8 mars : Au-delà du folklore, quelles orientations devrons-nous donner à la journée internationale des droits des femmes ?

De coutume au Sénégal, la journée des droits des femmes est célébrée avec faste. Déjà, l’on peut s’arrêter sur le terme souvent employé au pays de la Téranga. D’habitude, on parle de « journée internationale de la femme » au lieu de « journée internationale des droits des femmes ». L'Onu et l'Unesco l’appellent « International Women’s Day » qui est bien la journée internationale des droits des femmes et non la journée internationale de la femme.

À travers cette journée, les femmes se font entendre par leur voix pour faire valoir leurs droits au regard de la loi, qui n’ont jamais été égaux à ceux des hommes sur aucun des continents. Cette journée internationale de lutte des femmes encourage la mobilisation et le militantisme pour promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Ainsi, cette occasion ne devrait pas être un moment d’amusement et de folklore, mais devrait être mise à profit pour la capitalisation des acquis.


Femme brave, femme battante, Femme courageuse ! Pour toutes ces belles paroles, une seule journée ne saurait suffire pour louer la femme. En effet, on ne doit pas réduire toutes les femmes à une seule identité, c’est considérer que les femmes possèdent une essence, une spécificité les mettant toutes dans le même panier. Or, les femmes sont plurielles, diverses et multiples et le 8 mars, ce sont leurs voix qui se font entendre. C’était juste une petite digression avant de se pencher sur le sens et l’orientation à donner à cette journée afin de lui donner une connotation réaliste.  L’amélioration des conditions de la femme dans un monde de défis géostratégiques, d'enjeux politiques, économiques, culturels et environnementaux sous-tend notre questionnement sur les vrais débats que les femmes devraient se poser et apporter des esquisses de solution. 
Partant de là, Dakaractu a interrogé quelques spécialistes des questions de genre et de féminisme pour réellement comprendre, au-delà du folklore accompagnant souvent la célébration de cette date, ce qu’on doit attendre en réalité du 8 mars.

Si on part des dix-sept objectifs de développement durable, les thèmes qui y sont abordés sont un catalyseur pour aborder la problématique des conditions d’existence des femmes. D’un constat simple, beaucoup de concitoyens soutiennent que les journées des femmes se rapportent plus à la jouissance et au folklore qu'à l'amélioration des conditions de la femme, de leurs droits, de leur épanouissement professionnel. Nous pouvons nous poser des questions sur le fait que les braves dames sont mobilisées et habillées, chantant et dansant, oubliant les vraies questions et les vrais débats. Nous pensons qu’il faut davantage sensibiliser pour une meilleure prise en charge des questions centrales et essentielles qui puissent répondre favorablement à la condition des femmes. Généralement, à la fin des journées, elles sont nombreuses à ne rien capitaliser et les thèmes importants sont rangés aux oubliettes. Beaucoup de promesses et peu de réalisations en faveur des femmes.

« La mobilisation autour de la journée est importante. »

Pour Docteur Selly Ba, sociologue et militante des Droits humains, la mobilisation autour de la journée est importante. Elle dira que le fait que la journée soit incluse dans le décor, soit inscrite tout le long du mois de mars et que les gens s’en rappellent est extrêmement important.
 
Revenant sur le format, elle laisse entendre que des panels, des débats et des conférences sont organisés et là, nous pouvons dire qu’il y a moins de folklore. Du reste, en Afrique, les jouissances prennent le pas sur l’évaluation en terme d’acquis et d’actions concrétisés. À ce niveau, la sociologue mentionne que le folklore autour est inévitable. « Nous considérons que ces aspects accompagnent d’une manière positive la célébration pour amuser les militantes et autres femmes sachant que cela n’entache en rien les objectifs retenus.  L’engagement pour le plaidoyer des doléances des femmes doit être l’élément à prendre en compte dans les journées du 8 mars », dit-elle. Ainsi, elle rappelle par-là que l'objectif de la journée internationale des droits des femmes est un moment de bilan des acquis et de défis à relever.
 
La sociologue, d’une manière réaliste, de souligner sur l’engagement autour de ces défis afin de faire le plaidoyer auprès des décideurs. « La journée internationale des droits de la femme constitue de forts moments de réflexion d'évaluation et de bilan et d'interpellation par rapport aux décideurs concernant leurs engagements par rapport aux droits des femmes ».
 
En terme de consolidation, elle préconise la poursuite de la mobilisation et elles doivent rester sur le qui-vive.  Parce que, dit-elle, nous sommes dans un contexte de montée des courants conservateurs. Il faut poursuivre ce travail tout en restant en consolidation de nos acquis.
 
Cependant, la Rédactrice en Chef du Journal Enquête, Bigué Bop, soutient le contraire. Selon elle, fondamentalement, la journée internationale des droits de la femme n’a pas été instituée pour des amusements et du folklore. « Au contraire, elle est célébrée pour faire le point sur l’avancement des droits des femmes, sur les luttes entamé par elles. C’est une occasion de se poser et de demander où nous en sommes et où voulons nous aller afin de rappeler aux autorités que nous avons besoin que les textes soient changés et non inviter des « Bongoman » et avoir les mêmes tenues, recevoir des fleurs et avancer », dénonce-t-elle. Aujourd’hui, explique la journaliste, au Sénégal depuis plusieurs années, les femmes se battent pour gagner leurs droits dans la société. Dans d’autres pays, les gens organisent des panels autour des thématiques et non le folklore.

La longue liste de plaidoyers des femmes en attente


Concernant les acquis, la Rédactrice en Chef du journal Enquête estime que la plus grande lutte que les femmes ont gagnée est la criminalisation du viol. « C’est un combat gagné haut la main. Mais il y a une longue liste d’attente comme la légalisation de l’avortement médicalisé pour les victimes d’inceste. Et l’autre plaidoirie que nous avons lancée est que la femme pouvait être Chef de famille. Dans le code de la famille sénégalais, l’homme est chef de famille. On devrait pouvoir changer cela et permettre à la femme de jouir de tous ces droits. La femme ne peut même pas voyager avec son enfant sans l’autorisation de son époux. Même pour avoir un passeport, il faut l’autorisation du père signé et légalisé à la police ce qui est, à mon avis, abusé.

L’épanouissement des femmes dans les rédactions.
Par ailleurs, la femme de média a également souligné le non-respect des droits de la femme dans les médias. « Dans les textes régissant la presse, il n'y a pas grand-chose à consacrer à l'épanouissement des femmes dans les rédactions. Leurs spécificités ne sont pas prises en compte. Il faudrait aujourd'hui une charte genre comme le proposent certaines de nos aînées de la presse et qu'elle soit portée par toutes les femmes de média pour évoluer », a-t-elle plaidé.
 
Ne confondez plus Journée internationale des droits des femmes et « Journée de la femme » : la première parle de la lutte de toutes les femmes pour défendre leurs droits. La deuxième est bien trop souvent une opération marketing. Traditionnellement, les groupes et associations de femmes militantes préparent des événements partout dans le monde pour fêter les victoires et les acquis, faire entendre leurs revendications et améliorer la situation des femmes. Le jour semble adéquat pour laisser les femmes s'exprimer sur leurs conditions de travail et ce qu'elles en pensent. Leur parole compte pour transformer et améliorer la situation.

Mercredi 8 Mars 2023
Dakaractu




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