L’immatriculation des motos au Sénégal : un enjeu majeur


Le secteur du transport au Sénégal, particulièrement celui des motos, a connu une croissance exponentielle ces dernières années, surtout dans des villes comme Dakar, Kaolack, et d’autres centres urbains. Si les motos offrent une solution rapide et économique face aux défis de mobilité, elles sont également au cœur de nombreux défis en matière de sécurité routière, d'organisation du transport, et de régulation du marché. Le gouvernement du Sénégal, dans un souci de rationalisation et de sécurité, a mis en place une nouvelle mesure visant l'immatriculation des motos et l'obtention d'un permis de conduire pour les conducteurs. Cependant, cette décision suscite une forte contestation parmi les conducteurs, qui la jugent coûteuse et mal expliquée.
 
Les motos ont fait leur apparition dans le paysage urbain sénégalais dès les années 1990, mais leur utilisation à des fins de transport de personnes et de marchandises a véritablement explosé au cours des deux dernières décennies. À l’origine, elles étaient principalement utilisées par des particuliers comme moyen de transport individuel. Cependant, à partir des années 2000, un nouveau phénomène est né : les motos-taxis. Ces motos, principalement utilisées pour le transport de passagers, sont devenues une alternative populaire aux taxis traditionnels, en particulier dans des villes comme Dakar et Kaolack, où la circulation est souvent congestionnée.
À Kaolack, ville du centre du pays, les motos ont également répondu à un besoin vital : celui de faciliter les déplacements dans une ville en plein développement et dans des zones rurales souvent mal desservies par d’autres moyens de transport. Dans cette région, les motos ont rapidement été adoptées pour la livraison de marchandises, donnant naissance à un autre modèle de transport, plus informel mais tout aussi efficace, connu sous le nom de « tiak tiak » . Ces motos sont devenues les piliers d'un secteur en plein essor, où les conducteurs transportent des biens et des colis pour des particuliers ou des entreprises locales.
 
Malgré les avantages indéniables de cette réforme, l'introduction de l’immatriculation obligatoire des motos et de l’obligation pour les conducteurs d’obtenir un permis de conduire a rencontré une vive résistance de la part des acteurs du secteur. Plusieurs raisons expliquent cette grogne :
Le coût élevé : Le principal reproche des conducteurs concerne le coût de l'immatriculation, estimé à 28 000 francs CFA. Pour de nombreux conducteurs, notamment ceux des « tiak tiak », qui ont des revenus modestes, ce montant représente une charge importante, d'autant plus que d'autres frais (permis de conduire, assurance, entretien de la moto) viennent s’ajouter. Ils estiment que cette régulation devrait être gratuite ou, à tout le moins, moins onéreuse.
Le manque de communication et de sensibilisation : Beaucoup de conducteurs ne perçoivent pas l’utilité immédiate de l'immatriculation et du permis de conduire. Ils ne sont pas informés des bénéfices à long terme de cette mesure, comme une meilleure sécurité routière, la possibilité de lutter contre les vols, ou encore la légitimité juridique des conducteurs de moto dans leurs activités professionnelles.
Une mauvaise préparation du secteur : Le gouvernement n’a pas suffisamment consulté les acteurs du secteur, ce qui a conduit à un manque de dialogue. Il est essentiel de reconnaître que les motos de transport ne sont pas toutes utilisées de la même manière, ce qui nécessite une différenciation des mesures selon les types d’usage.
Afin de surmonter ces obstacles et de faire accepter la mesure, voici quelques recommandations qui pourraient être mises en place par le gouvernement du Sénégal :
1. Répertorier les trois types de motos :
Comme il existe, selon l’usage, trois types de motos au Sénégal : celles utilisées par des particuliers, celles utilisées pour le transport de passagers et celles dédiées à la livraison (tiak tiak) ; il serait pertinent de les identifier distinctement.
Une solution pourrait être de dédier une couleur à chaque type de moto en fonction de son usage, comme c’est déjà le cas pour les taxis (jaune et noir) et les voitures particulières. Cette identification visuelle permettrait de distinguer facilement les motos et d’assurer un meilleur contrôle des autorités.
2. Délivrer des licences d’exploitation :
Les motos destinées au transport de passagers ou à la livraison devraient bénéficier d'une licence d’exploitation spécifique. Cela permettrait de mieux encadrer ces activités tout en permettant aux conducteurs de travailler dans un cadre légal. Les licences pourraient être subordonnées à des conditions d’assurance et à la sécurité des motos, tout en offrant des tarifs préférentiels pour les professionnels.
3. Faciliter les démarches administratives et réduire le coût :
Le coût de l’immatriculation pourrait être révisé et un paiement échelonné ou subventionné pourrait être mis en place, notamment pour les conducteurs à faible revenu. Par ailleurs, simplifier les démarches administratives et organiser des guichets mobiles dans les zones rurales ou éloignées serait un moyen de rendre l’immatriculation plus accessible.
Au-delà, une stratégie de communication ciblée est cruciale pour faciliter l’adoption de la mesure.
  • Organiser des campagnes de sensibilisation à travers les médias, notamment la radio et la télévision, pour expliquer les avantages de l’immatriculation : identification rapide en cas de vol, meilleur contrôle des accidents, sécurité routière accrue. Ces campagnes devraient être adaptées à chaque type de public, en mettant en avant les bénéfices spécifiques pour les conducteurs de transport et de livraison.
  • Dialoguer avec les acteurs du secteur : Créer des espaces de dialogue entre le gouvernement et les conducteurs de motos, ainsi que les organisations professionnelles, pour discuter des préoccupations et des solutions pratiques. Une approche participative renforcerait la légitimité de la mesure et apaiserait les tensions.
  • Une communication de proximité : Mettre en place des agents de proximité qui se rendront directement dans les quartiers, les garages de motos et les zones rurales pour expliquer la procédure d’immatriculation et les avantages liés à la régulation. Ce contact direct permettra de dissiper les malentendus et de répondre aux préoccupations des conducteurs.
  • Proposer des réductions ou des avantages pour les conducteurs qui immatriculent leur moto dans un délai donné, comme des assurances à tarifs réduits ou des bonifications pour la sécurité (réduction des amendes ou aides pour l’achat d’équipements de sécurité).
 
Nous sommes tous d’accord que l’immatriculation des motos et l’obtention d’un permis de conduire pour les conducteurs sont des étapes importantes pour la modernisation et la sécurisation du secteur du transport au Sénégal. Cependant, la réussite de cette réforme dépend largement de la capacité du gouvernement à instaurer un dialogue avec les conducteurs et à adapter la mesure à la réalité du terrain. Une communication transparente et des mesures d’accompagnement, telles que la différenciation des motos par leur usage, la réduction des coûts et des incitations à l’immatriculation, seront essentielles pour faire passer cette réforme et en garantir le succès.
Souleymane Ly
Spécialiste en communication
julesly10@yahoo.fr
Lundi 20 Janvier 2025
Dakaractu



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