L’Etat islamique intensifie sa communication sur le nouvel épicentre sahélien du "Djihad" (Par Dr. Bakary Sambe)


Les récentes embuscades dans le Nord-Est du Nigeria faisant plus de vingt morts font ressurgir l’idée d’un nouvel épicentre sahélien du Djihad alors que les signaux d’un solide ancrage de l’Etat islamique en Afrique n’ont cessé de se multiplier depuis quelques temps. Seulement, la crise politico-institutionnelle qui sévit actuellement au Mali en plus des problèmes sécuritaires restés intacts au Centre comme au Nord de ce pays, semble obnubiler les observateurs et experts du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de manière générale. 

 

Pendant ce temps, d’énormes enjeux sécuritaires passeraient presqu’inaperçus n’eût été le retentissement de l’attaque de Kouré à une soixantaine kilomètres de Niamey, la capitale du Niger. Cette attaque commise le 9 août 2020 a été revendiquée un mois plus tard par l’Etat islamique qui la relate de manière détaillée dans le numéro 252 du 22 Muharram 1442 (équivalent 17/09/2020).  

 

Profitant aussi bien de la relative accalmie due à la crise sanitaire de covid-19, mais aussi de la focalisation de toutes les attentions sur une crise malienne à ses débuts, les groupes terroristes intensifient leur compétition et luttent pour le contrôle du désormais nouvel épicentre du djihadisme mondial : la bande saharo-sahélienne.

 

Les hommes de la Jamâ’at Nusrat al-Islam wal Muslimîna (JNIM-GSIM) d’Iyad Ag Aly poursuivent, certes, la chasse à l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) d’Al-Sahraoui dans le cadre d’un vaste « nettoyage » des positions de la nébuleuse du Mali et du Burkina Faso pour les repousser jusqu’aux confins du Nord Tillabéry au Niger. Mais, en même temps le Groupe Etat Islamique intensifie sa communication et sa propagande pour affirmer une présence dans la zone des trois frontières du Liptako Gourma malgré le déploiement des forces spéciales de Takuba au secours de Barkhane.

 

« Jihad » contre Al-Qaida et diabolisation de Takuba

 

C’est ainsi que, dans son organe de communication et de propagande Al-Naba’ ,  l’Etat islamique annonce ses « victoires » contre les éléments d’Al-Qaida qualifiés d’ « apostats » en même temps que la « déroute » des forces spéciales européennes au sein de Takuba. La propagande de l’Etat islamique insiste sur le fait qu’Al-Qaïda serait tellement affaibli au point de recourir à la politique de « recrutement forcé afin de combler le manque remarqué dans ses rangs ». 

 

Dans un style alliant souci apparent de précision mais aussi de persuasion, l’organe de communication de l’Etat islamique relate dans un récent numéro les manœuvres de Takuba durant le mois de Zul Hijja, qui est, en fait, celui de l’Aïd el Kébir (célébré fin juillet), mois saint du pèlerinage et symbole du sacrifice.

 

Ayant bien saisi l’enjeu stratégique de dresser les populations locales contre les forces étrangères, Al-Naba’ mêle un semblant de compte-rendu détaillé à de la propagande en ces termes ; « les campagnes militaires des Forces spéciales Takuba  quittaient le camp de Ménaka ( ?) pour se diriger vers la zone d’Indélimane. Sous l’aile protectrice de leur hélicoptère, elles ont bombardé, dans les premiers jours du mois de la Fête de Sacrifice, un lieu situé dans la zone sud-ouest de Ménaka. Les fidèles musulmans y étaient rassemblés après la célébration de la prière. La raison du bombardement était de se venger des populations ayant refusé de s’allier aux forces spéciales européennes dans leur lutte contre le mouvement islamiste ». 

 

L’Etat islamique a bien compris que le succès éventuel de l’intervention de Takuba dépendra de son acceptation par les populations locales qui nourrissent certaines incompréhensions sur l’action de telles forces imposant des mesures de sécurité draconiennes à des populations qui, pourtant, se sentent le plus souvent en insécurité.

 

Cette focalisation sur la région sahélienne en même temps qu’elle cherche à persuader d’une forte présence et d’un solide positionnement vise aussi à cultiver l’hostilité des populations locales vis-à-vis de la nouvelle force. L’organe de l’Etat Islamique (EI) ira même jusqu’à accuser les forces spéciales européennes de « crimes » et de « vol des biens des habitants des zones frontalières du Mali et du Burkina Faso ». Ce procédé vise naturellement à mettre en mal la nouvelle force avec les populations locales et mettre la pression sur les gouvernements de la région développant un discours souvent ambigu sur les interventions étrangères.

 

Entre avertissements à la France et menaces explicites contre Takuba

 

Dans la suite des revendications, l’organe de propagande de l’EI revient avec menus détails sur l’attaque de Kouré d’août 2020 qui a coûté la vie à six (6) français et deux (2) nigériens, en précisant qu’ils ont été d’abord « capturés », puis « tués par balle » avec un style empreint d’une certaine violence et d’intimidation. 

 

Pour plus de crédibilité à cette revendication valant aussi avertissement notamment à la France, l’Etat islamique parle des « forces étrangères dans cette région qui seraient habitées par une certaine crainte perpétuelle et leur prise de conscience de l’inanité de leurs efforts anti-terroristes ». En fait, l’EI semble avoir saisi la portée symbolique et psychologique de cette attaque en pleine crise de covid-19  pendant que la pandémie et sa gestion occupaient le devant de la scène médiatique comme l’indique cette assertion contenue dans le même numéro d’Al-Naba’ : « En effet, l’attaque a suscité un tollé médiatique notamment du fait de la nationalité des personnes tuées et la nature du lieu dans lequel elle s’est produite. Il s’agit d’une zone touristique réputée qui se situe à deux heures de route de la capitale (Niamey). Ce qui est considéré comme une faille sécuritaire de la fortification édifiée par les apostats »

 

Intimidation des populations locales et pressions sur la coopération sécuritaire

 

Louant les « efforts intensifiés pour la capture des agents secrets des Forces européennes intégrées à Barkhane », le groupe Etat Islamique insiste sur la prouesse de ses soldats qui auraient « capturé dimanche le 18 Muharam (06/09/2020) le responsable de la milice Front Arabe,  apostat dans la zone Ménaka et affilé à la Coordination des mouvements de l’Azawad». 

 

L’évocation de tels « faits d’armes » a le double objectif de mettre la pression sur les forces étrangères de la lutte contre le terrorisme tout en adressant un message à l’Algérie, considéré comme un allié objectif de la France dans la région. D’ailleurs, dans le libellé des détails de cette supposée ou vraie opération « réussie », l’organe de presse du groupe Etat islamique, An-Naba’, précise : « faisant partie des agents du gouvernement algérien apostat, ce responsable apportait du soutien aux forces Barkhane et formait des cellules d’espions composées d’hommes et de femmes dans une zone à l’ouest Ménaka, dans le but d’observer et de suivre les troupesdu califat et donner des information sur leurs agissements »

 

En fait le groupe Etat islamique cherche à relativiser certaines de ses pertes face à Barkhane en prétextant d’une complicité des populations locales et de pays étrangers qui soutiendraient  des groupes « à leur solde ».  Tout est décrit comme si sans le soutien de « complices » ces pertes ne pouvaient être enregistrées dans ses rangs. L’organe insiste sur un ton accusateur : « Ces cellules ont permis aux forces françaises de repérer les positions des Mujâhidines et de tuer deux d’entre eux l’année dernière ». Il s’agit d’une narration des faits mettant l’accent autant sur les complicités locales que sur la fragilité et les failles des dispositifs mis en place par les pays de la région mais aussi forces étrangères en présence.

 

L’Afrique et principalement le Sahel sont devenus le nouvel épicentre du djihadisme mondial avec des répercussions certaines même sur les pays qui étaient jusqu’ici en périphérie et qui risquent de devenir des zones de redéploiement. Depuis la débâcle en Syrie et en Irak, le groupe Etat islamique cherchait cette zone de refuge profitant du débordement des épicentres, du chaos libyen et de l’instabilité continue au Mali de même que la dispersion des efforts internationaux sans coordination sur les dites « stratégies Sahel ». La connexion avec ISWAP (Province d’Afrique de l’Ouest de l’Etat islamique) depuis le Bassin du Lac Tchad et les réseaux criminels qui arrivent à entretenir un corridor sahélien cherchant l’accès aux côtes africaines en même que le narcotrafic, ouvrent de bien sombres perspectives dans un contexte fortement marqué par une rude compétition des partenaires internationaux et les inéluctables crises politiques en vue dans la région.

Mardi 29 Septembre 2020




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