Migration circulaire : où en est la trouvaille des gouvernements espagnols et sénégalais pour boucher la route des Canaries ?


Dans un article paru le 25 août dernier, Dakaractu a alerté sur le retour certes timide, mais inquiétant des départs pour les Îles Canaries. Pour appuyer cette alerte, nous nous sommes servis des données de la défenseuse des droits des migrants qui révèle l’arrivée entre le 21 et le 23 août de deux pirogues en provenance du Sénégal. Ces deux embarcations transportaient plus de 200 passagers dont les nationalités n’ont pas été précisées. 

 

Avant ces deux dates, la dernière arrivée signalée sur une des îles de l’archipel espagnol qui se trouve dans l’Atlantique, non loin du Maghreb remontait à plusieurs mois. Ce qui semble indiquer un regain du phénomène naguère appelé « Barça ou Barsaq ». Et cela s’est confirmé jeudi dernier avec le chavirement d’une pirogue au large de Saint-Louis. Pour le moment, quatre morts ont été officiellement dénotés alors qu’une quarantaine de candidats à la migration sont portés disparus.

 

Dans l’opinion nationale, il ne manque pas d’interrogations face à cette reprise de la route de l’Atlantique très meurtrière. Défenseur des droits des migrants, Abdoulaye Ndiaye, n’est pas surpris. Pour ce spécialiste des questions migratoires, « ce regain de départs s’explique par l’absence d’alternatives ». Au téléphone de Dakaractu, il cite le chômage endémique, la recherche d’un espoir et la représentation de l’ailleurs comme étant le mieux, comme des facteurs expliquant le recours à ce moyen peu conventionnel de voyage par des centaines de jeunes.

 

En 2020, les îles Canaries ont été submergées par des arrivées de migrants venant des pays d’Afrique sub-saharienne. Plus de 23 000 migrants dont 4 500 sénégalais ont débarqué à l'archipel espagnol. Un « envahissement » que l’Espagne a cru pouvoir contenir à travers des accords de rapatriement avec des pays de départ comme la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie et le Sénégal. 

 

Si avec les trois premiers pays, le royaume a trouvé un consensus, les autorités sénégalaises ont choisi la méthode douce ou contournée. Après la visite de la ministre des Affaires étrangères d’Espagne au Sénégal au mois de novembre, il a été largement rapporté qu’un accord avait été trouvé pour la reprise des rapatriements. Mais les échecs des déportations de citoyens sénégalais en situation irrégulière en Espagne, prévues en février et mars ont prouvé qu’il était plus facile de le dire que de le faire.

Face à cette situation, le président du gouvernement espagnol a fait le déplacement à Dakar pour en discuter avec le président Macky Sall. La question a été au centre des conversations entre les deux hommes en avril, mais le sujet qui fâche n’a pas fait l’objet d’une acceptation des deux bords. 

 

À la place, les autorités espagnoles et sénégalaises ont préféré réactiver un vieux concept : la migration circulaire. En effet, c’est en 2006, sous le magistère d’Abdoulaye Wade que des accords avaient été signés avec des pays de l’Union européenne pour une gestion concertée de la politique migratoire. Cela faisait suite au déferlement de migrants aux îles Canaries. C’est ce qui a valu au phénomène son appellation « Barça ou Barsaq » (Barcelone ou la mort). Les deux parties visent à travers cette « nouvelle trouvaille » à prévenir les départs mais aussi à encourager les retours volontaires.

Tel que présenté par le président sénégalais et le président du gouvernement espagnol, la migration circulaire devrait permettre aux sénégalais qui le souhaitent de pouvoir travailler en Espagne de façon légale mais temporaire. Mais selon Abdoulaye Ndiaye, ce concept ne peut pas calmer les choses. 

 

Il fonde son scepticisme sur les zones d’ombre entourant les conditions de recrutement, d’octroi de contrat de travail. Il se désole déjà du défaut de communication. Le président Macky Sall avait soutenu qu’une task force serait mise en place pour faciliter la sélection des candidats et que les migrants de retour seraient privilégiés. Où en est le processus ? Dakaractu est allé à la recherche d’infos à mettre sous la dent des candidats. « Le processus est en cours et les choses devraient bouger en novembre », nous souffle-t-on du côté d’une source étatique. Mais pour cette dernière, le retour des départs devrait accélérer les choses. Au ministère de la Jeunesse, on a promis de nous recontacter.

De son côté, le député espagnol d’origine sénégalaise, Serigne Mbaye a cosigné une tribune sur elsaltodiario.com avec Irène Ruano Blanco au lendemain de la visite du président du gouvernement d’Espagne, Pedro Sanchez, pour fustiger ces nouveaux accords. 

 

« La vérité est qu’il n’y a toujours aucune possibilité de migration légale et sûre pour les citoyens sénégalais », fait-il constater. Pour Serigne Mbaye, l’Espagne ne mise pas sur ce type de migration et l’a suffisamment démontré en rendant difficile l’accès au visa et le traitement des procédures de regroupement familial.  

 

Pourtant, le 22 novembre 2011, le secrétaire d’État chargé des Sénégalais de l’Extérieur s’était félicité d’une grande victoire de la diplomatie sénégalaise. En l’espèce, il s’agissait de la signature d’une convention avec le Royaume d’Espagne pour garantir le traitement aux travailleurs sénégalais dans les mêmes conditions que les travailleurs espagnols. « La convention lève les clauses de résidence pour l’accès aux prestations. 

 

Autrement dit, le travailleur sénégalais exerçant une activité en Espagne, pourra bénéficier des prestations servies par les organismes de sécurité sociale espagnols lorsqu’il décide de transférer sa résidence au Sénégal », mentionne l’un des termes de la convention. Sauf que pour ça, il va falloir déjà être régularisé. Un combat que mène Serigne Mbaye selon qui, les accords sur la migration circulaire « continuent dans le sens de traiter les gens comme des marchandises et une monnaie d’échange pour effectuer des travaux essentiels ». 

 

« S’il existe une réelle volonté de faciliter l’accès à l’emploi et de promouvoir une migration sûre, il y a des milliers de personnes en Espagne qui pourraient être embauchés, et qui sont dans une grande vulnérabilité sociale et professionnelle générant des souffrances quotidiennes, à travers des régularisations qui leur reconnaissent leur droit à la citoyenneté », suggère le député à l’Assemblée de Madrid. 

Abdoulaye Ndiaye demande pour sa part au Sénégal, de respecter ses obligations internationales et les accords qu’il a eu à signer dans le sens du respect de la dignité du migrant. Il préconise de rassurer le migrant de retour pour empêcher les nouveaux départs. 

 

En 2008, l’enquête du projet MAFE (Migration entre l'Afrique et l'Europe) a montré qu’un migrant sur quatre est rentré au Sénégal après cinq années passées à l’étranger. D’après les données de la même enquête, « Les retours d’Afrique ont lieu plus rapidement que ceux des pays du Nord, et les jeunes ont tendance à moins rentrer lorsqu’ils ont migré vers le Nord. ». « Parmi les migrants qui sont revenus au Sénégal, certains ont fait le choix de repartir vers l’étranger : 17 % des migrants qui ont effectué un premier retour résident à l’étranger au moment de l’enquête », reprend la note d’analyse de l’European  University Institut sur la Migration circulaire des sénégalais. 

Mardi 31 Août 2021




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