État de droit et extrémisme violent : le diagnostic et les recommandations du Forum sur la revue sécuritaire au Sahel.


Les 5 et 6 novembre dernier, la capitale du Sénégal a abrité le Forum régional de la revue sécuritaire au Sahel. Organisée par le Think Thank Afrikajom Center, en collaboration avec la Fondation Konrad Adenauer, cette rencontre qui a vu défiler des experts de la question sécuritaire, des professeurs d’Université, des représentants d’États touchés par le terrorisme, a donné lieu à des échanges instructifs sur les causes de l’extrémisme violent qui gangrène l’Afrique de l’Ouest. 

Il a été discuté des solutions et recommandations à même de permettre à cette région du monde de se départir de cette plaie qui n’a fait que retarder son développement. Et de ce conclave, est sorti un rapport de 28 pages dont la restitution est prévue ce mercredi 25 août.

En ouvrant les travaux, Alioune Tine a rappelé que les difficultés liées à un conflit asymétrique dans un environnement particulièrement hostile dû à l’immensité du désert, la présence de montagnes et de forêt, facilitent l’existence de sanctuaires pour les groupes armés terroristes. 

Dans le Sahel, il convient de souligner que les principaux groupes qui y ont pignon sur rue, sont l’État Islamique  dans le Grand Sahara et le Groupe de soutien à l'Islam et aux Musulmans (GSIM). À ces groupes, poursuit le fondateur du Think Thank Afrikajom center, s’ajoutent les milices armées intercommunautaires et les acteurs de la criminalité transnationale qui s’adonnent à toutes sortes de trafics.

Cette instabilité qui s’est installée au fil des années dans plusieurs pays sahéliens a appelé des mesures répressives de la part des États. Mais selon Ingo Badoreck, directeur régional de la Fondation Konrad Adenauer, les stratégies mises en place par les États sont parfois « à l’origine de graves violations des droits de l’Homme. »

Alioune Tine estime que « s’il y a un aspect qui est négligé, oblitéré ou subalterne, c’est bien celui qui porte sur la guerre du sens. » « Le sentiment d’exclusion et de marginalisation de franges significatives de certaines communautés, les fractures et inégalités sociales exercent consciemment ou non, tentations et attirance à l’idéologie de l’islamisme radical qui fait sens auprès des populations de ces communautés qui se sentent abandonnées par l’État », poursuit-il en relevant un « réel déficit d’État par l’absence des infrastructures et des institutions de l’État dans ces zones qui souvent manquent cruellement des besoins sociaux de base ».

Abondant dans le même sens, l’ambassadeur de l’Allemagne au Sénégal, Stephen Roken plaide pour des solutions qui vont au-delà du paradigme exclusivement militaire. Le diplomate est d’avis qu’il faut développer une approche holistique basée sur la lutte contre la pauvreté, les défis de l’environnement et la nécessaire réflexion à mener en ce qui concerne des garanties politiques.

Mais avant cela, un état des lieux qui examine les héritages précoloniaux et coloniaux et leurs effets sur la période post-coloniale est primordiale, soutient le Pr Mamadou Diouf qui s’exprimait à l’occasion du premier panel portant sur « État de droit et extrémisme violent au Mali ». Il s’agit pour l’enseignant à l’Université de Columbia, aux États-Unis, d’ouvrir le débat sur la « trajectoire de la construction des États-nations sahéliens en les confrontant avec les constructions politiques précoloniales qui ont dominé la région, les empires du Soudan médiéval, le Ghana, le Mali et le Songhaï ». 

De cette introspection, il ressort que « l’histoire de ce continent à partir de l’époque coloniale est une histoire de l’absence totale de l’État de droit » matérialisée par « une culture politique qui exclut le droit et utilise la violence ».

L’interrogation de la structure des idées, de leurs généalogies, des effets et implications qui ont soutenu le projet post-colonial de construction d’un État-nation a montré un échec qui se décline dans les extrémismes religieux, les confrontations violentes entre communautés, les interventions brutales des forces armées, polices nationales, milices de toutes sortes, les interventions. Or, c’est le quotidien du Sahel où l’insurrection djihadiste le dispute aux conflits intercommunautaires dans bien des pays. Des fléaux que les États ne parviennent pas à résoudre. Ces mêmes États qui ne semblent pas prompts à  donner une quelconque parcelle de pouvoir aux peuples. Pour le Professeur Diouf, les constitutions européennes sont nées pour contrôler le pouvoir des mandats tandis que les constitutions africaines sont constamment révisées pour élargir le territoire de l’exercice du pouvoir, le pouvoir personnel du président de la République en particulier. Cet accaparement de l’appareil de l’État par un seul homme au détriment de l’épanouissement du reste de la population peut être présenté comme l’un des facteurs incitatifs de radicalisation d’ordre politique.

À l’occasion de son exposé, le Dr Bakary Sambe de Timbuktu Institute a ajouté la malgouvernance, l’impunité de certains acteurs qui ont commis des crimes graves, l’insuffisance des services sociaux de base, des promesses non-tenues des dirigeants politiques, de la gestion contestée des ressources publiques, du déni de justice pour ne citer que ces aspects. Mais il n’y pas que ces facteurs. Le fondateur de Timbuktu Institute identifie d’autres « liés à la perception de la sincérité du discours des leaders extrémistes, aux réseaux sociaux et aux dynamiques de groupe, aux offres alléchantes pour les jeunes désœuvrés, au sentiment de défense d’une cause juste. »

C’est à travers cette brèche que des groupes comme l’État Islamique dans le Grand Sahara et le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans ont pu recruter. Mieux, selon Mouhamadou Savadogo, spécialiste de l'extrémisme violent au Sahel, « les groupes extrémistes ont acquis les zones rurales à leur cause en profitant de l’absentéisme de l’État, de la mauvaise gouvernance, des exactions perpétrées sur les populations, des conflits et tensions locaux et des frustrations des populations.  » Dans un tel climat, le respect des droits humains devient difficile, voire un exercice impossible pour les protagonistes. Mais les principaux perdants sont les populations qui, à en croire le Dr Savadogo qui a fait sa présentation lors du Panel 2 sur « Les réponses institutionnelles des pays du Sahel : limites et perspectives », « sont prises entre deux feux : d’un côté les violences armées des milices communautaires et de l’autre les forces de défense et de sécurité (FDS) ». Depuis le début de l’année, des centaines de civils ont été tués dans la région des trois  frontières (Mali, Burkina Faso et Niger) par des groupes terroristes armés qui leur reprochent leur proximité avec les États. Lesquels États dont la sécurité devient de plus en plus l’affaire d’autres États ou de la communauté internationale.

Seulement, cette implication s’est avérée dans le cas du Mali peu satisfaisante malgré une dizaine de milliers d’hommes et de femmes mobilisés par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Fatou Dieng Thiam précise que le mandat de la Minusma est une opération de maintien de la paix et non une force anti-terroriste. Cette mission se caractérise par « la protection des populations civiles par des opérations ajustées en fonction des contextes et des objectifs », « la cohésion sociale et la réconciliation, par son programme de soutien aux accords de paix locaux » entre autres. Cependant l’action de la Minusma rencontre quelques limites du fait de « la faiblesse et l’impréparation des États aux défis de l’extrémisme violent et les limites des actions visant à tarir le financement des groupes extrémistes ». Il s’y ajoute selon l’ancien chef du bureau de la Minusma « des fractures entre les populations civiles victimes des violences et les forces de défense et de sécurité ». Selon Fatou Dieng Thiam, « restaurer cette confiance constitue un énorme défi ».  Ce qui nous ramène une nouvelle fois à la nécessité du retour de l’État de droit et du respect des droits humains pour une réponse plus efficace à l’extrémisme violent. Or, le Professeur Ngouda Mboup a constaté que « les droits de l’homme sont compromis dans la lutte contre l’extrémisme violent ». Aussi envisage-t-il que la justice soit le dernier rempart de protection des droits de l’homme dans la lutte contre l’impunité et l’extrémisme violent. Pourtant, au Mali, des efforts ont été consentis pour améliorer le cadre législatif et institutionnel, comme l’a rappelé le procureur Général de la région de Mopti, Adama Fomba.

Outre les modifications de la loi pénale portant sur des questions relatives à l’extrémisme, le magistrat malien a fait part des décisions rendues par les juridictions habilitées. Pour mieux appréhender le phénomène de la criminalité transfrontalière, le Mali s’est doté d’un pôle spécialisé de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale. Des efforts salutaires mais qui n’en demeurent pas moins insuffisants pour faire face à la complexité de cette nouvelle menace.

Pour sa part, Nana Aïcha Cissé, coordonnatrice de la Plateforme des Femmes du G5 Sahel, a dirigé son intervention vers « l’implication des femmes dans la pacification d'un espace caractérisé par des crises multiformes qui affectent le développement économique et la stabilité politique des pays ». Elle est convaincue que la gente féminine peut être la source d’une paix durable et d’une victoire sur les groupes terroristes. Ce, à travers les « initiatives de développement qu’elles impulsent ». Dans cette construction de la paix, le rôle des médias est tout aussi crucial.

Au terme des discussions et des travaux de groupe de ce forum, des recommandations ont été formulées. La première consiste à dépasser le concept répressif de sécurité conçu comme une activité exclusivement militaire et de recourir à une approche basée sur la sécurité humaine, plus holistique et plus globale englobant tous les droits fondamentaux et mettant la priorité sur la protection humaine et des populations civiles. Le forum propose de « réexaminer les causes politiques, économiques, sociales de la faillite de l’État de droit » et de « lutter contre l’extrémisme violent tout en respectant les droits de l’homme ». Les États devraient aussi réfléchir sur des «  stratégies endogènes » en repensant l’État post-colonial et la politique. Dans cette recherche de solution, le dialogue avec certains éléments extrémistes doit être pris en compte dans la mesure où pour les participants « les  groupes extrémistes violents sont segmentés ». « Les éléments à niveau de la base, des échelons intermédiaires et du leadership ne poursuivent pas nécessairement les mêmes intérêts. Cela rend possible des discussions à différents niveaux », diagnostiquent-ils.
Mercredi 25 Août 2021




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