Guerre en Ukraine / Position du Sénégal : Macky Sall entre le marteau de l’occident et l’enclume de ses concitoyens.


Ce 11 Avril 2022, le Président Ukrainien Volodymyr Oleksandrovytch Zelensky et le Chef de l’État Macky Sall se sont entretenus au téléphone. Lors de leurs échanges rendus publics par  la Présidence de la République dans un tweet, les deux hommes ont « évoqué l’impact de la Guerre en Ukraine sur l’économie mondiale et la nécessité de privilégier le dialogue pour une issue négociée du conflit. » Le président Zelensky aurait aussi formulé son souhait auprès du Chef de l’État Macky Sall, Président en exercice de l’Union Africaine, de faire une communication dans ce sens auprès de ses pairs de l’Organisation Continentale. Ainsi, donc après les Européens, les Américains et les Asiatiques, le président Zelensky veut convaincre les Africains à ‘’soutenir sa guerre.’’ 

Poids lourd diplomatique et économique ouest-africain, le Sénégal est également à la tête de l’Union africaine pour un an. Sa position sur l’invasion russe de l’Ukraine est donc centrale et largement scrutée. Le pays s’en tient à une neutralité. Même s'il n'est pas le seul pays africain à s'être abstenu lors du vote à l'ONU sur l'Ukraine, le Sénégal a en revanche largement fait réagir les observateurs par le positionnement diplomatique mis en avant, à savoir la neutralité.

La question a été posée de savoir s'il s'est agi d'une volonté de s'affirmer différemment sur la scène internationale ou d'un désir de calmer le jeu au niveau régional et local. L'Assemblée générale de l'ONU (AGNU) votait une résolution intitulée « Agression contre l'Ukraine », dont le texte pensé par l'Union européenne avec l'Ukraine exige « que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l'Ukraine et retire immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires » d'Ukraine.

Si une très large majorité des 193 pays participants a voté pour condamner « l'agression de la Russie contre l'Ukraine », 12 pays africains n'ont pas pris part au vote et 17 pays du continent se sont abstenus dont le Sénégal. Dakar n’a pas voté en faveur de la résolution condamnant l’agression russe contre l’Ukraine. Cette abstention a surpris nombre d’observateurs. Elle pourrait s’expliquer en partie par la position du Sénégal à la tête de l’Union africaine. Mais les considérations intérieures ne doivent pas être négligées et occultées.

UNE ABSTENTION QUI FAIT DÉBAT.

Après ces deux prises de position au nom de l’Union africaine, Macky Sall était attendu dans ses habits de président du Sénégal, pays phare en Afrique et allié traditionnel du bloc occidental. Le Sénégal savait donc que son positionnement serait particulièrement observé. Aux Nations Unies l’ambassadeur sénégalais à New York s’est abstenu, conformément aux instructions de Dakar. Cette position n’a pas semblé rencontrer l’approbation des partenaires traditionnels de notre pays. On se souvient d’un «échange de tweets» entre le Président Macky Sall et le Premier ministre canadien, Justin Trudeau. Dans le compte-rendu qu’il a fait de sa conversation avec le dirigeant sénégalais, l’homme politique canadien a mis en avant «l’invasion injustifiable et non provoquée de l’Ukraine par la Russie, et on a discuté de l’importance du Droit international et des valeurs démocratiques». Le Président voulait en vérité comprendre la position de leur traditionnel partenaire. Cette position médiane, qui a surpris diplomates et experts, pourrait trouver une explication en plusieurs temps.

LA GUERRE DES AUTRES…

À l’instar de beaucoup d’africains, les Sénégal jugent que cette guerre, qui se déroule en Europe, est une crise secondaire pour les nations africaines. Si les États-Unis et surtout l’Union européenne (UE) sont en première ligne, c’est en partie parce qu’ils subissent directement les conséquences de cette guerre. L’Afrique est généralement en retrait dans ce que l’on pourrait appeler « la guerre des autres ». Silencieux, la plupart des États africains ne se sont pour le moment exprimé qu’à l’occasion du vote de la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, qui exige « que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ». Par ailleurs, il n’est compréhensible, pour la plupart des Africains, que le monde entier soit resté muet face à ce qui s’est passé en Irak, en Libye, en Syrie et qui se passe encore en Israël, se mue soudainement en défenseur de l’Ukraine. C’est du deux poids deux mesures pour bon nombre d’Africains.

LA COLÈRE APRÈS LE TRAITEMENT RÉSERVÉ AUX AFRICAINS BASÉS EN UKRAINE.

Les africains en général n’ont pas compris et aimé le traitement réservé à leurs frères au début de l’invasion Russe. Et ils ont exprimé via les réseaux sociaux leur  préoccupation face à la très grave et dangereuse situation créée en Ukraine. Le 28 février, face aux images relayées d’abord sur les réseaux sociaux, puis reprises par des médias, de ressortissants africains victimes de racisme et de mauvais traitement aux frontières ukrainiennes, Macky Sall et Moussa Faki Mahamat avaient alors  encore exprimé  leur préoccupation et rappelé que « toute personne a le droit de franchir les frontières internationales pendant un conflit ». Ils jugent le traitement différent appliqué aux Africains « inacceptable, choquant et raciste et en violation du droit international ».

« LA MARIONNETTE  DE LA FRANCE »

L’évolution des contestations au niveau régional pourrait être une autre explication à cette abstention. Depuis plus d’une décennie, un sentiment anti-occidental déferle sur le continent Africain, notamment au Sénégal. Dakar ne peut plus faire abstraction de cette nouvelle donne qui chamboule la configuration politique. En appliquant les sanctions de la Cédéao, Dakar a fermé le corridor Dakar-Bamako. Cette décision, du fait de l’embargo de la Cédéao, a fait du Sénégal une cible des partisans de la junte et des anti-Français.

À Dakar, au sein des milieux urbains et de la classe politique devenue virulente depuis les émeutes de mars 2021, Macky Sall, comme tous les chefs d’État de la Cedeao, est catalogué à tort ou à raison, comme étant « l’homme de main de la France ». Son régime est la cible d’une vaste contestation au sein des partis de l’opposition, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ce que l’on qualifie de « sentiment anti-français » a une très forte résonance au Sénégal, notamment au sein de la jeunesse urbaine et des élites intellectuelles. Ce « sentiment » alimente les prises de position pro-russes chez certains jeunes qui ont soutenu les putsches au Mali et en Guinée au nom de la contestation de l’impérialisme occidental.

LA MENACE ‘’AND SAMM JIKKO YI’’ ET LA PRESSION ÉLECTORALE 

Au Sénégal des responsables publics dénoncent avec virulence l’impérialisme français et une certaine volonté de la part des occidentaux d’imposer une démocratie à leur image, en insistant surtout sur des questions de liberté, de genre... Ces derniers ont mis en place un mouvement qui a émergé depuis près d’un an dans la société civile pour appeler à la criminalisation de l’homosexualité et à la fin de l’impérialisme. Cette organisation, ‘’And Samm Jikko Yi’, composée d’imams, d’associations islamistes, de militants d’extrême-gauche, de syndicalistes, d’hommes politiques ou encore d’activistes, a pris de l’ampleur et appelle à voter contre la majorité à toutes les élections. Et ce ne sont pas les dernières locales qui prouveront le contraire. Ses leaders font le tour du pays pour vilipender le pouvoir en place, qu’ils accusent de dérouler un agenda pro-LGBT en se pliant aux injonctions de l’Occident (et notamment de la France), accusé de vouloir imposer des valeurs jugées contraires à la morale et à la religion du pays. Ce discours critique contre le président  Macky Sall bénéficie d’un large écho au sein de la société sénégalaise et peut faire mal lors d'élections à venir comme les législatives prochaines.

UNE ÉQUATION COMPLEXE À RÉSOUDRE

À deux ans du terme de son mandat, le président Macky Sall  est appelé à prendre davantage d’épaisseur internationale tout en tenant compte d’une opinion nationale exigeante, de plus en plus attentive aux enjeux internationaux et souvent à la merci des stratégies de désinformation qui pullulent sur internet.

En effet, le discours de plus en plus virulent, surtout des jeunes, dénonçant l’impérialisme occidental, gagne des partisans un peu partout dans le pays. En outre, l’image de chef d’État à ‘’la solde de France’’, la pression exercée par les partisans de la lutte  ‘’anti-homosexualité’ avec des conséquences électoralistes, Macky Sall, doit faire preuve de dextérité et d’agilité afin de réconcilier les postures divergentes vis-à-vis de la Russie, dont l’image ne cesse de séduire la rue en Afrique de l’Ouest.
Mardi 12 Avril 2022




Dans la même rubrique :