« L’enfant ne ment pas… » ou le récit terrifiant d’une erreur judiciaire (Par Guéladio Pam)

Les conclusions de la commission d'enquête parlementaire composée après la tristement célèbre affaire d’Outreau n'ont pas été lues au Sénégal et particulièrement par certaines autorités judiciaires.


« L’enfant ne ment pas… » ou le récit terrifiant d’une erreur judiciaire (Par Guéladio Pam)
 Les parlementaires avaient souligné entre autres points le défaut de prudence et de méthode dans l'analyse et le traitement de la parole des enfants, le caractère univoque de l'enquête et le problème du signalement des maltraitances et des abus sexuels sur enfants mais aussi une valorisation excessive du rôle des experts et l’absence de recul des journalistes.
 
N'ayant pas lu ou ayant méconnu tout l'émoi et la colère suscités par le dénouement de ce procès, enquêteurs, experts et juges ont tout simplement failli gâcher les vies d’un père de famille, de ses parents et surtout de ses 4 enfants, lui, l’enseignant émérite, conseiller municipal, président de commission à la mairie depuis 10 ans et directeur du village artisanal de sa localité. Que s’est-il passé ?
 
Au début du mois d’octobre 2018, se serait présenté à la Brigade de gendarmerie d’une localité de la région de Saint-Louis un enfant d’à peine 6 ans accompagné de sa mère et de la mère de celle-ci pour déposer plainte pour abus sexuel commis par le directeur du village artisanal qui est un oncle du « Pauvre et Frêle Petit Garçon ».
 
La gendarmerie relève que l’enfant « se tordait de douleurs anales » et avait décrit les insoutenables scènes pendant lesquelles « le Triste Monsieur Son Oncle » l’avait introduit dans sa chambre pour mettre son doigt dans son anus. C’était à l’insu de tout le monde, de l’épouse du monsieur, de la vingtaine de personnes qui vivent dans la maison.
 
La grand-mère disait avoir bien remarqué que le chérubin changeait chaque fois en revenant de chez son père habitant le même quartier, qu’il avait souvent du mal à contenir ses selles, qu’il avait parfois une constipation mais surtout qu’il avait reçu une magistrale gifle de sa cousine vivant dans la même maison pour avoir osé mettre son doigt dans la partie anale de celle-ci. C’est à partir de cet incident que l’attention a été accrue et le lendemain, le garçon était surpris en train de se prodiguer le même traitement. La grand-mère lui demandait où il avait appris ces gestes. Mis en confiance, il donnait le nom de « Monsieur Son Oncle ».
 
Rappelée en urgence, la mère du gosse s’empresse d’amener son enfant en consultation et là, la conclusion du médecin est implacable : incontinence anale consécutive à un abus sexuel.
 
Certes le mis en cause arrêté par la gendarmerie est un jeune d’une quarantaine d’années, connu et apprécié des tous, il nie avec véhémence les faits mais l’enquête révèle que « les constatations faites dans la chambre de « Monsieur l’Oncle Indélicat » correspondent à tout point de vue à la description faite de cette même chambre par l’enfant victime ».
 
Enquête rondement menée, indices de culpabilité évidents et le gars bien ficelé est envoyé en prison après avoir été entendu par procureur qui lui a fait savoir qu’il serait jugé en flagrant délit pour viol et pédophilie.
 
Le jour de l’audience, le prévenu et ses avocats se démènent comme de beaux diables, un témoin cité s’empêtre dans des approximations qui seront considérées comme des contradictions, le procureur s’élève contre les abus dont sont victimes les pauvres innocents enfants dont la parole est d’évangile car tout le monde sait que « un enfant ne ment jamais ». Maîtres Barro et Naham du barreau de Dakar attaquent le procès-verbal de la gendarmerie, les déclarations à l’audience mais le tribunal conclut à la culpabilité de Monsieur L’oncle qui écope de 10 ans d’emprisonnement ferme.
 
Tristesse, syncope, frustration, colère et peine chez lui, dans son quartier où même un dignitaire religieux est frappé d’une crise qui finira par l’emporter. Toute la ville est sous le choc mais la justice a fait son travail… comme elle l’avait fait dans l’affaire d’Outreau.
 
 
 
Un des avocats de la défense interjette immédiatement appel et son confrère et lui s’attèlent à refaire l’enquête à travers des sommations interpellatrices et ils finissent par obtenir justice. « Monsieur l’Oncle du Neveu Victime » est relâché après près de 06 mois de détention par la cour d’appel qui n’a pas relevé l’ombre d’un seul délit commis sur l’enfant.
 
 
 
I-               Une enquête univoque
 
 
 
 La gendarmerie, le Procureur et le juge n’ont pas entendu les dénégations de « Monsieur l’Oncle Pervers ». Et pourtant…
 
 Le commandant de brigade a entendu quelqu’un qu’il n’a jamais mentionné dans son dossier. Pour lui montrer le lieu où il a été abusé, l’enfant a conduit le commandant dans le quartier mais il est passé devant la maison où habite « Monsieur Tonton ». Il montre une autre maison, désigne une chambre dont le propriétaire travaille dans une autre ville, dans un service collaborant directement avec la gendarmerie. Ce monsieur est immédiatement convoqué, il se présente le lendemain et est interrogé une première fois avant d’être invité à conduire le commandant chez lui et à le faire entrer dans sa chambre qui était toujours fermée à clé parce que lui ne s’y trouvait qu’un weekend sur deux. Finalement après ce transport, il sera réentendu le lendemain. Tout cela s’est fait en présence de la mère de l’enfant et du mis en cause mais ne figure nulle part dans le PV.
 
Sommé par l’huissier requis par les robes noires, le témoin raconte tout, précise même les questions qui lui ont été posées par les enquêteurs mais qui, bizarrement, ont été écartées du dossier. Pourquoi ? Mystère et boule de gomme. Comme si tout ce qui pouvait arranger « l’Oncle Violeur » était écarté.
 
 
 
II-         Un défaut de prudence et de méthode dans la parole d’un enfant et son traitement
 
 
 
Les conditions dans lesquelles l’enfant a été amené à donner le nom de son « Oncle » n’ont pas été élucidées mais ce qui est clair c’est qu’après avoir dit que les faits se seraient déroulés dans la chambre de « Son Oncle » qu’il connaissait parfaitement bien, l’enfant a montré au commandant une maison autre que celle de l’oncle. Le jour de l’audience, il dit au témoin devant la barre « les faits se sont bien passés chez toi, dans la chambre de Monsieur W. qui est ton père. C’est toi qui avait ouvert la porte pour que « Monsieur Mon Oncle et Bourreau « m’y entraine et il y avait une femme dans la chambre au moment des faits ». Plus tard il dira au tribunal que c’est une seule fois qu’il a été entrainé dans cette chambre par Monsieur Son Oncle Pédophile qui lui avait mis le doigt à l’anus à 3 reprises.
 
A la cour d’appel, l’enfant révèlera qu’en fait, c’était 3 jours différents comme l’avait dit sa grand-mère à la gendarmerie mais il ajoute qu’à chaque fois, il lui en avait parlé. Celle-ci répond à la cour : « il ment en disant que je savais ». Et pourtant, la grand-mère et tous les autres avaient toujours estimé qu’un enfant ne mentait jamais.
 
Un éducateur spécialisé, Monsieur Sow, nous l’appellerons, nous déclare qu’à 6 ans, l’enfant a plutôt tendance à dupliquer les paroles, faits et gestes des adultes. C’est pourquoi les déclarations d’un enfant victime d’abus commis par un homme beaucoup plus âgé qui répète l’acte sur une fillette ou sur lui-même doivent être prises avec des pincettes. Ces pincettes n’ont pas été utilisées par les gendarmes, le procureur et le tribunal. Devant la cour d’appel, le malheureux enfant précise : « par 3 fois au moins, Monsieur Mon oncle m’a introduit dans la chambre du père W. et à chaque fois, il demandait la clé à son épouse sauf une fois où c’est le fils W. qui lui a ouvert la porte alors que la dame était à l’intérieur ». Devant de telles déclarations de cet enfant si espiègle, gants, pincettes et autres artifices auraient été nécessaires parce que qu’aucune constance ne semble en ressortir si ce n’est le nom de « Monsieur L’Oncle Lubrique ».
 
 Heureusement que la cour était sur ses gardes.
 
 
 
III-    Une valorisation excessive du rôle des experts
 
 
 
Si dans l’affaire d’Outreau plusieurs experts scientifiques avaient été en cause, là, c’est un seul qui a agi. C’est le médecin qui avait dressé le certificat utilisé à la base des poursuites. A son propos, le médecin-chef du district sanitaire dit que «il n’est pas docteur mais plutôt étudiant en 7ème année de médecine qui faisait son stage rural auprès de moi. Ce médecin n’a vraiment aucune qualité pour faire une expertise médicale. » Pour les conclusions, le médecin-chef ajoute que l’incontinence anale doit être observée chez le patient  et ne doit donc pas découler des seules déclarations de ses parents et « elle peut avoir des causes multiples ». En conséquence «  la conclusion de l’étudiante est erronée ». Comment est-ce arrivé alors ?
 
La mère de l’enfant a répondu à la question devant la cour d’appel : «  Je connais très bien Monsieur l’Oncle de Mon Fils qui est un homme sérieux et généreux. Mais quand ma propre mère me dit que mon fils a été victime d’un abus sexuel, je me dois de l’amener à l’hôpital. Il n’avait rien quand on s’y rendait et le médecin qui l’avait examiné devant moi n’avait rien décelé. Seulement au moment où l’enfant se rhabillait, il m’a dit que les règles de son métier lui imposaient d’aviser la gendarmerie en cas de viol. C’est ainsi que le commandant a été appelé et qu’il a demandé au médecin de dresser un certificat médical. Une voiture de la gendarmerie était venue nous chercher sur place pour nous conduire à la brigade ». Quid des douleurs anales mentionnées par les enquêteurs ? La mère précise : « mon fils n’avait rien et le médecin, devant moi, n’avait rien relevé ». Pourquoi tout cela alors ? « Je ne sais pas. On m’a dit que c’est la procédure. J’ai été surpris que mon fils conduise les gendarmes dans une maison autre que celle de « Monsieur Son Oncle » qu’il connaissait très bien. Ça m’a paru vraiment bizarre ». Quel doit être le sort de ce stagiaire qui au détour d’un banal acte professionnel a scellé sans s’en rendre compte la vie de plusieurs personnes ? Le juge doit-il prendre pour argent comptant tout ce que l’expert dit ? La commission d’enquête parlementaire française avait pointé du doigt ce dysfonctionnement. Chez nous, il n’en est nullement fait débat. Et pourtant… ! Les certificats médicaux sont souvent décriés devant les prétoires mais rien ne semble arrêter un destin qui semble s’acharner sur quelqu’un.
 
 
 
IV-     Le signalement des abus sexuels et maltraitances
 
 
 
 Les professionnels de la santé ont l’obligation de signaler les cas d’abus sexuels et de maltraitances qu’ils constatent dans l’exercice de leur profession. Monsieur Sow, l’expert en questions juvéniles assure « les professionnels de la santé sont souvent confrontés à des situations où les parents des victimes veulent juste faire soigner leurs enfants et n’entendent pas du tout saisir la justice car l’auteur des faits peut être un proche parent ou tout simplement parce qu’un arrangement pécuniaire a été fait sur le dos de l’enfant ou encore parce qu’on veut éviter la publicité». Mais s’empresse- t-il de préciser « le professionnel signale aux officiers de police judiciaire ce qu’il a constaté et qui est consécutif et constitutif d’un abus ou d’une maltraitance ».
 
Dans le cas de Monsieur l’Oncle du Pauvre Petit, le médecin n’a rien relevé. C’est simplement une déclaration qu’il a consigné dans son rapport et lui a ainsi donné un caractère de constatation médicale qui donnera lieu à une condamnation à dix (10) ans de prison. Simple mais implacable et terrible. Et on passe tranquillement au patient suivant…sans s’épancher sur ce qui attend celui qu’on vient de condamner en ne l’ayant jamais vu.
 
 
 
On serait tenté de penser qu’à l’issue de toute cette procédure, « Monsieur l’Oncle Pervers » doit être abattu. Que nenni !« Depuis le début de l’affaire, je ne me suis pas senti concerné par l’enquête, les déclarations des uns et des autres et même l’audience jusqu’à la peine de 10 ans prononcée contre moi. C’est quand on m’a ramené en prison ce jour-là, que j’ai réalisé qu’en fait, c’est de moi qu’il s’agissait, de ma vie, de mes parents, de mon épouse et de mes enfants. Ce jour-là, c’est comme si le ciel me tombait sur la tête mais très vite je me suis ressaisi car j’avais toujours foi en Allah et en moi-même. Je n’avais aucune crainte car je savais que ceux qui me connaissent n’y croiraient jamais. C’est la foi qui m’a sauvé en me maintenant au dessus des flots. Je n’ai jamais douté ». Son grand-frère, chef d’un service départemental l’a soutenu et n’a jamais manqué les visites des mardi et vendredi. Son épouse a été brave et patiente tandis que sa mère a beaucoup prié pour lui. « Je sais que j’ai un soutien, un père en la personne de mon grand-frère qui n’a jamais baissé les bras, qui a toujours cru en moi ».
 
 Des ressentiments, il en a beaucoup gardé. Pour le commandant de brigade de la gendarmerie dont il ne comprend toujours pas l’attitude, pour ses juges qui l’ont condamné sans véritablement l’écouter ou le connaître. Seulement, sa foi a toujours été présente et s’est même renforcée : « Le témoin entendu par la gendarmerie mais dont les déclarations ont été ignorées dans le dossier est décédé 6 jours avant l’audience d’appel. Heureusement pour moi, ses déclarations avaient été consignées par l’huissier. Je prie pour qu’Allah lui réserve une place de choix au Paradis. Malgré ce décès brutal, son père est venu à l’audience pour dire que le commandant a été 3 fois chez lui. Cet homme est d’un courage extraordinaire car c’est la veille seulement que son fils a été enterré après une autopsie réalisée à Dakar. Il était venu pour me sauver en disant la vérité ».
 
Les mots de la fin sont donnés par Maître Barro qui, à l’audience, avait tonné : « la gendarmerie doit être plus rigoureuse dans de telles enquêtes » et par Maître Naham : «  L’assertion « un enfant ne ment pas » ne sort d’aucune science car l’enfant ment comme tout être humain ». Et cela, Maître Cheikh Tidiane Diouf autre avocat de Monsieur l’Oncle Miraculé l’avait décelé en affirmant que « souvent les PV piègent les juges qui doivent s’efforcer d’aller au delà pour rechercher la vérité sans laquelle, on ne peut priver quelqu’un d’une seule minute de liberté » … a fortiori  de 10 ans de liberté.
 
 
 
La commission d’enquête parlementaire dans l’affaire d’Outreau avait aussi épinglé la presse dans le traitement du dossier. C’est bien. Mais combien d’ « oncles » innocents condamnés et trainés dans la boue avons-nous en prison, en silence ? Sans la presse dans son rôle d’alerte, certaines affaires seraient-elles traitées avec la rigueur qui sied ?
 
 
 
PS : la cour d’appel a jugé que les infractions retenues contre l’Oncle n’existaient pas et l’a renvoyé des fins de la poursuite. Il ne lui reste plus que le regard des autres à supporter en attendant de demander une indemnisation pour le temps de sa détention.
 
 
 
Gueladio Pam
 
Pamlish123@yahoo.com
Lundi 29 Juillet 2019
Dakar actu




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