Déclaration de patrimoine : Les limites de la loi et les 7 fortes recommandations du Forum Civil qui légitiment une réforme des textes.

Au Sénégal, il a été engagé la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite. Pour ce faire, il a été mis en place, des instruments juridiques, des mécanismes tendant à contenir ce fléau à l’image de la loi n°2014-17 du 2 avril 2014. Des textes juridiques relatifs à la déclaration de patrimoine ont été ainsi adoptés pour rendre opérationnelle la mission de prévention et de lutte contre la fraude, la corruption, les pratiques assimilées et les infractions connexes, assignée à l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac).
Le Forum Civil, dans un rapport parcouru par Dakaractu, a dénombré 7 recommandations majeures qui légitiment la révision de la loi portant Déclaration de patrimoine.


Sept (7) ans après l’adoption desdits textes juridiques, le Forum Civil qui a initié une étude sur la mise en œuvre de cette loi sur la déclaration de patrimoine au Sénégal, a relevé une poignée de manquements. Cette situation a engendré le listing de 7 recommandations majeures, à l’issue de cette étude réalisée sous la direction du Pr Abdou Aziz Dabakh Kébé, maître de Conférences Agrégé de droit public à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Chef du Département de Droit public et Directeur du Centre d’études et de recherches sur l’ingénierie juridique et financière (Cerif) a été finalisée en février 2020 et actualisée en décembre 2021.
 
En effet, dans le résumé exécutif signé par Birahime Seck, Coordonnateur général du Forum Civil, l’élargissement du champ d'application de la déclaration de patrimoine en augmentant le nombre d'assujettis, trône en première position. À ce niveau, il est relevé la nécessité d’ajouter le président du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct) dans la liste des assujettis qui compte entre autres, le président de l’Assemblée nationale, le Premier Questeur de l’Assemblée nationale; le Premier ministre et les ministres; le président du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Cela, d’autant que le Hcct est une assemblée consultative qui a pour mission d’étudier et de donner un avis motivé sur les politiques de décentralisation, d’aménagement et de développement du territoire. Il est, en vertu de la loi constitutionnelle n°2016-10 du 05 avril 2016, la quatrième institution de la République. En outre, sur la liste des autorités assujetties, en vertu du critère institutionnel, à la déclaration de patrimoine, on doit y inscrire les Présidents des autres institutions.


L’extension du patrimoine déclaré englobant les biens du conjoint et ceux des ascendants au 1° et les intérêts de l'assujetti, est la seconde recommandation faite par le Forum Civil. Si les autorités assujetties, en vertu de l’article 2, à la déclaration de patrimoine s’y acquittent en fournissant des informations relatives aux biens et actifs qu’ils détiennent directement ou indirectement. Il se trouve que, l’étude menée a relevé l’absence de déclaration d’intérêts de l’assujetti et des biens de son conjoint et de ses ascendants. 
 
‘’Les limites des dispositions constitutionnelles qui régissent le régime de déclaration de patrimoine du Président de la République’’
 
Le Forum Civil, à la lumière de la loi sur la déclaration de patrimoine, a estimé que ‘’les assujettis doivent, dans les trois (03) mois qui suivent leur nomination, formuler une déclaration certifiée sur l’honneur, exacte et sincère (…), des biens de la communauté ou les biens réputés indivis en application de l’article 380 du Code de la famille. En dehors de cette hypothèse, le/la conjoint (e) et les ascendants de premier degré de l’assujetti ne font pas une déclaration. La loi sur la déclaration de patrimoine n’est pas conforme, sur ce point, au protocole de la Cedeao sur la lutte contre la corruption’’. 
 
À en croire Birahime Seck et ses collaborateurs, ‘’les règles de déclaration de revenus doivent s’étendre au moins à leurs conjoints, à leurs enfants et aux personnes qui sont à leur charge’’. Cette exigence communautaire est fondamentale dans la mesure où le patrimoine du conjoint de l’assujetti ou ceux des enfants qu'il a en charge peuvent être des moyens de dissimulation d’une partie de sa fortune. En outre, le système sénégalais de déclaration de patrimoine n’est pas accompagné d’un mécanisme de déclaration d’intérêts. Or, il est de plus en plus noté une sorte d’imbrication entre gestion publique et gestion privée génératrice de conflits d’intérêts’’. 
 
Pour éviter une telle situation, le Forum civil juge qu’il est impératif d’instituer, à côté de la déclaration de patrimoine, une déclaration d’intérêts. 

La troisième recommandation porte sur la réforme du régime juridique de la déclaration de patrimoine du Président de la République. Dans cette partie, le Pr Kébé et ses collaborateurs ont expliqué pourquoi il était important d’apporter ladite réforme. En effet, dans l’article 37 de la Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001 qui fixe le régime juridique de la déclaration de patrimoine du Président de la République, il est retenu que ‘’le Président de la République, nouvellement élu, fait une déclaration écrite de patrimoine déposée au Conseil constitutionnel qui la rend publique’’. Le Forum Civil, dans son étude a débusqué deux limites dans ces dispositions constitutionnelles qui régissent le régime de déclaration de patrimoine du Président de la République. 
 
La première limite, selon l’étude, est relative à l’absence de délai au cours duquel le Chef de l’Etat doit accomplir la formalité de déclaration de son patrimoine. C’est pourquoi, il est difficile de qualifier l’absence de déclaration de son patrimoine, aussitôt après sa prestation de serment, d’une violation de la Constitution. La deuxième limite est relative à l'absence de déclaration de son patrimoine après la cessation de ses fonctions. L’utilité d’une telle déclaration de patrimoine de sortie résulte du fait qu’elle permet au Conseil constitutionnel d’apprécier l’évolution dudit patrimoine par rapport aux revenus légaux gagnés au cours de l’exercice des fonctions présidentielles''.
 
‘’Ces nombreuses insuffisances notées dans le traitement de la déclaration de patrimoine’’
 
Deux faits qui légitiment, selon eux, la réforme du régime de déclaration de patrimoine du Président de la République. Sur ce point, d’ailleurs, le Forum Civile indique que ‘’le Sénégal peut s’inspirer de certains pays africains à l’image du Mali où quarante-huit heures (48 h) après la cérémonie d’investiture, le Président de la Cour des comptes reçoit publiquement la déclaration écrite des biens du Président de la République.
 
La 4e recommandation formulée en vue de la révision de la loi est relative à la réforme du traitement de la déclaration de patrimoine. Dans le rapport produit à l’issue de cette étude parcourue par Dakaractu, il est évoqué de ‘’nombreuses insuffisances notées dans le traitement de la déclaration de patrimoine’’. Ce qui fait que proposition a été faite par le Pr Kébé, universitaire agrégé de droit public à l’Ucad et Cie, d’y remédier en apportant plus de transparence au moyen de la publication obligatoire du patrimoine déclaré et de la mise à jour, notamment en cas d’évolution substantielle du patrimoine de l’assujetti; la consolidation des avant-projets de loi et de décret d’application sur la déclaration de patrimoine proposés par le groupe de travail mis en place par l’Ofnac, entre autres.


Le durcissement des sanctions liées au non-respect de la formalité de déclaration occupe la 5e place, dans le rang des recommandations faites. Finalement, Birahime Seck et Cie, sont d’avis que les sanctions peuvent être administratives, politiques et pénales. ‘’Depuis l’instauration de la déclaration de patrimoine, certains assujettis refusent de faire leurs déclarations sans qu’aucune sanction n’ait été prononcée à leur encontre. C’est pourquoi, il est impératif de procéder au durcissement des sanctions liées à l’inobservation de la formalité de déclaration de patrimoine’’, a relevé l’étude qui rappelle d’ailleurs qu’au Sénégal, la loi n°2014-17 relative à la déclaration de patrimoine prévoit deux sanctions. Il s’agit de la privation du quart (¼) des émoluments lorsque l’assujetti est un élu et la perte de la position ayant généré l’obligation de déclaration quand il s’agit d’un agent de l’ordre administratif. 
 
À titre d’exemple, au Gabon, tout dépositaire de l’autorité de l’État qui s’abstient de se soumettre à la formalité de déclaration est démis de son emploi ou de sa charge conformément aux règles qui régissent son statut ou la convention dont il relève. De même que, tout dépositaire de l’autorité de l’État qui quitte ses fonctions sans présenter dans les délais prescrits sa déclaration de fortune peut, sans préjudice de toute action disciplinaire ou pénale susceptible d’être engagée contre lui, se voir confisquer les biens jusqu’à la décision au fond sur cette saisie. 


‘’Pourquoi, il est impératif de procéder au durcissement des sanctions contre …’’


Une précision de la notion de fausse déclaration ou de celle de déclaration incomplète est préconisé dans l’étude. Cela, pour éviter, selon eux, leur usage non approprié, par les pouvoirs publics, à d’autres fins.

Il est également relevé la nécessité de prévoir des sanctions politiques et pénales au Sénégal. Cela est nécessaire, en ce sens que, selon le Forum Civil, la loi sur la déclaration de patrimoine ne prévoit ni de sanction politique ou de sanction pénale en cas de manquement à l’obligation de déclaration. Or, celles-ci peuvent s’avérer efficaces pour lutter contre tout refus d’accomplir la formalité de déclaration de patrimoine.
 
C’est le cas au Cameroun où il est prévu l’inéligibilité, comme sanction politique, en cas de manquement à l’obligation de déclaration de patrimoine. Ainsi, toute personne titulaire d’un mandat électif, qui fait une fausse déclaration des biens et avoirs, ou qui ne satisfait pas à l’obligation de déclaration est inéligible à tout scrutin suivant la fin de son mandat. 
 
Dans d’autres pays, il est prévu, en cas de fausse déclaration, des sanctions pénales. C’est le cas au Bénin où dans ses textes de loi, l’article 54 de la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes dispose : ‘’Est puni d’un emprisonnement de trois (03) ans à cinq (05) ans et d’une amende correspondant à la valeur des biens non déclarés, tout agent public coupable de fausses déclarations de patrimoine’’. Il en va de même au Burkina Faso où toute personne qui, sciemment, fait une déclaration incomplète, inexacte ou fausse, ou a formulé de fausses observations dûment constatées, est privée du tiers de ses émoluments avec poursuites judiciaires.
 
Le Sénégal pourrait s’inspirer de ces différentes législations pour renforcer les sanctions prononcées en cas d’inobservation de la formalité de déclaration de patrimoine, a indiqué le Forum Civil.

 
La consolidation des avant-projets de loi et de décret d'application sur la déclaration de patrimoine proposés par le groupe de travail mis en place par l'Ofnac a fermé la marche. Elle constitue la 7eforte recommandation du Forum Civil...
Jeudi 9 Décembre 2021




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