Touche pas aux Guignols : pourquoi les politiques ont tant soutenu les marionnettes dont ils sont le souffre-douleur


Touche pas aux Guignols : pourquoi les politiques ont tant soutenu les marionnettes dont ils sont le souffre-douleur
C'était le jour-J pour l'avenir des Guignols de l'Info. La survie du programme phare de Canal+ se jouait au cour d'une réunion des actionnaires du groupe. Mais alors que plusieurs médias annonçaient que Vincent Bolloré avait scellé le sort de l'émission née en 1988 et que la nouvelle patronne de France Télévisions proposait déjà (avec l'accord de son ministère de tutelle?) de la faire arriver sur les chaînes du service public, le patron de Vivendi a affirmé son souhait de conserver l'émission à l'antenne.

Il faut dire que la pression était hors du commun. Pendant ces quelques heures d'incertitude, les Guignols ont pu -une fois n'est pas coutume- remercier la classe politique (presque) dans son ensemble. A l'exception de plusieurs personnalités du Front national qui disent déjà "bon débarras" ou de Nadine Morano qui ne regrettera pas les Guignols, difficile de trouver une personnalité qui n'a pas pris fait et cause pour l'émission.

Même François Hollande y est allé de son commentaire. En déplacement en Angola, il a estimé que "la dérision et la caricature font partie du patrimoine de la télévision".

Alors comment expliquer ce soutien de la part de personnalités qui ont été les premières cibles des Guignols? Relève-t-il d'une certaine forme de masochisme? Pas seulement. Au-delà du principe de la liberté d'expression et de leur sincérité de téléspectateurs (même s'il est permis de douter que beaucoup les regardent régulièrement), voici au moins trois raisons pour les femmes et hommes politiques de défendre le programme.

1 - Le contexte Charlie Hebdo

Ils sont plusieurs à avoir relever qu'une éventuelle disparition des Guignols à la rentrée 2015 serait un très mauvais signal en raison du contexte politique. Six mois après la tuerie de Charlie Hebdo et la marche républicaine au cours de laquelle des millions de Français ont défendu la liberté de la presse, supprimer la principale émission de caricature ne leur paraît pas judicieux.

"Je respecte l'indépendance des chaînes et notamment des chaînes privées mais nous sommes un pays où la caricature, l'impertinence, sont nécessaires", a déclaré le premier ministre Manuel Valls. Même Nicolas Sarkozy qui affirme que "le sort des Guignols ne le concerne en rien" a souligné que "le droit à la caricature doit être défendu". Idem pour François Bayrou, ce vendredi matin.


A l'autre bout du spectre politique, le PCF a publié un communiqué très dur envers Vincent Bolloré. "Six mois après les balles des terroristes contre le droit de caricaturer, voici une tout autre arme qui est employée contre la liberté à l'expression dans notre pays. Contre la tentative de Bolloré d'imposer le silence de la critique, faisons entendre notre indignation", écrit Olivier Dartigollles, porte-parole des communistes.

2 - Des cibles autant à gauche qu'à droite

Face à l'avalanche de soutiens populaires sur les réseaux sociaux, il devenait très difficile pour les personnalités politiques de ne pas prendre position. N'en déplaise à certains, l'éventuelle disparition des Guignols s'est imposée depuis mercredi soir comme le principal sujet de discussion, y compris avant la crise grecque. Il était d'autant plus facile de se positionner que le débat est nettement moins clivant que la sortie ou le maintien d'Athènes dans la zone euro.

Si l'émission est l'emblème de l'esprit Canal que l'on positionnera plus facilement à gauche qu'à droite de l'échiquier politique, les auteurs prennent soin de n'épargner aucun camp. Le programme a pu être particulièrement corrosif avec Jacques Chirac et il ne prend jamais de gant avec Nicolas Sarkozy mais on ne peut pas dire que son traitement de la présidence Hollande (ou l'image qui a été donnée de Jean-Marc Ayrault) soit très élogieux.

"C'est important de les défendre même si mes amis sont parfois maltraités", a ainsi lancé le secrétaire d'Etat au Budget Christian Eckert.
En clair, défendre les Guignols, ce n'est pas défendre la majorité ou l'opposition mais un représentant du patrimoine télévisuel national.

3 - La fierté d'être caricaturé

Aucun ne le dira ainsi. Mais défendre les Guignols, c'est aussi pour les personnalités qui ont leur marionnette, défendre leur personnage qui consacre d'une certaine matière leur reconnaissance par le grand public. On n'ira pas jusqu'à parler de narcissisme mais le fait d'être ainsi caricaturé peut leur procurer un peu de fierté. Et même avoir une (petite) influence sur le cours d'une élection comme la présidentielle de 1995 avec Jacques Chirac qui a gagné des points dans l'opinion avec son personnage sympathique.
Dans son tweet de soutien à l'émission, le maire de Bordeaux Alain Juppé n'a-t-il pas dit qu'il "aime se voir dans les Guignols".
Et le président de l'Assemblée Claude Bartolone a fait part de ses regrets de ne pas être caricaturé dans l'émission. "C'est que je ne suis pas assez installé dans le paysage politique", a déclaré le patron (PS) des députés. Avec le maintien du programme, il a encore une chance de les intégrer.
Vendredi 3 Juillet 2015




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