TENTATION DU TROISIÈME MANDAT : Macky cherche sa voie.

Un timing savamment choisi (un an après la réélection de Macky) ! Des personnalités envoyées au charbon. Le premier, c’est Mahammed Boun Abdallah Dionne (ancien Premier ministre et actuel ministre d’Etat, secrétaire général de la Présidence de la République) qui plaide la suppression de la limitation des mandats pour que Macky Sall puisse rester au pouvoir jusqu’en 2035. Ensuite, c’est le Directeur des structures de l’APR (parti au pouvoir) qui parraine la candidature de Macky Sall en 2024 et parle pour la première fois de la non rétroactivité de son premier mandat de sept ans. Quant à Mansour Faye, il s’est juste contenté de préciser que Macky Sall ne sera pas au pouvoir jusqu’à 2035. Le Chef de l’Etat, qui ne voulait répondre ni par un «oui» ni par un «non», a fini, via les agissements de ses collaborateurs et autres sondes lancés à l’opinion, par afficher ses ambitions. Il cherche juste la voie pour y arriver.


Le Sénégal est-il condamné à revivre son passé ? Tout porte à le croire. Comme Abdoulaye Wade, qui avait pourtant déclaré urbi et orbi qu’il ne ferait pas de troisième mandat et qu’il a lui-même verrouillé la Constitution, Macky Sall ne serait pas plus loin, lui non plus, à faire une volte-face spectaculaire digne d’un chef d’œuvre hollywoodien.  C’est déjà connu. L’histoire se répète au moins deux fois, sinon plus. «La première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce», précisait avec pertinence Karl Marx. 

 

La tragédie, le Sénégal l’a vécue avec un lot de 13 morts suite à la validation de la candidature de Me Abdoulaye Wade par le Conseil constitutionnel. N’empêche, le peuple qui est seul souverain lui a dit NON et avait élu Macky Sall au second tour. Plus précisément le 25 mars 2012. On croyait alors que le Sénégal allait apprendre les leçons de son douloureux passé. Que nenni !  

 

Pourtant, comme Abdoulaye Wade, Macky Sall, à plusieurs moments solennels, a clairement déclaré qu’il a lui aussi limité les mandats à deux avec notamment l’introduction de l’adjectif «successifs». «Nul ne peut pas faire plus de deux mandats successifs». La messe devrait être dite. 

 

 

Le pétrole et le gaz, une des raisons de la volte-face

 

Le Sénégal va devenir un pays pétrolier et gazier. Le premier baril devrait sortir de l’Océan atlantique en 2023. La veille de l’élection présidentielle. Etant presque le maitre d’œuvre et ayant signé ou fait signer l’ensemble des contrats pétroliers et/ou gaziers avec différents majors du monde, l’actuel Chef de l’Etat souhaiterait assister au jaillissement de l’or noir.  

D’où le nouveau slogan qu’il a encore lancé au peuple sénégalais le 31 décembre 2019, «Liggéeyal Ëllek». Ce, après la «gouvernance sobre et vertueuse»«la patrie avant le parti». Sans occulter le fameux «fast-track»qui a entrainé la suppression du poste du Premier ministre qui octroie tous les pouvoirs au Chef de l’Etat et installe le Sénégal dans un régime presque inédit : l’hyper-présidentialisme. 

 

Sauf qu’un an après la réélection de Macky Sall à la Magistrature suprême, le Sénégal s’enlise dans plusieurs crises : crise des valeurs, crise économique, crise sociale, crise politique, crise de l’enseignement etc. Autant de signes avant-coureurs qui rappellent une situation déjà vécue par les Sénégalais sous le régime wadien qui avait atteint son paroxysme le 23 juin 2011, suivi des émeutes de l’électricité le 27 juin. Rappelons alors que Churchill avait professé qu’ «un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre». 

 

L’AMNISTIE DE KARIM ET KHALIFA RENVOYEE AUX CALENDES GRECQUES

 

La volonté de plus en plus affichée de Macky Sall, de briguer un troisième mandat, ne serait pas étrangère au refus de discuter d’une éventuelle amnistie de Karim Wade et de Khalifa Sall, comme jadis, annoncée par le Président de la République à France24, pour davantage décrisper l’espace politique sénégalais.  

Et pour cause, les sondages d’hier seraient toujours valables aujourd’hui. Une élection présidentielle avec Khalifa Sall et Karim Wade déboucherait inévitablement sur un deuxième tour. Ils semblent encore être les deux seuls capables de mettre Macky Sall en ballotage. 

Conscient de cet état de fait, le Président Sall et ses souteneurs ne seraient plus disposés à procéder à une telle «largesse» qui entrainerait leur chute et leur perte du pouvoir. Voilà pourquoi la question de l’amnistie a été renvoyée aux calendes grecques. 

Le temps de valider la candidature du président de l’APR et de lui assurer un troisième mandat. Ce n’est qu’en ce moment et en ce moment seulement que l’ancien maire de Dakar et le fils du Pape du Sopi vont recouvrer leurs droits civiques, via une loi d’amnistie.   

 

L’EQUATION DES ALLIES ET DES «PRESIDENTIABLES» DE L’APR

 

Dans sa recherche de voie pour le troisième mandat, Macky Sall devrait aussi régler deux équations. D’abord, celle de ses alliés. Ensuite, celle des têtes de gondole de son parti considérées à tort ou à raison comme des «présidentiables» et/ou ayant des ambitions présidentielles.  

Pour l’heure, les alliés qui ont perdu, pour la plupart d’entre eux, de leur influence, font le profil bas, s’ils n’adoptent pas la politique de l’Autruche. «Il ne faut pas qu’on se laisse divertir par ce débat prématuré», a récemment confié à Sud Quotidien, le porte-parole de la LD, Moussa Sarr. Quant son homologue du PIT, Moussa Sow, il avait indiqué qu’il faut : «éviter de distraire le peuple» sur le débat du 3èmemandat. Au niveau de l’AFP, Zator Mbaye avait plutôt conseillé ses collègues alliés à éviter le débat. 

Alors qu’Abdoulaye Wilane du PS soutenait que «chaque chose a son temps». Une omerta qui en dit long sur la peur bleue qui anime les alliés de Macky Sall au sein d’une coalition majoritaire où chacun cherche à consolider son strapontin. D’ailleurs, c’est ce qui explique l’implosion de tous les partis alliés qui accompagnent Macky Sall depuis 2012. 

 

L’autre équation et pas la moindre, c’est celle de faire «parrainer» sa candidature pour un troisième mandat à des responsables de son parti. Certains sont accusés, à tort ou à raison, d’avoir des ambitions présidentielles tout en restant dans le Macky. 

 

L’administrateur de la Maison de la Presse, Bara Ndiaye a même cité nommément Aminata Touré (présidente du Conseil économique, social et environnemental) et Amadou Bâ (ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur). 

Selon certaines indiscrétions, Abdoulaye Diouf Sarr (ministre de la Santé), Aly Ngouille Ndiaye (ministre de l’Intérieur) ou Mouhamadou Makhtar Cissé (ministre du Pétrole) seraient en ligne de mire des faucons du Palais. Ce qui installe notre pays dans des duels à fleurets mouchetés, en attendant l’attaque frontale. 

 

Par Abdoulaye THIAM

(Sud Quotidien)

Vendredi 28 Février 2020




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