La crise de la gauche sénégalaise : Les signes d’un essoufflement qui anéantissent l’espoir d'exercice de pouvoir ?

Très contestataire depuis le Sénégal indépendant, la gauche historique a mené de grandes luttes sociales notamment en Mai 68. Leur persévérance et la forme de mener leur combat politique leur a valu même l’emprisonnement de plusieurs d’entre eux à l’époque. Ils ont notamment survécu dans la clandestinité avant l’instauration du multipartisme intégral en 1981 période à laquelle, les combats se sont démultipliés. Des leaders comme Landing Savané ou Abdoulaye Bathily ont combattu dans des partis qui prônent le respect des libertés individuelles et la lutte contre les inégalités. Cette gauche s’est d’ailleurs alliée à d’autres gauches africaines ou à l’international pour mener le combat qui n’est plus ignoré. Toutefois, au-delà des années 90, les réactions aux attaques s’égrènent.


Dans les années 1980, ils ont dénoncé les politiques d’ajustements structurels imposées par les institutions internationales qui fragilisent les plus pauvres de la société. C’est le résultat d’un long processus dont le tournant se situe en 2000 avec l’élection d’Abdoulaye Wade. Jusqu’à cette date, l’échiquier politique sénégalais était polarisé entre libéraux et socialistes. C’est sous les mandats d’Abdou Diouf de 1981 à 2000, président pourtant socialiste, que les programmes d’ajustements structurels du Fonds monétaire international par exemple,  seront appliqués, le franc CFA dévalué. Puis arrive Abdoulaye Wade en 2000. Il contribue à brouiller encore plus ces lignes traditionnelles en impulsant une politique sociale alors qu’il est un libéral. Le chantre du « sopi » décline son projet de transformation sociale et accroît l’intervention de l’Etat dans l’économie en subventionnant l’agriculture et l’énergie.
 


Il faut se rappeler que dès le début de ces années 80, le mouvement de gauche est traversé par un vent de divergences idéologiques. D'un côté, il y avait l'opposition idéologique qui prônait la prolétarisation à outrance estimant que la base sociale des quartiers ne répondait pas à son orientation communiste, à son socle de classe prolétarienne en milieu ouvrier. De l'autre côté, une volonté d'assurer une fusion du Marxisme-Léninisme, avec une base plus large, à savoir, le Mouvement National Démocratique (MND) intégrant la petite bourgeoisie des quartiers et les paysans. L'ampleur et l'intensité de ce débat auront un impact sur les orientations du mouvement Maoïste avec une nette inflexion en érection des entreprises, désertant de plus en plus le mouvement associatif de quartier qui a été la base de son déploiement pendant de longues années de luttes.
 


La crise idéologique du début des années 1980 ne va donc épargner, ni l'Organisation Marxiste-Léniniste, ni And- Jef. Toutes les deux organisations subiront ainsi les effets dévastateurs de cette crise. Des militants vont quitter les rangs. Le découragement, la lassitude, le désespoir, l'essoufflement des militants des années 1980-1990 s'enchevêtrent et ronge progressivement ces formations. 
Cette situation explosive précipite l'effondrement d'un des mouvements politiques de la Gauche Marxiste- Léniniste et Patriotique. La situation des jeunes étudiants recrutés par le Mouvement Maoïste dans les milieux scolaire et universitaire constitue un baromètre social, culturel et politique de l'essoufflement du Mouvement Maoïste dans les rangs de la jeunesse. La particularité de la gauche et de sa progression sort de cette génération de militants de Gauche issue essentiellement du mouvement étudiant est un cas d'étude parmi d'autres secteurs socio-professionnels se déroulant dans les rangs des enseignants, des ouvriers ou des paysans.
 
Les modalités des luttes ont revêtu deux formes principales altérant la forme de lutte clandestine et la forme de lutte légale se traduisant par la participation des militants et responsables de la gauche à la vie sociale associative, syndicale et politique. La lutte à visage découvert était une dimension aussi importante que la dimension clandestine du changement. « La forme clandestine n'a jamais été consacrée à l'élargissement et à la massification. La forme clandestine était consacrée à l'organisation de l'avant-garde, pour ne pas dire l'élite. Les organisations plus ou moins légales de masse (association, mouvement, club, dahira, syndicat...) servaient de cadre d'intervention et de déploiement.
 


 
L’impact de la gauche dans le pluralisme…
 
 
Les modalités des luttes ont revêtu deux formes principales alternant la forme de lutte clandestine et la forme de lutte légale se traduisant par la participation des militants et responsables de la gauche à la vie sociale associative, syndicale et politique. Comme nous l’explique Mamadou Albert Sy dans son ouvrage « les enjeux de la renaissance des partis de gauche », « la lutte à visage découvert était une dimension aussi importante que la dimension clandestine du changement ». Dans cette partie de l’ouvrage, il est expliqué que « la forme clandestine n'a jamais été consacrée à l'élargissement et à la massification ».
 
L'avènement du pluralisme politique en 1981 sanctionnant le retrait du président de la République, Léopold Sédar Senghor, constitue à ses premières heures, une opportunité politique pour les organisations de la gauche. Ces partis ont accueilli à bras ouvert la décision politique du pouvoir socialiste de mettre fin à la loi des courants politiques limités seulement à quatre. Les forces de gauche saluent de manière presque unanime la nouvelle ère de la seconde ouverture démocratique après celle de 1974. Certaines franges de la gauche défendent même que le pluralisme intégral est une victoire démocratique de la lutte de toutes les composantes de la société et du peuple réclamant depuis des décennies plus de démocratie, plus de liberté et une meilleure gouvernance démocratique de l'État confisquée par un parti unique dominant, voire écrasant le jeu et les règles démocratiques.
 
L’autre facteur qui accentue le pluralisme intégral, reste cette pression que les partenaires techniques et financiers du Sénégal faisaient monter. Certains partenaires exigent des réformes en profondeur mettant fin au règne du parti unique et de la mainmise du parti dominant sur le fonctionnement des institutions républicaines.
Les partis de gauche vont entrer pleinement dans le jeu politique pluraliste. Cette phase du pluralisme intégral aura des conséquences multiformes sur la vie et l'action des partis de la gauche. La légalisation des partis de gauche a permis aux responsables de se faire connaître et de mener la propagande de leurs projets de société. Certains partis ont même eu de nouveaux militants. Par contre, la légalisation a eu des effets sur le fonctionnement des partis de gauche.
 
 
 
Les impacts multiformes de la crise idéologique
 
Le discours des intellectuels se met à l'heure de la pensée unique du libéralisme, de la mondialisation envahissante, de l'émergence des pays dominés et du respect de la diversité culturelle. Les universitaires recentrent ainsi la recherche classique au cœur des luttes sociales et des rapports sociaux de classes sur les questions liées aux opportunités qu'offre la mondialisation victorieuse à l'échelle de la planète : La réduction de la pauvreté, les inégalités sociales croissantes, les écarts entre riches et pauvres, la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance sont les nouveaux champs de l'investigation scientifique emprisonnée par le marché la recherche du profit et de la réussite sociale individuelle. La lutte des classes n'est plus opératoire. C'est le ressenti le mieux partagé. Certains intellectuels et des universitaires créent des cabinets de consultance, des bureaux d'étude et des sociétés de recherche pour capter les ressources des partenaires techniques et financiers internationaux désormais inquiets par l'ampleur de la demande sociale qui ne cesse de croître et d'impacter sur les inégalités sociales et la pauvreté envahissante.
 
D'autres intellectuels et universitaires restés dans la mouvance de la gauche menant la lutte contre le pouvoir socialiste profiteront plus tard de l'avènement de la première alternance. Ils deviendront des Ministres, des Ministres Conseillers, des Directeurs centraux. Pour la première fois de l'histoire de l'Université sénégalaise, les enseignants- chercheurs quittent si massivement les Facultés pour des postes administratifs et politiques. Les conséquences de la crise idéologique des partis de gauche, du mouvement syndical des travailleurs et du mouvement étudiant seront également visibles dans le campus social, notamment, sur le mouvement étudiant. Cette nouvelle stratégie de repositionnement syndical est étroitement liée à ce qui passe à l'intérieur des partis de gauche désorientés par l'impact de la crise multiforme touchant l'organisation, l'idéologie et les orientations politiques. Le militantisme politique et syndical change presque de visage et de motivation.
 
Les responsables syndicaux se battent désormais pour l'accès aux ressources financières publiques des grandes entreprises nationales, des organismes en charge de la retraite. Pendant que les syndicaux se ruent sur le contrôle des sociétés publiques ou parapubliques juteuses, les dirigeants des partis de gauche se positionnent sous le règne de la première alternance au sommet du pouvoir pour des postes ministériels à défaut d'occuper des fonctions de prestige. Certains responsables politiques deviendront des Directeurs Généraux, des Présidents de Conseil d'Administration. D'autres seront des ministres, conseillers techniques, conseillers au Palais présidentiel ou dans les ministères contrôlés par des camarades de parti de gauche.
 


Les partis de gauche n'ont pas encore réussi à percer les secrets insondables du jeu électoral et la force de frappe électorale des partis de masse se réclamant du socialisme, du libéralisme et de la social-démocratie. Le jeu politicien est resté longtemps dominé, par deux grands partis historiques socialistes et libéraux, que sont le Parti Socialiste et le Parti Démocratique Sénégalais.
Ces partis ont une culture politique singulièrement électorale et des traditions établies. Les partis libéraux et socialistes maîtrisent les rouages des élections et le jeu électoraliste.
 
Ils ont su au fil des épreuves électorales entre 1960 et 2000, de l'exercice du pouvoir gagner la confiance des électeurs grâce à l'usage souvent massif de l'argent public et de l'influence nourrie par l'exercice du pouvoir sur des populations analphabètes et démunies culturellement et économiquement. Les partis de gauche ont plutôt développé une culture en rupture avec la culture électoraliste des partis de masse.


Les partis de masse ont nourri le clientélisme politique qui a fini par etre ancré dans le tissu social, culturel et religieux sénégalais par les partis de masse. Les partis politiques de la gauche sont entrés du reste tardivement dans le jeu électoral et de surcroît en ordre dispersé dans un contexte de crise idéologique et des repères. Ils se démarquent des élections truquées à l'avance et de l'usage de l'argent public à des fins politiciennes.
 
La victoire de l'Apr devrait, à ce titre, servir d'exemple aux partis de gauche. En moins d'une décennie, ce parti est arrivé au pouvoir. L'Alliance pour la République qui a succédé au Pds depuis 2012 regroupant en son sein des libéraux et des anciens militants de la gauche Marxiste- Léniniste a réussi à casser les clivages idéologiques traditionnels entre les libéraux et socialistes, d'une part, et les clivages entre le pôle des partis de masse et la gauche d'une part.
 
L'Alliance Pour la République a ainsi brisé ainsi la bipolarisation du jeu entre le Parti Socialiste et le Parti Démocratique Sénégalais grâce à la coalition Benno Bokk Yaakaar ». Cette coalition au pouvoir qui regroupe tous les partis et mouvements soutenant l'action du président de la République Macky Sall voit aujourd’hui certains partis voler en éclat comme le Ps. C’est une crise de leadership qui doit être résolue à travers un congrès que plusieurs membres du parti attendent. Le maître du jeu est le seul gagnant de ce jeu des alliances entre le parti du Président et le parti des alliés : le président Macky Sall qui contrôle toute la coalition.  
 
Certains partis de gauche ne connaissent pas simplement les rouages et les arcanes des compétitions électorales de masse. Après deux alternances, les partis de gauche devront accepter de faire un bilan sérieux de l'expérience du gouverner ensemble avec les libéraux et les socialistes. A cet effet, l’analyste politique Mamadou Albert Sy estime que l'Avenir politique du Sénégalais est loin d'être rassurant au regard de ces faiblesses majeures contraignant les partis de gauche à subir la loi des partis de masse. Ces partis exploitent d'ailleurs cette faiblesse électorale des partis de gauche pour en faire des alliés pour la conquête et la préservation du pouvoir. Comment ces partis au pouvoir comptent-ils mener leur combat politique face à cette effervescence nouvelle qui se profile avec une jeunesse définie par sa prise de conscience des enjeux de son pays ?
 
 
Mercredi 12 Octobre 2022




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