MALI / Après son dernier coup de force : Assimi Goita, seul face au monde ?

Le 18 août 2020, un groupe de militaires paracheva l’œuvre du Mouvement du 5 juin - Rassemblement des forces patriotiques qui avait engagé un bras de fer avec le président Ibrahim Boubacar Keïta, accusé de tous les péchés d'Israël. Après les élections législatives d'avril et de mars, le climat politico-social s'est dégradé avec des accusations d’irrégularités et de mal-gouvernance. La question sécuritaire n'a pas été passée sous silence. Depuis 2012, le Mali fait face à insurrection jihadiste qui, partie du nord, a embrasé le centre du pays avec plusieurs milliers de morts et des millions de déplacés.


Aux premières heures de ce qui devait être le quatrième coup d’État du Mali, des noms comme celui de Malick Diaw ou du Colonel Sadio Camara étaient avancés comme les présumés cerveaux. Finalement, le monde découvre le 19 août le nom du Colonel Assimi Goita, porté le même jour à la tête du Comité national pour le salut du peuple. Ce colonel, qui servait dans les forces spéciales anti-terroristes, prend ainsi les rênes du pouvoir à Bamako. 

 

Mais rapidement, il sera contraint de céder les commandes du pays à un président civil. Sous la pression de la communauté internationale, la junte composée de jeunes officiers va nommer un colonel à la retraite après une concertation nationale inclusive. Ancien ministre sous IBK, le Colonel Major Bah N’Daw fait son retour aux affaires, mais cette fois-ci en tant que président de la Transition. La junte ne s’écarte pas pour autant de la gestion des affaires étatiques. Assimi Goita est nommé vice-président, chargé des questions de Défense et de sécurité. Une fonction « protégée » par la nouvelle charte de transition. 

 

En septembre 2020, les deux hommes prêtent serment avant qu’un gouvernement ne soit nommé. À sa tête, Moctar Ouane. Les membres du Comité national pour le salut du peuple qui sont à l’origine de la chute d’IBK sont recyclés dans l’équipe de Ouane. Alors que le Colonel Major Ismaël Wagué, ancien porte-parole du CNSP occupe le ministère de la Réconciliation nationale, Sadio Camara et Modibo Koné se voient confier respectivement les départements de la Défense et des Anciens combattants et de la Sécurité. La CEDEAO et l’Union Africaine qui avaient sanctionné le Mali au lendemain du coup d’État du 18 août reviennent à de meilleurs sentiments.

 

La transition suit son cours normal lorsque le 24 mai dernier, à la suite de la nomination d’un nouveau gouvernement, le Premier ministre ainsi que le président de la Transition sont arrêtés et conduits à Kati, auprès du vice-président, le Colonel Assimi Goita. Mais ce n’est que le lendemain qu’il assumera l’arrestation de ces autorités de la transition. Tout puissant vice-président qu’il est, le Colonel Goita affirme avoir mis hors de leurs prérogatives Bah N’Daw et son Premier ministre, Moctar Ouane. Il leur reproche de n’avoir pas bien géré la grève interminable de l’Union nationale des travailleurs du Mali, mais surtout de l’avoir écarté des tractations pour la formation du nouveau gouvernement. Nouvelle équipe dans laquelle les Colonels Sadio Camara et Modibo Koné ne font pas partie. Il n’en fallait pas plus pour se mettre à dos une partie du peuple malien et la communauté internationale. 

 

L’Union européenne, les États-Unis menacent de sanctionner le Mali. Alors que les européens n’écartent pas des sanctions ciblées, les américains passent à la vitesse supérieure et annoncent la suspension de leur coopération militaire avec le Mali. Emmanuel Macron qui s’était déjà montré très docile au Tchad, en adoubant le changement anti-constitutionnel intervenu dans ce pays d’Afrique centrale après la mort d’Idriss Déby, change de ton sur le cas malien. À la surprise générale, le président français met en garde contre une dérive islamiste.

 

Acculé de l’extérieur, le Colonel Assimi Goita ne peut s’aliéner l’opinion nationale. Sans attendre, il entame des consultations et rencontre dans cette dynamique le M5-RFP. Le mouvement qui s’était senti trahi reprend ainsi sa « révolution ». Le Colonel Assimi Goita lui refile le poste de Premier ministre qui devrait revenir au président du comité stratégique du M5-RFP, Choguel Kokalla Maiga. 

 

Saisi par le cabinet du vice-président, la Cour constitutionnelle constate la vacance du pouvoir après les démissions de Bah N’Daw et de son Premier ministre et désigne Assimi Goita nouveau président de la transition. Sous ses nouvelles parures, le jeune colonel est convoqué au Sommet extraordinaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest du dimanche dernier abrité par la capitale ghanéenne. Cependant il ne participe pas aux travaux.

 

Dans son communiqué final, l’institution sous-régionale décide de suspendre le Mali de ses instances de décision, mais décide d’accompagner la transition. Les sanctions économiques ne sont pas d’actualité cette fois-ci. Sans doute, la CEDEAO ne veut pas mettre de l’huile sur le feu. La sécurité de la sous-région est assez fragile pour en rajouter une couche. 

 

Le Colonel Assimi Goita est ainsi mis à l’épreuve par ses « pairs ». Il a l'impératif d'organiser les élections présidentielle en février 2022, selon la CEDEAO qui est soutenue dans cette dynamique par l’Union européenne. Le nouvel homme fort de Bamako est aussi invité à mettre au placard toute velléité de se présenter à ces élections. À cette pression est venu s’ajouter celle de l’Union africaine qui a suspendu le Mali de ses instances. 

 

Ce qui met davantage le Colonel Goita sur la sellette et semble lui interdire toute nouvelle erreur à moins qu’il soit dans une posture de provoquer la communauté internationale. Osera-t-il ? En tout cas, dans son entourage, on est pas très enclin à respecter le calendrier électoral déjà défini sous le premier gouvernement de la transition. « Les neuf mois ne sont pas suffisants pour réaliser tout ce qu’on a comme travail, pour parvenir à organiser des élections stables, crédibles et transparentes qui ne feront aucune contestation », déclare le conseiller juridique du Colonel Assimi Goita dans un entretien avec TV5MONDE. 

 

Devrait-on y voir une tentative de la nouvelle équipe d’allonger son séjour au pouvoir ? C’est la lecture faite par beaucoup d’observateurs qui ne veulent pas cependant tirer des conclusions hâtives quant aux réelles intentions de Goita et de son équipe. Ils veulent voir l’homme à l’œuvre. Lundi prochain, il doit être investi dans ses nouvelles fonctions avant de passer à la nomination d’un chef de gouvernement. Les défis sont immenses...

 

Jeudi 3 Juin 2021




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