Sous Surveillance, Sous Silence : Comment le Bracelet Électronique Redessine et muselle la Parole Politique au Sénégal


Au Sénégal, un nouvel acteur s’est invité dans le jeu politique : le bracelet électronique, marqueur discret mais implacable du contrôle judiciaire moderne. Loin d’être un simple dispositif technique, il façonne désormais les comportements, impose des stratégies et, surtout, réduit au silence une partie de la classe politique.
Un silence ni exigé par la loi, ni proclamé par les juges, mais imposé par la prudence, la pression sociale et la crainte de l’erreur fatale.
C’est ce que révèle L’Observateur dans une enquête fouillée sur ce “mutisme politique” devenu norme chez les inculpés sous contrôle judiciaire.
 
 
Quand la parole devient défi : l’exception Ameth Ndoye
 
Sur les plateaux de télévision, Ameth Ndoye détonne.
Fraîchement libéré, bracelet électronique à la cheville, il s’affiche, commente l’actualité, sourit, provoque presque.
 
Là où les autres se taisent, lui parle.
Son attitude tranche radicalement avec le reste du décor politique, où le silence est devenu la règle tacite, presque un code de survie.
 
Selon L’Observateur, plusieurs figures politiques sous contrôle judiciaire préfèrent s’effacer :
•  pas de déclarations publiques,
•  pas d’intervention médiatique,
•  aucune prise de position, même sur des sujets sans lien direct avec leur dossier.
 
Un choix calculé, qui dépasse le champ du juridique pour devenir un véritable mécanisme d’autocensure politique.
 
 
Ce que dit la loi : un silence non écrit, mais stratégique
 
Contrairement à l’idée répandue, aucun texte légal n’interdit aux inculpés de s’exprimer en public.
L’enseignant-chercheur Abou Sall (UCAD) le rappelle clairement dans L’Observateur :
 
« Aucun texte ne proscrit l’expression publique des inculpés. Ce qui leur est interdit, c’est de communiquer sur leur dossier tant qu’il est en cours. »
 
L’avocat Me Baba Diop, cité également par L’Observateur, précise que le secret de l’instruction suffit à lui seul à justifier la discrétion :
 
« L’inculpé est tenu de ne pas s’exprimer sur son dossier. Le secret de l’instruction s’impose, même si le juge ne le rappelle pas explicitement. »
 
Ainsi, même une liberté provisoire ou une résidence surveillée reste une période fragile : le dossier n’est pas clos, chaque mot compte, chaque phrase peut devenir piège.
 
 
 Le silence au-delà du judiciaire : pression, peur et prudence
 
Si la loi ne les réduit pas au silence, d’autres forces, bien plus subtiles, s’en chargent.
 
Le journaliste et analyste politique Assane Samb décrit le poids combiné :
•  pression familiale,
•  pression sociale,
•  crainte de représailles,
•  peur de compromettre l’instruction,
•  volonté d’éviter les provocations interprétées.
 
Selon lui, beaucoup d’inculpés voudraient parler, se défendre, exister politiquement, mais leur entourage les en dissuade :
 
« Même si vous souhaitez être téméraire, votre entourage ne vous laisse pas agir. »
 
Ce silence devient alors un refuge, une stratégie d’effacement temporaire, parfois même un outil utilisé par les régimes pour neutraliser des opposants par la voie judiciaire, indique L’Observateur via l’analyse d’Assane Samb.
 
 
La parole comme risque permanent
 
Pour Me Baba Diop, la parole publique est devenue une zone minée pour toute personne sous contrôle judiciaire :
 
« Aucun homme n’aime se taire quand il a des choses à dire. Mais la prudence impose de limiter les apparitions publiques. »
 
Un mot de trop peut rallumer un dossier, déclencher une réaction médiatique, attirer l’attention du juge ou des autorités.
Alors, les inculpés préfèrent disparaître un temps, se faire oublier, attendre la fin de l’instruction.
 
 
Le silence comme arme de survie politique
 
Ce que met en lumière L’Observateur, c’est que ce “silence choisi” n’est pas une faiblesse, mais une stratégie de survie.
 
Une combinaison de :
•  calcul juridique,
•  gestion du risque,
•  instinct politique,
•  pression sociale.
 
Paradoxalement, ce silence permet parfois plus : il protège, il temporise, il évite les pièges.
Car dans un contexte où chaque mot peut être instrumentalisé, se taire devient une forme d’intelligence politique.
 
Mardi 9 Décembre 2025
Dakaractu



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