Eliminé par l’armée française au Mali : Yahia Djouadi était-il un gros morceau ?


Eliminé par l’armée française au Mali : Yahia Djouadi était-il un gros morceau ?
Le 7 mars dernier, l’armée française a annoncé la mort de Yahia Djouadi. Abou Amar al Jazairi a été tué dans la nuit du 25 au 26 février dans le nord du Mali, à environ 100 kilomètres au nord de Tombouctou. L'État major français présente l’opération ayant permis de mettre hors d’état de nuire ce vétéran du jihad algérien comme un « succès tactique pour la force Barkhane qui reste déterminée à poursuivre le combat contre les groupes armés terroristes, avec ses alliés sahéliens européens et nord-américains ». Mais Abou Amar al Jazairi était-il si important dans l’échiquier du jihad sahélien ? Le verdict dépend du parcours du défunt.

Né à Sidi Belabbès ou Sidi Bel Abbès, dans l’ouest algérien, Yahia Djouadi a intégré le Groupe islamique armé vers 1994. Cette organisation est connue pour sa brutalité lors de la décennie noire en Algérie. C’est d’ailleurs à cause des massacres dont s’était rendu coupable ce groupe qu’Abou Amar va le quitter vers 1997-1998. Selon Lemine Ould Mohamed Salam, « il fonde alors son propre mouvement armé sous le nom de Groupe salafiste combattant (Al Jamaa al Salafiya al Qitaliya) ». À cet effet, il devient un allié du Groupe salafiste pour la prédication et le combat né d’une scission du GIA.

Selon l’un des meilleurs spécialistes des groupes djihadistes gravitant dans la bande saharo-sahélienne, Yahia Djouadi finit par rejoindre le GSPC en 2002 et devient dans la foulée un proche d’Abdelmalek Droukdel, alors émir du groupe. C’est dans cet esprit qu’il est nommé, vers 2006-2007, émir de la Wilaya qui englobe le sud algérien, le Grand Sahara et le Sahel, lorsque le GSPC est devenu Al Qaïda au Maghreb Islamique. En 2008, il prend part à l'attaque de la base de l'armée mauritanienne à Tourine menée par Aqmi.

Mais à en croire Lemine Ould Salem, « une des principales missions » du nouvel émir du Sahara, « était de régler le conflit entre Abdelhamid Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar. Ces deux djihadistes algériens avaient sous leurs responsabilités les deux commandements saharo-sahéliens s’étendant du sud tunisien au nord Mali, en passant par la Mauritanie. Avec des façons de faire différentes. « Par exemple, Abou Zeid, en pur jihadiste, n’hésite pas à exécuter ses otages, alors que Belmokhtar finit par les libérer », écrit Christian Bernard dans sa note « Genèse et caractéristiques d’AQMI : Al Qaida au Maghreb Islamique ».

Ayant échoué la mission à lui assignée, Djouadi est remplacé en 2011 par Nabil Makhloufi alias Abou Alqama. Ce dernier trouve la mort dans un accident de la route en 2012, poursuit Lemine Ould Salem. Alors que Makhloufi est remplacé par Yahia Ould el Hammam, un autre algérien, Djouadi est envoyé en Libye pour implanter une filiale d’AQMI dans ce pays qui vient de perdre son guide. Entre temps, au Sahel, AQMI parraine la naissance du JNIM ou Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) sous la direction du touareg Iyad Ag Ghali. Abou Amar retourne au Mali vers 2018-2019 pour vraisemblablement s’installer dans la région de Tombouctou.

Au regard de ce parcours, la mort de Yahia Djouadi peut-elle donner l’air d’une grande perte pour les groupes djihadistes proches d’Al Qaida ? Pour l’état-major des armées françaises, la réponse coule de source. Il est présenté comme un relais majeur au nord du Mali et dans la zone de Tombouctou en particulier. De son coté, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM), principale fédération des groupes djihadistes sahéliens affiliés à Aqmi ressentira-il les contrecoups de la neutralisation d’Abou Amar ? Il est très tôt pour pouvoir répondre à cette question mais avant lui, d’autres gros calibres ont été éliminés sans qu’il y ait un impact réel sur l’insurrection djihadiste au Sahel.

En 2018, l’armée française a tué Yahia Abou el Hammam, alors chef de l’Émirat du Sahara qui fait office de représentation d’AQMI dans le GSIM. En juin 2020 Abdelmalek Droukdel, émir d'Aqmi, a connu le même sort.

Une semaine après la mort d’Abou Amar dans le septentrion malien, le GSIM a mené une attaque d’envergure à Mondoro, dans le cercle de Douentza (région de Mopti) contre une garnison de l’armée malienne. Le communiqué de l’état-major des Fama a reconnu la perte de 27 hommes et affirme avoir neutralisé plus de 40 terroristes. C’est l’un des plus meurtriers assauts djihadistes depuis plusieurs mois. Une preuve s’il en était besoin que la stratégie de l’élimination des chefs djihadistes n’est pas la plus efficace.
Jeudi 10 Mars 2022




Dans la même rubrique :