Entretien avec Ibrahima Bakhoum, journaliste formateur et analyste politique : « Traques des biens mal acquis contre Karim Wade... L’avenir politique d’Oumar Sarr et autres... L’histoire du Pds et ses départs »

La décision de création d’un parti politique par l’ancien secrétaire national adjoint du Pds et les dignitaires du parti qui l’ont suivi, suscite analyses et beaucoup d’interrogations sur leur avenir politique. Selon le journaliste et observateur patenté de la scène politique sénégalaise, Ibrahima Bakhoum, le Pds est coutumier de défections sous toutes les formes avant l’accession au pouvoir mais aussi après la chute de Wade. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il a évoqué les conséquences de ces départs et surtout le dernier pion de Wade, en l’occurrence son propre fils, Karim Wade, pour reprendre le flambeau du parti après les innombrables déceptions qu’il a vécues avec ses lieutenants.


Les départs qui ont été suscités de l’extérieur ou volontairement… n’ont jamais réussi à déstabiliser le Pds

 

Ce qui est nouveau dans cette défection, c’est qu’ils ont donné un nom à quelque chose qui a existé déjà. Dans l’actualité, ils ont décidé de créer un parti politique. Si vous interrogé l’histoire, vous vous rendrez compte que les partis politiques au Sénégal ont toujours vécu ces scénarios et le Pds en particulier. Du Pds est né le Pds/R, du Pds est né le Bcg, du Pds est né le parti de Ousmane Ngom, le Pls… il y a eu beaucoup de départs et de scissions. C’est l’histoire du Pds. Maintenant, il y a le Pds opposition dure attaqué sur ses flancs par le Ps à l’époque pour créer des scissions et c’était l’opposant Wade qui était là, l’homme populaire, l’homme charismatique. Donc tous les départs qui ont été suscités de l’extérieur ou volontairement créé par des gens qui n’étaient pas d’accord, ceux-là n’ont jamais réussi à déstabiliser le Pds. C’est avant l’arrivée du pouvoir de Wade.

 

Arrivé au pouvoir, certains qui sont partis sont rapidement revenus

 

Quand il est arrivé au pouvoir, certains qui étaient  partis sont rapidement revenus. C’est l’attraction du pouvoir qui le fait. Du pouvoir pas en tant qu’institution mais du pouvoir en tant que source de revenu, moyen d’enrichissement, moyen de stabilité sociale. Ils sont repartis quasi-immédiatement après la perte du pouvoir.

 

Est-ce que la même réalité qu’en 2000 existe ?

 

Maintenant les départs post-pouvoir avec le nouveau Pds, le nouveau Wade a-t-il les possibilités, les moyens de revenir ? Est-ce que la même réalité qu’en 2000 existe ? On peut considérer que ce n’est pas le même Pds parce qu’il n’y a plus ce personnage charismatique pour garder les troupes. En face, il y a un pouvoir qui connaissait la maison du Pds de l’intérieur. Ceux-ci sont partis dans un contexte où le Pds ne peut plus avoir Abdoulaye Wade comme président. Mais il est en train de travailler avec Karim son fils. Les mêmes qui travaillaient dans la communication pour Karim sont eux qui sont partis aujourd’hui, certains entre eux sont partis.

 

J’aurai accepté qu’ils brandissent la dynastie que de parler de dévolution monarchique

 

C’est un tel qui a parlé sur la place publique de dévolution monarchique et ce tel est une voix qui compte, donc tout le monde a suivi sans pour autant analyser au fond la quintessence des concepts. J’aurai accepté qu’ils parlent de dynastie plutôt que  de dévolution monarchique. Alors parfois c’est du n’importe quoi. Il n’y a pas de dévolution, ils auraient pu dire à la limite la dynastie Wade. Monarchie, ce n’est pas possible. Dans cette affaire-ci il faut dire que Wade a promu beaucoup de personnes qui sont parties par la suite (Idrissa Seck, Macky Sall…). Je vois qu’il a le droit de dire que le dernier à me trahir c’est peut-être Karim Wade. Maintenant est-ce qu’on peut emprunter le mot trahison avec tout le monde ? Parce que certains diront qu’on n’a pas trahi, d’autres diront qu’on a été exclu et d’autres diront qu’on n’a pas été d’accord et on est parti puisqu’il n’il n’y a pas de démocratie interne.

 

Sauf que ceux qui critiquaient les partis d’alors parce brandissant l’inexistence de la démocratie, ceux qui étaient leurs contempteurs, c’est-à-dire ceux qui les critiquaient, sont aujourd’hui en train de tenir le même discours. Ça c’est l’histoire de turbulence de la politique au Sénégal, mais surtout à l’intérieur du Pds si bien que l’avenir politique d’Oumar Sarr et sa clique mérite une réflexion.

 

Macky Sall a travaillé pour déstabiliser le Pds ce qui était sa promesse depuis

 

Je ne vais pas faire de la météo-politique, mais l’analyse que j’ai de mon expérience, c’est que certains ont quitté puis sont revenus. Babacar Gaye, Me El Hadj Amadou Sall, Oumar Sarr, leur avenir politique va dépendre de ce qu’ils peuvent avoir maintenant. Sinon attendre 2024 pour mobiliser et se présenter. Ça sera difficile. Le temps est cours. Il faut se positionner pour les locales et législatives et pouvoir se positionner pour la présidentielle. Le contexte c’est que Macky Sall a travaillé pour déstabiliser le Pds ce qui était sa promesse depuis le départ. 

 

Chaque fois qu’il décroche un élément, les mêmes personnes se sont retrouvées impopulaires. Ça c’est le problème du Pds. Beaucoup de gens ont été créées du point de vue de leur image, du point de vue de leur charisme par Wade. Beaucoup d’entre eux ont été éclairés par la lumière Wade et chaque fois qu’ils s’en sont éloignés, il n’y a plus de lumière pour eux. Ils sont obligés de chercher à se réfugier ailleurs. Est-ce ça sera la même chose, je ne suis pas certain. Ils ont de l’expérience politique, ils sont politiquement très cultivés. Mais tout n’est pas d’être politiquement cultivé au Sénégal, d’autant plus qu’il n’y a plus d’idéologie, il n’y a plus de doctrine politique. En attendant, donnons-nous un an pour voir ce qu’ils peuvent représenter.

 

Le pouvoir s’est trompé dans la succession de l’après-Wade en allant faire cette histoire de traque des biens mal acquis

 

Nous sommes dans une situation difficile. Ce n’est pas la première fois que ça arrive au Pds. Mais c’est différent parce qu’avant c’était le Pds de Wade pas encore au pouvoir et maintenant c’est le Wade post-pouvoir avec qui les gens n’ont pas beaucoup de choses à attendre. Mais il y a Karim qu’on est en train d’aider à prendre le parti. Le pouvoir s’est trompé dans la succession de l’après-Wade en allant faire cette histoire de traque des biens mal acquis. Ça créé un Karim devenu populaire. 

 

Un Karim visible. Un Karim qui a fini par faire peur au pouvoir contre lequel il y a eu des mesures qui ont été prises de manière légale ou illégale, je ne peux pas entrer dans cette discussion. Mais ce que j’en pense, c’était très clair. C’était de la politique politicienne. Mais peu importe. Le résultat est là. Les faits sont là. Ils l’ont isolé et sont en train de faire monter d’autres voix. Est-ce que ces voix vont réussir à couvrir celle  Karim ? Je ne sais pas. Si tel que le pays est en train de marcher, Macky Sall se retrouvera obligé de faire certaines concessions, lâcher du lest. Dans un cas ou l’autre, si ça trouve un Karim qui revient au Sénégal et participe au jeu politique, ça va être très dangereux, ça va être très compliqué pour Oumar Sarr et compagnie. 

 

Maintenant, c’est en ce moment qu’on dira que oui, le Pds a une nouvelle vie comme il en eut à plusieurs fois. Mais cette fois ça sera différent. Ça sera une nouvelle vie pas avec Wade Abdoulaye mais Wade Karim. Sa mission sera de redorer le blason du Pds...

Mercredi 15 Juillet 2020




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