40 morts en mer, 2 ans de prison ? Le capitaine Cheikh Sall face à un naufrage judiciaire


L’image est encore vive dans les mémoires à Mbour. Celle d’une pirogue surchargée, d’un espoir brisé en pleine mer, et de 40 vies fauchées dans une tentative désespérée de rejoindre l’Espagne. Huit mois après le drame, Cheikh Sall, convoyeur et capitaine de l’embarcation, a comparu ce lundi devant le Tribunal de grande correctionnelle de Mbour, où le procureur a requis une peine de deux ans d’emprisonnement ferme contre lui.

 

Le 8 septembre 2024, au large de la Petite-Côte, s’écrivait l’un des chapitres les plus sombres de l’émigration clandestine au Sénégal. À bord de la pirogue pilotée par Cheikh Sall : 86 passagers, dont ses propres enfants et des jeunes de son quartier, Thiocé-Est. Le voyage, mal engagé dès son lancement, s’est soldé par une catastrophe maritime d’une ampleur inédite.

 

 

« J’ai tenté de redresser la pirogue… puis tout a basculé »

 

 

À la barre, le convoyeur s’est montré accablé de remords, racontant les circonstances du drame dans une salle d’audience pleine à craquer, où se mêlaient familles endeuillées et proches du prévenu. Selon son récit, c’est un passager imprudent, qui aurait jeté à la mer le seau censé évacuer l’eau de la pirogue, qui aurait semé les graines du chaos. Tentant de ralentir, puis de rééquilibrer l’embarcation, Cheikh Sall n’a pu éviter l’inévitable : le chavirement.

 

Dans le tumulte des vagues, il dit avoir sauvé 11 personnes, dont trois de ses fils et son neveu. Mais pour 40 autres passagers, le rêve s’est noyé avec la pirogue.

 

 

10 millions de francs, des gilets… et des marabouts

 

 

Cheikh Sall ne nie pas avoir perçu 10 millions de FCFA des mains des candidats à l’émigration, bien que certains n’aient pu payer leur dû. Une partie des fonds a servi, selon lui, à acheter du carburant, des gilets de sauvetage, des médicaments, mais aussi à financer des pratiques mystiques, avec des sommes versées à des marabouts pour sécuriser la traversée.

 

Une tentative de justification qui ne convainc pas totalement, même si les familles des victimes, dans un geste de pardon rare, se sont désistées de leur plainte, émues par les excuses répétées du capitaine.

 

 

Un naufrage humain et judiciaire

 

 

Si l’émotion a dominé l’audience, le procureur n’a pas flanché : deux ans de prison ferme ont été requis. Une peine jugée légère par certains observateurs au regard du bilan humain dévastateur, mais qui prend en compte le désistement des familles et l’atténuation de responsabilité qu’implique la complexité du phénomène migratoire.

 

Le délibéré, prévu pour le 16 juin prochain, dira si la clémence sociale sera suivie par la justice. Une chose est sûre : le naufrage du 8 septembre a laissé des cicatrices profondes dans les foyers de Thiocé-Est… et sur la conscience de Cheikh Sall, désormais capitaine d’une pirogue qui ne mènera plus jamais personne nulle part.

Mercredi 21 Mai 2025
Dakaractu



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