Bipolarisation de la scène politique sénégalaise / Ousmane Sonko, Macky Sall et l'autre partie de l'opposition: A Qui profite la situation actuelle?

Pour nos analystes politiques, les événements tragiques qui ont conduit à la mort d'une dizaine de citoyens sénégalais ne seront pas à coup sûr, sans conséquence sur l'échiquier politique sénégalais.


Selon nos politologues, bien avant les émeutes populaires auxquelles on a assisté  dernièrement dans le pays, il y a eu une sorte de bipolarisation de la scène politique entre d'une part, Macky Sall président de la coalition BBY et d'autre part Ousmane Sonko leader du parti Pastef/les Patriotes, cristallisant l'essentiel de l'opposition autour de sa formation. 

 

Mais, de l'avis de l'analyste politique Momar Diongue, cette bipolarisation de la scène politique sénégalaise ne date pas d'aujourd'hui. La même situation a existé au lendemain des indépendances avec le président Léopold Sédar Senghor et Lamine Guèye. 

 

« La première bipolarisation remonte au lendemain des indépendances avec le président Senghor d’un côté et Lamine Guèye de l’autre. Au début, ils étaient ensemble et c'est après qu’ils se sont séparés, ils ont fait face à face à travers des batailles politiques très âpres. La deuxième bipolarisation a eu lieu avec Abdoulaye Wade qui, après avoir créé le parti démocratique sénégalais en 1974, a fait face au régime socialiste. D’abord avec le président Senghor et ensuite avec le président Abdou Diouf. À l'époque, Abdoulaye Wade était le leader incontesté de l’opposition. 

 

Quand Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir en 2000, jusqu’en 2012, son départ du pouvoir, on ne pouvait pas parler de bipolarisation. Parce qu’il avait en face de lui Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng du Parti socialiste, Idrissa Seck et Macky Sall lorsqu’ils se sont séparés.  Et aucun des quatre n'avait l’étiquette ou le statut de chef de l’opposition. Maintenant, la troisième bipolarisation est en train de se dérouler, avec d’une part Macky Sall président de la coalition BBY et de l’autre Ousmane Sonko, le mouton noir du régime de Macky Sall, et qui semble maintenant installé confortablement, je ne sais pas si durablement, sur le trône du leader de l’opposition, pour ne pas dire chef de l’opposition », renseigne notre interlocuteur Momar Diongue. 

 

Abondant dans le même sens, le journaliste-formateur, Ibrahima Bakhoum, doublé d'analyste politique, de préciser que cette situation de bipolarisation politique est favorisée par le régime en place, qui est tombé dans le piège de la stratégie politique mise en place par ses opposants. Maintenant le premier à en profiter, sera sans surprise le leader de Pastef/Les patriotes.

 

« Ousmane Sonko sera le premier à profiter de la situation. Parce qu’il montre clairement sa détermination à s’opposer au régime en place.  Il est le plus visible et en politique on vous dit toujours c’est des mots et un visage. Et lui il a les mots et depuis quelque temps, il a surtout le visage. Il a les mots qu’il prononce et les mots qu’on prononce toujours sur lui, c’est toujours les mots et le visage. Donc de ce point de vue-là, il est en train de se positionner comme un leader incontesté. Il mène les actions et les gens le suivent en même temps, et aujourd’hui, il est dans une position où il tire vers la confrontation, alors que l’autre n’est pas passif. Il contribue à le (Sonko) renforcer, à renforcer son image et sa crédibilité comme opposant et à le rendre plus gênant pour le pouvoir », tentera d’analyser  Ibrahima Bakhoum.  

 

Mais pour Momar Diongue, le président Macky Sall a intérêt à ouvrir le jeu politique sénégalais afin de redistribuer les cartes et d’installer une concurrence déloyale entre acteurs politiques au sein même de l’opposition. Cela en rétablissant Khalifa Sall et Karim Wade dans leurs droits civils et politiques.

 

« Un autre élément que le président Macky Sall doit prendre en compte aujourd’hui c'est que tout le monde a noté une ascension fulgurante de Ousmane Sonko, au point que personne ne peut lui contester d’être le leader de l’opposition, donc la seule façon pour Macky Sall de briser l’élan de Ousmane Sonko, c’est d’ouvrir le jeu politique. Et ouvrir le jeu politique, c’est de rétablir Khalifa Sall et Karim Wade dans leurs droits civils et politiques. S’il le fait, il redistribue  les cartes au sein de l’opposition et Ousmane Sonko ne va plus régner en maître au sein de l’opposition. Il aura une concurrence très fulgurante au sein de l’opposition et ce sera une façon très intelligente de freiner l’ascension d’Ousmane Sonko et cela va travailler à diviser l’opposition. Parce que si Karim Wade sait qu’il ne sera pas candidat, que Khalifa Sall le sache, ils vont faire jonction autour de lui et dans ce cas, Macky Sall et son régime seront défaits. Donc l’intérêt pour Macky Sall c’est que le jeu politique soit ouvert en rabattant les cartes. Quand il y aura le retour de Khalifa Sall et Karim Wade dans le jeu politique, les cartes seront redistribuées. La nature ayant horreur du vide Ousmane Sonko avait jusque-là profité du vide créé par l’élimination de Khalifa Sall et de Karim Wade du jeu politique, mais une fois qu’ils seront de retour, ce sera un nouveau tour de manches, avec une nouvelle configuration probable de la scène politique », a encore précisé Momar Diongue.

 

Ibrahima Bakhoum qui n'en pense pas moins, de souligner qu’il appartient au président de la république de décrypter le message qui lui est adressé par le peuple. Dans l’opposition tout comme dans la majorité, il y a des ambitions affichées ou tues. Maintenant, le président de la République est en train de poser des actes et on lui a donné le temps de souffler un peu avec la décision du mouvement M2D de surseoir à sa manifestation prévue le samedi dernier, à lui de faire la bonne lecture. Pour l’opposition aussi il appartiendra aux acteurs de maintenir la force de pression sur le régime. Car en politique tout est une question de force », confie toujours Ibrahima Bakhoum.

 

Toutefois nos interlocuteurs restent convaincus que la scène politique sénégalaise n’a pas encore fini de révéler ses derniers secrets avant les élections locales de 2022 et la présidentielle de 2024. À ce titre, de nouvelles configurations se dessineront encore sur la scène politique, en plus des soubresauts politiques notées dernièrement dans le pays…

Mardi 16 Mars 2021




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