Etats-Unis d’Amérique, pourquoi tant de racisme, de haine, et de discrimination ?

Epargné par la pandémie du nouveau coronavirus révélatrice d’une surmortalité plus élevée parmi les Afro-américains, signe d’inégalités socio-économiques et d’accès aux soins, George Floyd n’a pas échappé à la sombre pandémie du racisme systémique et de la discrimination raciale, mort étouffé pendant une éternité sous le genou de Derek Chauvin malgré ses suppliques. Une pandémie d’impunité beaucoup trop familière aux Etats-Unis, où les policiers américains tuent en moyenne trois personnes chaque jour. Et d’après Franklin Zimring, criminologue à l'université de Berkeley, « au moins la moitié de ces morts ne sont pas nécessaires pour préserver la vie de policiers ou de civils ». Les Afro-Américains sont notoirement surreprésentés dans ces décès, selon Ben Kelso, 53 ans, responsable de l'antenne locale de San Diego, en Californie, de l'Association nationale des policiers noirs.


Dans ta société, Amérique, un homme noir est souvent a priori considéré comme un danger potentiel. Même être policier noir n’épargne pas du racisme de tes forces de l'ordre. La colère des manifestants descendus dans les rues depuis fin mai dépasse le seul cas de George Floyd. Elle est le fruit d'une longue histoire de violences infligées aux Américains noirs par tes forces de l'ordre, en tant qu'institution. Les séquelles de 250 années d'esclavage, de traite de millions d'Africains, suivies d'une longue période de ségrégation marquent encore ta société. La tragédie de grandir noir et pauvre en Amérique dans des logements surpeuplés, dans la discrimination omniprésente et les inégalités perdure. L’indépendance de la justice, le respect du droit et des minorités sont pourtant garantis par la Déclaration d’indépendance et la Constitution de tes Pères Fondateurs. Ton Evangile dit «aime ton prochain comme toi-même» et tes principes philosophiques prônent « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît ».

 

De Dakar, nous comprenons difficilement comment une nation qui se dit éprise des valeurs de liberté, de tolérance, d’égalité devant la loi, de libre entreprise et parole, peut en même temps tolérer l’«étouffement» de ses citoyens noirs. Il nous est pénible d’accepter ton double langage et tes contradictions racistes. Toi qui es viscéralement attachée à la liberté de religion, fondement éthique et moral de l’ordre social qui prône l'amour, la justice, la vérité, la tolérance, la droiture, les lumières, la non-violence. Un attachement si exclusif que tu en exclues tes citoyens afro-américains. Et s’agissant du racisme systémique, institutionnel, structurel qui prospère impunément chez toi, il s’agit du racisme le plus corrompu, le plus pervers et le plus immoral car il vient de ceux qui sont légalement chargés d’observer et de faire observer le droit et l’ordre public.

 

Depuis Dakar, ce meurtre en décalage avec ta profession de foi itérative sur l’universalisme des droits de l’homme nous fait prendre conscience de ton hypocrisie. C’est d’autant plus inacceptable que nous savons que le concept de race n’a, humainement, aucun fondement biologique ni contenu. Le racisme est détestable parce qu’il induit l’idée qu’il existe des différences biologiques irréductibles entre les groupes humains, ce qui n’est pas vrai. En Afrique, continent de « pays de merde » selon ton président Trump, nous le savons et même lorsque la justice se rend à deux vitesses chez nous, elle ne viole pas le droit sacré de vivre et de respirer de ses citoyens noirs et blancs. Avec des langues et des religions diverses, qui correspondent à des représentations différentes, ceux-là cohabitent pacifiquement dans une parfaite concorde religieuse.

 

Du Sénégal, nous sommes réconfortés de voir que le mouvement mondial de protestation contre le racisme systémique, loin d’être identitaire ou communautariste, rallie des majorités non discriminées qui rejettent l’inégalité de traitement infligée aux Noirs en contradiction avec les principes généraux proclamés par les démocraties. Et le slogan devenu international «Black Lives Matter» a obligé d’autres pays et d’autres gouvernements à faire leur examen de conscience. La vie des Noirs n’est pas plus importante que celle des autres mais elle compte autant, ni plus ni moins. C’est la base du principe d’égalité qui transcende les considérations d’identité. Alors que sur les questions sociales et sociétales, les Américains sont plus ouverts et acceptent l’homosexualité contrairement à nous, sur l’égalité des droits des communautés noires ou « ethniques», leur tolérance est en crise. Ce qui est moralement inacceptable.

 

Pourquoi tant de haine, de racisme et de discrimination contre tes citoyens afro-américains ? Pourquoi tes brutalités policières, passe-droits raciaux, violations, violences, techniques d’étranglement controversées, humiliations contre les afro-américains ? Pourquoi refuses-tu à tes fils noirs ces droits de l’homme que tu défends partout? Pourquoi les prives-tu de la liberté et de la démocratie dont tu te dis le gardien ? Pourquoi persécutes-tu des hommes noirs alors que tu recueilles tous les exilés de la terre? Pourquoi mens-tu au monde entier, toi l’Amérique propre sur elle, donneuse de leçons de droit et de démocratie alors que chez toi la vie d’un Afro-américain ne compte pas? Pourquoi traites-tu les leaders africains de dictateurs corrompus, alors que chez toi les Noirs sont des citoyens de seconde zone fauchés sous les balles de ta police blanche, raciste et suprémaciste?

 

Etats-Unis d’Amérique, à présent tu es découverte telle que tu es en réalité : une menteuse, une tricheuse, une meurtrière, une ségrégationniste, une raciste. Et pourtant, c’est bien toi Amérique qui as importé du « bois d’ébène » captif, vendu par d’autres Africains, pour tes besoins personnels, il y a 401 ans. Ces premiers Africains débarqués en août 1619 en Virginie sont les aïeux des actuels descendants d’esclaves africains et les glorieux ancêtres de ta culture afro-américaine, mais aussi plus largement de toute ta culture. Leur arrivée marque le début d'un funeste pan de ton Histoire et aussi un paradoxe historique car ils viennent peu après la tenue de la première assemblée législative du Nouveau Monde le 30 juillet 1619. Etrange jonction entre ta première expression de l’expérience démocratique et de nouveaux arrivants privés de leurs droits et identités, comme tes primo-habitants indigènes. Autour de 1660, tes colonies décrétèrent la transmission désormais du statut d’esclave par la mère, apportant une nouvelle dimension héréditaire et raciale à l'esclavage. Elles interdirent à la même époque les mariages mixtes, une prohibition qui perdurera jusqu'au XXe siècle.

 

Amérique raciste, tu as fait sortir les démocrates du monde entier malgré la covid-19 pour dénoncer le racisme qui continue de sévir chez toi. Amérique suprémaciste, tu as même réussi à sortir l’Union africaine de ses gonds. Le président de la Commission a condamné le « meurtre » de Floyd. Moussa Faki Mahamat a redit fermement le rejet par l'Union africaine des pratiques discriminatoires envers tes citoyens noirs et demandé à tes autorités d’éliminer toutes formes de discrimination basées sur la race ou l'origine ethnique. Et à la suite des familles de George Floyd et d'autres victimes de violences policières ainsi que plus de 600 Ong, les 54 pays africains que tu qualifies de « merde » ont appelé à leur tour le Conseil des droits de l’homme de l’Onu à se saisir d’urgence du problème du racisme et de l’impunité dans ta police.

 

Ton système qui protège les bénéficiaires du privilège blanc mais discrimine un homme, une femme ou un enfant en raison de sa couleur de peau est intolérable. D’Afrique, nous te disons que  la compassion et les bonnes intentions ne suffisent plus. Il faut plus d’action pour le changement, il faut aller au-delà des sentiments  pour adopter des lois et des politiques qui s'attaquent réellement au racisme structurel et à l’impunité. Pas seulement dans ta police, mais bien au-delà. Le démantèlement du racisme systémique et des discriminations raciales concerne tous les aspects de la société, de ton système éducatif à ta politique. Nous saluons tes débuts d’efforts pour mettre fin aux abus dans tes services de police et souhaitons que les bases fondamentales de la démocratie américaine permettent aux Etats-Unis de sortir de cette crise profonde.

 

DMF

Mardi 16 Juin 2020




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