Gilles Yabi, fondateur du Think Tank Wathi : « Si le Tchad est devenu un acteur incontournable, c’est parce que les autres pays se sont considérablement affaiblis »

En marge du panel organisé ce jeudi 20 mai à Dakar par la Fondation Friederich Ebert sur la sécurisation du Sahel après la mort du président Idriss Déby, Gilles Yabi a répondu aux questions de Dakaractu.


La sécurité du Sahel en question après la mort d’Idriss Déby 

 

La question qu’on discutait ce matin consistait à savoir si le Tchad était un acteur incontournable pour la stabilisation du Sahel et quelles étaient les perspectives après la disparition d’Idriss Déby Itno.

 

Mon propos était de montrer que lorsqu’on regarde les données économiques et sociales du Tchad, on n'a pas le sentiment que c'est un pays qui constitue une puissance régionale. En fait, ce qui explique le rôle du Tchad sur le plan sécuritaire, c’est essentiellement son histoire politique qui est aussi une histoire militaire et le fait que le Tchad dispose d’une armée importante numériquement, mais aussi relativement bien équipée depuis que le Tchad est devenu un pays pétrolier, beaucoup d’investissements ont été faits dans l’équipement des forces armées. Mais ça ne veut pas dire que l’armée tchadienne est très bien structurée, ça ne veut pas dire qu’elle n’est pas traversée par plusieurs divisions. Le Tchad a lui-même beaucoup de fragilités internes et qu’avec celles-ci, il était dangereux de le voir comme un fournisseur de troupes pour la stabilisation du Sahel et du Bassin du Lac Tchad.

 

Surestimation de l’apport du Tchad dans la gestion des conflits

 

On voit bien que les questions sécuritaires restent préoccupantes dans toute la région malgré les investissements dans le domaine militaire : l’opération Barkhane française, le G5 Sahel, les soldats tchadiens..., on voit nettement que la situation ne s’est pas améliorée. Cela montre la fragilité de la posture du Tchad. Avec la disparition d’Idriss Déby, il faut changer de perspectives et je crois qu’il ne faut surtout pas oublier que le Tchad, c’est 16 millions d’habitants qui demandent des ruptures, qui demandent des changements sur le plan économique et social. Le fait de croire qu’un pouvoir politique qui resterait en réalité un pouvoir militaire garantirait la stabilité régionale et celle du Tchad, est une grave erreur.

 

Mahamat Idriss Déby parachuté à la tete de l’État

 

Le fait que ce soit une transition anticonstitutionnelle c’est un fait. On a un double problème, par les militaires et deuxièmement on a le fils qui succède au père. Le signal n’est pas bon pour l’ensemble du continent. Au-delà de la situation tchadienne, chaque fois qu’on a une politique comme celle-là, il faut voir ce que ça signifie comme message donné à d’autres dirigeants qui, notamment en Afrique centrale, préparent pour certains, leurs fils pour la succession.

 

Les autres pays africains doivent-ils éternellement compter sur le Tchad pour stabiliser les régions en conflit

 

Ce serait dangereux de compter sur un pays qui, lui-même, fait face à d’énormes défis internes pour être un acteur de la stabilisation de la sécurité régionale. J’ai aussi souligné le fait que si le Tchad est devenu un acteur incontournable, c’est parce que les autres pays se sont considérablement affaiblis, notamment le Nigeria qui est le pays qui en réalité devait jouer un rôle important pour stabiliser la région. 

 

Mais le Nigeria est lui-même traversé par des conflits et des fragilités, raison pour laquelle il ne peut plus jouer ce rôle-là. La question tchadienne nous montre à quel point on a besoin d’une mobilisation collective des sociétés ouest-africaines et au-delà pour chercher des voies de la paix et de la sécurité dans la région. 

Jeudi 20 Mai 2021




Dans la même rubrique :