Les personnes souffrant de maladies auto-immunes dans la peur d’être sevrées d’hydroxychloroquine : Quand le « protocole Raoult » fait des malheureux au Sénégal


Les personnes souffrant de maladies auto-immunes dans la peur d’être sevrées d’hydroxychloroquine : Quand le « protocole Raoult » fait des malheureux au Sénégal
Plébiscité au Sénégal dans le traitement des patients atteints de Coronavirus, avec des résultats plutôt encourageants (le taux de guérison double celui des patients sous traitement) l’hydroxy chloroquine ne fait pas des miracles qu’avec cette maladie.
 
Avant même que la Covid-19 n’arrive dans nos murs, elle était déjà la compagne de tous les jours des personnes souffrant de maladies auto-immunes, telle que le lupus, la polyarthrite rhumatoïde pour ne citer que ces deux formes très présentes au Sénégal. Les maladies auto-immunes résultent d'un dysfonctionnement du système immunitaire conduisant ce dernier à s'attaquer aux constituants normaux de l'organisme.
 
Mais depuis l’apparition du coronavirus, c’est devenu une denrée rare pour ces autres malades qui, au même titre que ceux atteints du virus émergent, doivent aussi être suivis et traités.
 
Lorsque le Sénégal a déclaré son premier cas de covid-19 et que l’équipe du Dr Seydi a jeté son dévolu sur l’hydroxychloroquine pour traiter les porteurs du virus, l’Etat a réquisitionné tout le stock disponible, plongeant dans le désarroi un segment de la population dont le soulagement dépend en partie de la prise quotidienne de cette molécule.
 
  « Le traitement à l’hydroxychloroquine est plus important. Si je ne le prends pas, je pique des crises indescriptibles »   
 
Fifi, appelons-la ainsi, vit avec le Lupus depuis 24 ans. Cette maladie qui se manifeste par l’apparition de plaques sur biens des parties du corps et des douleurs articulaires, lui a été diagnostiquée alors qu’elle n’avait que 08 ans. « Du fait des douleurs articulaires, nous avons besoin de prendre le Plaquenil (ou l’Immard). Personnellement, je le prends matin et soir avec des antalgiques pour calmer les douleurs que je ressens au niveau des articulations. Donc imaginez un peu qu’on me prive de ce médicament ? », renseigne-t-elle. Elle est loin d’être la seule dont la rémission temporaire dépend de l’hydroxychloroquine.
 
Quant à Aïda (20 ans), son lupus est plus sévère que celui de sa camarade d’infortune, Fifi. Diagnostiquée lupique en 2016, elle présente toutes les formes. « Je n’ai pas qu’une seule forme de lupus. Je cumule toutes les formes de lupus, avec atteinte rénale, atteinte cardiaque, atteinte pulmonaire », se résigne-t-elle. Si pour soulager ses maux de reins, elle utilise un autre médicament obtenu sur commande depuis la France, elle prend des corticoïdes pour atténuer les douleurs articulaires.
 
Elle reconnait cependant que l’hydroxychloroquine est « notre traitement de base ».  « Le traitement à l’hydroxychloroquine est plus important. Si je ne le prends pas, je pique des crises indescriptibles. Tous les symptômes du lupus réapparaissent. C’est comme si ton système immunitaire s’était arrêté de fonctionner », indique Aïda qui n’imagine pas une seule minute être sevrée brutalement.
 
Pourtant, c’est le danger qui la guette de même que toutes les personnes dont le système immunitaire est déréglé. Car depuis quelques temps, l’hydroxychloroquine est en rupture de stock dans les officines privées du Sénégal.
 
« Au début de l’épidémie au Sénégal, l’Etat avait bien réquisitionné tout le stock d’hydroxychloroquine. Par la suite, les grossistes privés ont réapprovisionné les pharmacies en stock suffisant jusqu’à il y a quelques jours », fait remarquer le Dr Assane Diop.
 
Le constat du président du syndicat des pharmaciens privés du Sénégal est corroboré par un pharmacien servant dans une officine, à Ouest-Foire. « Il est vrai que depuis quelques temps, nous n’avons plus d’hydroxychloroquine », admet-il. Une situation qui risque de perdurer d’autant plus que les pays producteurs ont pris l’option de satisfaire d’abord la demande locale. Le protocole Raoult faisant tilt au-delà du Sénégal.
 
 C’est assez suffisant pour mettre les lupiques que nous avons interviewés dans un stress permanent. « Actuellement, nous nous en sortons car nous avons sécurisé un stock conséquent lorsque la vente a été réautorisée. Et même pour avoir une seule boite qui dure au maximum 15 jours, il faut montrer patte blanche, c’est-à-dire une ordonnance. Maintenant imaginez que le stock s’épuise et que le médicament n’est pas disponible, dans quel état cela risque de nous mettre », s’inquiète Fifi dont le désarroi est partagé par Aïda.
 
« J’ai fait des pieds et des mains pour avoir un stock assez suffisant. Néanmoins, c’est un stress permanent. Au début, j’ai failli piquer une crise en apprenant que je pouvais être sevrée du jour au lendemain en raison du coronavirus », renchérit-elle en ayant conscience que sa réserve peut être réduite à néant avant le réapprovisionnement du marché en immard ou plaquenil.
 
« On a énormément de problèmes pour trouver le médicament »
 
La présidente de l’association des polyarthrites rhumatismes inflammatoires chroniques (ASPRIC) n’est pas loin de formuler les mêmes préoccupations.
 
Ndèye Diaw qui vit avec la polyarthrite rhumatoïde depuis maintenant dix ans, est une adepte du Plaquenil qu’elle utilise pour traiter la polyarthrite. « Actuellement, le médicament est en rupture de stock. On a énormément de problèmes pour le trouver. Or ce sevrage brutal provoque des crises, c’est-à-dire des poussées. Entendez des moments difficiles caractérisés par des douleurs atroces aux articulations. Imaginez un peu que vous voulez ouvrir une bouteille et que vous n’y arrivez pas ? Vous avez les doigts gondolés. C’est extrêmement difficile pour nous », s’alarme-t-elle, sans savoir quand cette situation prendra fin.
 
Travailler à développer la production locale de l'hydroxychloroquine
 
Dakaractu a envoyé un message au Directeur de la Pharmacie et du Médicament pour avoir un début de réponse à cette interrogation. Mais jusqu’à la rédaction de ces lignes, aucune réponse ne nous a été adressée par ses services.
 
Pour sa part, le Dr Assane Diop assure que « les grossistes ont passé les commandes et attendent ». « Les livraisons seront fonction de la  disponibilité du produit et des nouvelles exigences de l’industrie du transport », ajoute-t-il.
 
 
Par ailleurs, il reconnait que la rupture constatée va porter préjudice aux malades souffrants d’autres pathologies.
 
Selon le pharmacien, l’Etat devrait tirer les conséquences de cette situation pour « travailler au développement de la production locale de médicaments et diminuer notre dépendance à l’importation ».
 
Le Maroc est un bel exemple d’autonomie dans ce domaine. D’ailleurs, c’est pour l’avoir réussi que le royaume chérifien a pu assister quinze pays africains, y compris le Sénégal, en hydroxychloroquine et d’azithromycine.
 
Mercredi 17 Juin 2020
Dakar actu




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