel central qui travaillait à Tripoli comptait environ 900 personnes, selon une enquête de Reuters faite en 2012. Jusqu’à la chute de Kadhafi, l’Amai employait 2000 professeurs d’arabe et autant de prédicateurs dans le monde. « Elle fournit de l’aide humanitaire à des populations victimes de la guerre ou de catastrophes naturelles en Afrique. Elle construit et équipe des dispensaires et des cliniques. Elle organise enfin des séminaires et des colloques... », informe une note de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le Sénégal est membre de cette organisation qui y a construit des écoles coraniques. Sa plus grande réalisation se trouve à Pire où elle a construit une Université islamique. À côté de ces œuvres de bienfaisance et de propagation d’un islam modéré, l’Amai a eu à révéler une face plus hideuse.

En 2003, un musulman américain d’origine yéménite du nom de Abdurahmane Muhammad Alamoudi est arrêté aux Etats-Unis alors qu’il était de retour d’un long voyage en Grande Bretagne, en Syrie, en Egypte et en Libye. L’acte d’accusation révélait qu’il avait rencontré un libyen dans un hôtel de Londres en août et lui avait donné la somme de 340 000 dollars en espèces. L’argent provenait de l’Association mondiale de l’appel islamique. L’enquête montrera que cette somme représentait une partie des 900 000 dollars qu’il avait reçus de la Libye sur une période de 08 ans. Alamoudi a confié aux enquêteurs qu’il avait utilisé une partie de l’argent pour payer deux dissidents saoudiens pour assassiner le prince héritier Abdullah (actuel roi de l’Arabie saoudite). Condamné à 23 ans de prison en 2004 après qu’il a plaidé coupable, Alamoudi devait retrouver la liberté en 2018.

En 2010, l’Amai s’est encore illustré dans le terrain des complots devant aboutir à un coup d’État en Trinidad et Tobago. Tout est parti d’un audit lancé par l’Agence du revenu du Canada sur le bureau de l’association à Ontario. Les vérifications ont montré que le bureau local recevait tous ses fonds de la Libye et les redistribuait à des bénéficiaires qui se trouvaient hors du Canada. Par exemple, le bureau a transféré 216 735 dollars à des bénéficiaires aux Etats-Unis et en Trinité et Tobago. L’année suivant, révèle l’enquête de Reuters, le bureau de l’Aim à Ontario a envoyé 350 135,60 dollars aux Etats-Unis, en Egypte et à Trinidad et Tobago. Les transferts à Trinidad et Tobago qui ont atteint 180 000 dollars étaient en réalité destinés à Jamaat al-Muslimeen dont le chef a tenté de renverser gouvernement en 1990 avec l’argent et des armes libyennes.

Après la mort de Kadhafi en 2011, les nouveaux dirigeants de la Libye se sont lancés dans une purge pour nettoyer les écuries d’Augias. Dans cette dynamique, les locaux et des biens de l’organisation situés dans le complexe des tours Dhat al Imad et propriété du Fonds de retraite pour les employés ont été saisis en 2012.

L’organisation est aussi privé d’une partie de ses revenus tirés du « Fonds du jihad » destiné au soutien des combattants palestiniens et alimenté par des taxes perçues sur les personnes et les sociétés travaillant en Libye. Huit ans après, l’association a-t-elle vraiment été purgée de son côté sombre ? Il ressort de nos investigations que l’un des sierra-léonais mis en cause dans cette affaire de blanchiment de capitaux et financement du terrorisme était l’ambassadeur de son pays sous Kadhafi. Mohamed L. Samura puisqu’il s’agit de lui avait des liens privilégiés avec le défunt guide libyen et a continué de travailler pour l’association mondiale de l’Appel islamique jusqu’à son arrestation à l’aéroport de Diass pour avoir tenté de faire passer près de 100 000 dollars. Reste à savoir si ces fonds étaient vraiment destinés à payer le personnel de l’association en Sierra Leone.
Vendredi 21 Février 2020




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