(Dossier) Sénégal : Voix discordantes autour de l’avortement médicalisé en cas de viol ou d’inceste

L'avortement médicalisé a dernièrement fait couler beaucoup d'encre et de salive. Il prend de l'ampleur et est à l'origine d'un combat sans fin entre féministes, religieux et associations pour la protection des valeurs. Les langues se sont déliées et les avis convergent et divergent.


Au Sénégal, le viol a fini d’occuper le quotidien de beaucoup de filles qui, en plus de ce drame, sont soumises à la loi du silence. Le plus dur, c’est qu’elles peuvent contracter une grossesse au terme de cette épreuve douloureuse.

Aïssatou est l’une d’elle. Âgée de 14 ans, elle a dû abandonner ses études en classe de CM1 en raison d’une grossesse. Son bourreau, âgé de plus de 20 ans et marié, attendait qu’elle soit dans les bras de Morphée pour passer à l’acte. « Modou » escaladait le mur de la maison de sa victime pour sa sale besogne. Aïssatou se rappelle : « Il m'a violée deux fois. Chaque nuit, il entre chez nous en sautant par-dessus le mur et entre dans notre chambre. Il me droguait pour me violer. Nous avons beaucoup souffert, ma mère et moi.  Je ne pouvais plus supporter la grossesse ». Son calvaire était d’autant plus insupportable qu’elle était dans l’impossibilité d'empêcher l'arrivée de ce bébé.

Le code pénal sénégalais dispose que « Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violences, ou par tout autre moyen, aura procuré ou tenté de procurer l'avortement d'une femme enceinte, qu'elle y ait consenti ou non, sera puni d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de 20.000 à 100.000 francs ». Comme à l’impossible nul n’est tenu, Aïssatou, malgré son jeune âge, était obligée de mener à terme sa grossesse,  même si elle a donné naissance à une fille un peu plus tôt que prévu. Ce qui remet au goût du jour le débat sur l’avortement médicalisé.

Comme l’explique la sage-femme d’État Dieynaba Barry que nous avons trouvée au district de santé de Pikine, les avortements peuvent revêtir différentes formes. « Il y a ce qu’on appelle l’avortement spontané, l’avortement thérapeutique et l’avortement médicalisé », renseigne la technicienne de santé.

Pour la « Task Force », une organisation regroupant des journalistes, des féministes et des ONG qui défendent les droits des femmes, les victimes de viol et d’inceste doivent avoir le choix entre poursuivre leur grossesse et d’y mettre un terme. Cet ensemble qui multiplie les campagnes de sensibilisation, estime que les victimes ne devraient pas avoir à supporter une nouvelle souffrance que représentent « une grossesse non désirée et la cohabitation avec un enfant avec qui on partage le même père ».

Interviewées par Dakaractu pour ce dossier consacré à l’avortement médicalisé, Jaly Badiane, Féministe et Eva Rassoul Frieda NGO ont défendu tout haut le « bien-fondé » de cette campagne. Selon ces deux féministes qui s'assument, il s’agit de rendre aux victimes ce qu’il revient de droit, c’est-à-dire de « choisir ».

Ce combat n'est pas gagné d’avance puisqu’en face, il y a le camp des religieux tout aussi déterminé représenté par « Aand Samm jikko » auquel appartient Oustaz Makhtar Sarr. Trouvé à la conférence de presse de ce collectif pour la défense des valeurs culturelles et religieuses du Sénégal, le maitre coranique marque toute son opposition à l’adoption d’une loi pour les victimes de viol et d’inceste. Pour le prêcheur, si une telle loi est adoptée au Sénégal, ce sera la porte ouverte à tous les excès. Même son de cloche au sein de l’Église catholique.

Père Stephan de la Congrégation du Saint-Esprit soutient qu’il n’est pas acceptable qu’une vie soit ôtée sous quelque prétexte que ce soit.

Sans être un partisan radical de l’adoption de la loi sur l’avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste, Oustaz Moussa Fall que Dakaractu a joint par téléphone semble favorable à la prise en compte des cas de force majeure. Le viol et l’inceste en font partie. La réponse d’Oustaz Makhtar Sarr ne s’est pas fait attendre. Le prêcheur rappelle que la majorité des sénégalais ont pour référence le rite malikite qui devrait, à son avis, être privilégié sur les autres dans ce cas de figure.

Le religieux catholique plaide pour sa part en faveur de la prise en charge des enfants issus de viol ou d’inceste par des maisons d’accueil. Le vice-président de l’ONG Jamra, Mame Makhtar Guèye, arbore le même discours.

Mais pour les organisations féministes, ce n’est pas la solution. Elles  promettent de battre le pavé pour que la loi soit adoptée par l’Assemblée nationale. Leurs interlocuteurs, précisent-elles, ce sont les députés qui seront sensibilisés à cet effet.

Sur leur chemin, elles auront sans doute le collectif « Aand Samm Jikko yi » qui assure qu’il fera les mêmes efforts pour éviter l’adoption d’une loi pareille. Ce qui veut dire que cette histoire est loin d’être à son épilogue.

En attendant la décision des autorités étatiques, l’interruption volontaire de grossesse continue d’être pratiquée en clandestinité. « Malgré la législation fortement restrictive du pays, 51 500 avortements ont été provoqués au Sénégal en 2012, selon les estimations, soit un taux de 17 avortements pour 1 000 femmes âgées de 15 à 44 ans. La plupart des avortements ont été pratiqués clandestinement et dans des environnements non médicalisés », révèle Guttmacher Institute dans une fiche d’information publiée en avril 2015.
Mercredi 15 Septembre 2021




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