Réponses des armées ouest-africaines face au terrorisme : dans la tête du lieutenant-colonel Paul Henry Sandaogo Damiba, nouvel homme fort du Burkina Faso

Depuis le lundi 24 janvier, le Burkina Faso a changé de président de façon anticonstitutionnelle. Roch Marc Christian Kaboré a involontairement cédé son fauteuil au lieutenant Paul Henry Sandaogo Damiba, à la faveur d’un coup d’État parti d’une mutinerie la veille. Les militaires qui ont pris le pouvoir reprochent aux civils de ne pas consacrer à la question terroriste l’attention qui sied. Depuis 2014, le Burkina Faso est confronté à des attaques djihadistes principalement dans sa partie nord-est. L’incident de trop a été celui d’Inata, en novembre 2021. Un détachement de la gendarmerie de cette localité a fait l’objet d’un effroyable assaut qui s’est soldé par la mort d’une cinquantaine de gendarmes et de quatre civils. Ce revers est resté au travers de la gorge de certains éléments de l’armée eu égard aux conditions dans lesquelles les forces de défense et de sécurité ont fait face aux assaillants. Exit Roch, le lieutenant-colonel Damiba prend les choses en main et espère renverser la tendance.


Réponses des armées ouest-africaines face au terrorisme : dans la tête du lieutenant-colonel Paul Henry Sandaogo Damiba, nouvel homme fort du Burkina Faso
Un défi immense qui commence par l’identification des défaillances qui font que les armées régionales ne tiennent pas face aux djihadistes.

Par le biais d’un ouvrage publié en juin 2021 aux Editions « les Trois Colonnes » et titré « Armées ouest-africaines et terrorisme : réponses incertaines ? », le lieutenant-colonel Damiba appelle les choses par leurs noms.

Selon lui, la première raison de l’inefficacité des armées devant les djihadistes est recherchée dans la nature même…des armées. « Les armées nationales subsahariennes sont en effet pour la plupart à un stade primaire et portent certaines tares rédhibitoires.
En dehors de l’inadéquation des moyens logistiques parfois évoquée et les lacunes criardes en termes d’organisation, les forces de défense semblent être souvent assez frappées par une perte de goût de l’action. En plus des variations considérables dans la détermination à vaincre qui apparaissent quand les troupes traversent une mauvaise passe, les armées semblent avancer à tâtons sans une claire vision de la stratégie à adopter », diagnostique froidement l’officier supérieur burkinabè.

Le financement de la lutte contre le terrorisme en question

Dans un autre volet, il aborde une question non moins importante : celle de l’effort de guerre économique. « La lutte contre l’extrémisme a un coût : elle exige à côté de la mobilisation en ressources humaines, la mobilisation de capitaux car derrière chacune des actions à réaliser, les États doivent supporter des factures correspondantes », indique le lieutenant-colonel Damiba qui, poursuivant, indique que les « implications financières sont si importantes qu’elles deviennent insolubles pour les pays qui doivent répondre aux attaques par les terroristes sans perdre de vue le fonctionnement quotidien de leur État et sans arrêter la mise en œuvre des projets nationaux de développement ». Ce qui fait qu’à « l’intérieur des États, beaucoup de concepts stratégiques en réponse à la question du terrorisme restent à l’état théorique » et « certains mécanismes ne connaitront qu’une effectivité minimaliste » s’ils ne deviennent pas des coquilles vides.

Ce constat vaut pour les approches régionales. L’auteur relève à ce niveau une facilité d’élaboration de plans opérationnels qui contrastent toujours avec la mise en place des financements pour faire fonctionner les structures collectives prévues.

À cela s’ajoute « l’absence de capacités financières propres et le recours incessant à des financements internationaux. Un état de fait qui participe à compromettre « l’opérationnalisation des structures conjointes qui n’ont d’existence véritable que lors des rencontres multilatérales périodiques où l’on ne cesse de ressasser les enjeux sécuritaires et les objectifs globaux sans être pratiquement en mesure de faire évoluer les choses sur le terrain ».

Le lieutenant-colonel se fait un sang d’encre pour l’utilisation des capitaux mobilisés pour un objectif bien déterminé, à savoir la lutte contre le terrorisme. Pour lui, « l’utilisation des fonds qui sont souvent consentis pour l’effort de guerre n’est pas toujours saine ».

« Les problèmes récurrents de surfacturations, de commandes d’achat d’équipements non exécu­tées ou de passations illégales de marchés sont courants dans les pays en voie de développement. Les détournements de fonds et insuffi­sances liées à la gestion des budgets alloués au secteur de la défense qui, ont fait la une dans le premier trimestre de l’année 2020 au Niger après l’audit mené par l’inspection générale des armées, sont révéla­teurs de la gangrène », accuse-t-il.

Une « coopération internationale cachotière »

À côté de la pléthore d’acteurs et de la duplicité dans les coopérations interétatiques, l’auteur décèle une « coopération internationale cachotière ». « Pour cerner le pan latent des enjeux véritables de l’importance de la coopération internationale dans la BSS (Bande sahélo-saharienne), une analyse sous l’angle géopolitique s’avère utile à notre entendement », argue-t-il.

Ensuite, il invite à tenir compte du fait que le théâtre ouest africain se révèle être un champ de compétition entre différents partenaires qui osent tout pour avoir la maitrise des acteurs clés de la zone sahélienne, des côtes de la façade atlantique au Golfe de Guinée. » « Des régions pétrolifères de l’Algérie au Delta du Niger en passant par les sites aurifères du Mali et les mines d’uranium du Niger, la volonté des puissances mondiales d’avoir le contrôle sur les richesses énergétiques et naturelles que renferme le Sahel, suscite des dynamiques de coopération parfois opposées ou contraires », indexe le lieutenant-colonel Damiba.

Autrement dit, les « querelles d’influence et de contrôle définissent et façonnent les partenariats militaires, les déploiements et les engagements opérationnels dans les différents théâtres concernés ». Mais faudrait-il déjà que les États sachent mettre un nom sur la menace à laquelle ils font face.

Dans ce registre, l’officier supérieur rappelle que « l’histoire militaire nous enseigne que la connaissance n’est pas juste une pile de données sur un opérateur terroriste mais bien une fine perception de l’adversaire dans un cadre espace-temps défini ». « C’est pourquoi la bonne connaissance du djihadisme armé ne se limite pas à l’étude de ses moyens ou de ses modes d’action ; elle doit être étendue à la plupart des domaines de l’activité humaine (motivation, relations, soutiens, habitudes, etc), plastronne-t-il. Fort de cela, il prévient : « notre difficulté à penser la menace terroriste, à la comprendre et à l’anticiper, contribue significativement à la diffuser dans bien de couches sociales et à lui donner une longueur d’avance sur nos actions ». Des actions sur le plan militaire qui consistent souvent à se défendre au lieu de porter l’estocade à l’hydre terroriste.

Ne dit-on pas que la meilleure manière de se défendre, c’est d’attaquer ? Suivant la perception du lieutenant-colonel Paul Henry Sandaogo Damiba, les efforts des armées ouest-africaines qui luttent contre le terrorisme sont plus portés vers comment se protéger de ce mal que du comment le vaincre. « Une des réalités de la lutte engagée est que les initiatives à l’échelle nationale ou régionale privilégient les actions défensives en lieu et place des actions offensives (pas seulement en terme de coercition) », fait remarquer le nouvel homme fort du Burkina Faso.

Changer le cours actuel des choses.

« Partant des principes contre-insurrectionnels et des lois des guerres irrégulières, nous sommes parvenus à dégager trois axes d’actions majeurs indispensables aux armées subsahariennes pour faire face au terrorisme de manière efficace : disposer de capteurs humains dans les milieux incubateurs ; prendre et conserver l’initiative ; privilégier les actions non conventionnelles et les relations bilatérales de confiance », propose le lieutenant-colonel Damiba.
 
Maintenant qu’il est aux affaires en attendant un retour à l’ordre constitutionnel, il dispose d'une occasion en or pour dérouler sa stratégie contre les groupes terroristes.
Mercredi 26 Janvier 2022




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