Entretien avec Bah Oury, président de l’UDRG : « Pourquoi j'ai renoncé à ma candidature à la présidentielle guinéenne »

Le président de l’Union des démocrates pour la Renaissance de la Guinée est à Dakar depuis quelques jours. Un séjour que Bah Oury met dans l’ordre normal des choses, même s'il est de notoriété publique que son domicile à Conakry a fait l'objet d’une descente inopinée de bérets rouges. Interviewé par Dakaractu, l'homme politique guinéen minimise cet incident qui n'en est pas moins une tentative d'intimidation de « quelqu'un de gênant », nous confie l'ancien compagnon de lutte de Cellou Dalein Diallo. Engagé dans la lutte contre la troisième candidature du président Alpha Condé, Bah Oury estime que rien n'est encore perdu. Cependant, il est d'avis que prendre part à la présidentielle du 18 octobre prochain, c’est donner carte blanche au président sortant dans ses manœuvres pour se maintenir au pouvoir. L’ancien vice-président de l’UFDG demande aux leaders de l'opposition qui ont décidé de participer au scrutin d'assumer toutes leurs responsabilités au soir de la proclamation des résultats. L'opposant guinéen s'est prononcé sur la position de la CEDEAO sur le processus électoral, la relation entre la Guinée et le Sénégal mais aussi sur la fermeture des frontières. La récente sortie du président Condé sur France24 n’a pas été passée sous silence. Bah Oury a répondu à nos questions, sans faux fuyant. ENTRETIEN...


Dakaractu : Monsieur Bah Oury, vous séjournez à Dakar depuis quelques jours. Quel cachet faut-il donner à ce séjour ?

Bah Oury
 : Vous savez je suis aussi sénégalais que guinéen, j’ai grandi au Sénégal, j'ai des amitiés fortes et depuis un certain temps, j’ai eu des activités politiques d’une certaine intensité. Le contexte est favorable à ce que je prenne un peu le large et j'en ai profité pour passer quelques jours à Dakar pour me ressourcer, rencontrer mes amis et essayer de voir l'évolution politique de la Guinée avec un peu plus de distance. C’est l’une des raisons qui expliquent mon séjour au Sénégal dans moins de 48 heures, je continuerai pour aller en France.

Peut-on dire que vous êtes en exil après que votre domicile en Guinée a fait l’objet d’une descente de bérets rouges ?

Je suis habitué à ce genre de visite inopinée, s’ils veulent garder mon domicile pour que la sécurité y soit assurée, je les en remercie par avance.

Exactement, les raisons de cette visite vous-ont-il été notifiées ?

Le ministre de la Défense a indiqué qu’ils ne sont pas au courant de cette visite inopinée dans mon domicile. De toutes les façons, on sait d’où ça vient. Ce sont des manœuvres dilatoires pour tenter d’intimider quelqu’un de gênant dans un contexte où la situation politique est délétère.

Vous vous êtes opposé à la troisième candidature d’Alpha Condé. La Cour constitutionnelle a validé sa participation à la présidentielle du 18 octobre. N’est-ce pas un échec pour vous ?

Non ce n'est pas un échec. Cela veut dire que le combat continue. Depuis l’indépendance, la Guinée est à la quête d’une Alternance démocratique apaisée. Jusqu'à présent, nous ne sommes pas parvenus à l'avoir. Il y a eu un espoir que le président Condé serait celui qui pourrait mettre en œuvre une dynamique d'alternance démocratique apaisée. Malheureusement, il est tombé dans le piège du révisionnisme qui fait qu'il a détricoté les lois de la République pour lui permettre de briguer une troisième candidature. Et tout cela dans un contexte d’utilisation excessive de la violence contre les populations civiles, mais il est tombé dans le piège.

Après votre départ de l’UFDG, vous avez annoncé votre candidature à la présidentielle sous les couleurs d'un autre parti. Pourquoi avez-vous fait machine arrière ?

Ce qui est important dans le champ politique, il faut faire prévaloir les questions d'éthique et d’intérêt  national. On ne peut pas participer à un processus où les lois qui devraient conforter la solidité des institutions sont mises de côté au profit d’aventure permettant de pérenniser un système politique. L'utilisation excessive de la violence contre les populations qui ont refusé ce genre de processus a été telle que participer à ces élections, ce serait renier le combat qui a été fait et cracher sur la mémoire de toutes ces personnes tombées au cours de ces mouvements de protestation.

Selon vous, les leaders de l'opposition qui participent à ce processus électoral ont une lecture biaisée de la situation ?

S’ils estiment que la seule alternative qui s'offre à eux c’est de participer à un scrutin déjà tronqué, libre à eux de le faire. Mais par la suite de grâce, au lendemain de la proclamation des résultats, qu'ils ne viennent pas pour créer des problèmes ou enclencher des mouvements de protestation sachant pertinemment que dans le contexte actuel, la manière que les choses sont organisées, il est illusoire de penser que Alpha Condé avec tout ce qu’il a fait, accepterait de voir quelqu'un d'autre déclaré vainqueur.

Des émissaires de la CEDEAO ont déclaré que la question du troisième mandat est dépassée. Comment l'avez-vous apprécié ?

J’avoue que j’ai été très choqué parce que l’institution régionale a pour mission de prévenir les conflits. De faire en sorte que les normes constitutionnelles et les normes juridiques de l'espace CEDEAO confortent les fondamentaux de l’État de droit. La nécessité d’avoir des alternances démocratiques paisibles, l’organisation de manière transparente et équitable d’élections pluralistes. Mais en agissant comme ça, c’est une négation de tous les combats qui ont été faits depuis les années 90 en faisant en sorte que le droit prime sur la force. C’est regrettable et c’est inquiétant pour l'avenir et la stabilité de l’espace CEDEAO.

Vous êtes à Dakar. Il y a quelques jours, votre ancien camarade de parti Cellou Dalein Diallo séjournait au Sénégal. Ce ballet d’hommes politiques hostiles à Alpha Condé ne risque-t-il de jeter un froid sur les relations diplomatiques entre les deux pays ?  

Je ne pense pas que cela soit le cas d’autant plus qu’Alpha Condé aussi a des amitiés solides et fortes ici au Sénégal. Le Sénégal pour la Guinée le second poumon pour nous autres…les relations sont anciennes. Personnellement, j'ai fait mes études ici. Je suis aussi sénégalais que guinéen. En ne parlant que pour moi-même, je peux dire que j’ai une concession à Diourbel. Donc, je suis chez moi ici. Pour rien au monde, je ne détournerai mon regard et mon attention de Dakar parce que je me sens très bien ici. Le ballet dont vous faites allusion renforce les relations traditionnelles, amicales et fraternelles entre le peuple sénégalais et le peuple guinéen.

A l'heure actuelle, toutes les conditions sont-elles réunies pour permettre aux Guinéens du Sénégal d'accomplir leur devoir civique ?

Par rapport aux conditions requises pour avoir une bonne élection, la question du fichier électoral est un élément fondamental. Et malheureusement la communauté guinéenne du Sénégal a été exclue de la possibilité d’être recensée et de pouvoir jouir de leur citoyenneté en tant que guinéens. Les guinéens du Sénégal ne participent pas au vote pour la première fois depuis que le multipartisme a été érigé en politique officielle. Ce sont ces genres de problèmes qui font que  participer à un processus électoral où une bonne partie de la population est mise de côté, ça confortera cette dynamique d’exclure une partie des citoyens au profit d'autres catégories. Par ce biais-là, le processus d’inclusion n’est pas assuré et ça ne peut que générer des frustrations et des conflits potentiels pour l’avenir. C’est pour cette raison qu'il faut stopper cela en marquant de manière nette et claire notre refus de valider un processus qui va nous créer à l’avenir d'autres problèmes.

Comment jugez-vous la fermeture des frontières avec le Sénégal à quelques jours du scrutin ?

Depuis très longtemps, ça a été le réflexe des gouvernants. Dès qu’il y a un hic entre les deux capitales, la première réaction, c’est la fermeture des frontières. Mais je crois savoir que peu ou prou, les racontars disent qu’ils veulent éviter la circulation des  armes ou la circulation de personnes susceptibles d’être des éléments pouvant troubler l’ordre public. C’est la version officieuse qui circule dans les milieux politique. Mais en réalité, c’est une manière ostentatoire de montrer la défiance du pouvoir de Conakry vis-à-vis des capitales comme Dakar, Bissau et Freetown. Il ne faut pas accorder trop d'importance à cela, c’est vrai que ça impacte les trafics économiques entre les deux pays. Des personnes qui n'ont rien à voir avec ces compétitions électorales en sont victimes. Je pense que la Guinée signataire des traités de la CEDEAO ne devrait pas sur un coup de tête fermer des frontières comme ça sans pour autant respecter des procédures qui devraient être validées par une instance supranationale. Tout cela nécessite de repenser la CEDEAO et de revoir le fonctionnement et la gouvernance de certains États vis-à-vis de la liberté qu’ils s’accordent pour ne pas respecter leurs obligations de coopération.

Dans un entretien avec France 24, le président Alpha Condé a assuré être un démocrate et non un dictateur. Comment le présenteriez-vous ?

Lorsqu'un président de la République déclare dans le journal Le Monde comme quoi, ailleurs ils ont tué mais ça ne leur a empêché de faire ce qu'ils ont voulu, en ce qui concerne les changements constitutionnels. En d'autres termes, cela veut dire qu’en Guinée aussi, y aura des tueries mais cela n’empêchera pas de faire ce qu'ils veulent. Tout cela résume de manière brute la position et le tempérament d’Alpha Condé vis-à-vis de son propre peuple. Lorsque vous avez près de 90 personnes entre octobre 2019 et maintenant tuées dans le cadre de manifestations pacifiques pour s'opposer à ce changement anticonstitutionnel, les faits parlent d'eux-mêmes. C’est dommage ! Quelqu'un qui était apparu par le passé comme étant le chantre du panafricanisme, de la lutte pour l’Indépendance, de la lutte anti-impérialiste dans le cadre du mouvement estudiantin, se comporte ainsi, c’est critiquable. Je dois même dire que des intellectuels de renom, je salue la mémoire de feu Babacar Touré qui s’était rendu à Conakry au mois de février dernier pour tenter de dissuader Alpha Condé d'aller dans cette direction et lui dire qu'il est le symbole pour une génération. Et que pour rien au monde, il ne devrait donner une image anti-démocratique à cette génération. Mais malheureusement, il a été dans cette direction au grand dam de beaucoup de personnes de sa génération qui se disent que leur symbole a été éclaboussé par l’attitude du président guinéen.
Mercredi 7 Octobre 2020




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