Déclaration de Politique Générale du Premier Ministre Amadou BA dans le contexte de volatilité du prix du baril de pétrole et de la production prochaine du premier baril de pétrole sénégalais pour une croissance à deux chiffres


La nomination d’un premier ministre est toujours un évènement. Toutefois, son traitement est souvent marqué plus par l’aspect médiatique que le contexte social et politique. Sa déclaration de politique générale l’est tout aussi, si bien entendue, elle est envisagée comme des réponses aux exigences du moment. Ce qui lui confère une importance historique. C’est un exercice qui engage, en tout cas, devant l’assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme ; une convenance politique pour une réponse économique et sociale. Une première épreuve de feu surmontée par le Premier Ministre Amadou Ba. Pugnace et sérieux sur la forme comme dans le fond, devant l’Assemblée nationale, il a réaffirmé son intention de mettre en œuvre le PSE, étoile polaire de la vision du Président Macky Sall. Sous ce rapport, le premier ministre a réussi à produire un discours aussi riche que celui de Raymond Barre en 1977 et Michel Rocard en 1988, qui détenaient le record dans l’usage de formes rares et la richesse lexicale tout à fait particulière.
Le premier ministre Amadou Ba, véritable commis de l’Etat, affiche en tout cas une vision claire du devenir de notre État et de ses structures. Il est clair qu’avec cette déclaration de politique générale, toute la sacralité est donnée au principe : Le président… préside ; le premier ministre gouverne… C’est en ce sens que le premier ministre coordonne l’action du gouvernement dans un contexte de volatilité du prix du pétrole, de la sortie du premier baril de pétrole sénégalais et de l’objectif historique d’atteindre un taux de croissance à deux chiffres.
Trois éléments qui, à coup sûr au bout du compte, seront (devront être) des facteurs déterminants dans la méthode gouvernementale de la « transformation » profonde de l’Etat et du Sénégal à travers la capacité des différents ministres à définir des feuilles de route claires et à avancer sur les priorités fixées par le président Macky Sall.

I. Une déclaration de politique générale du premier ministre dans un contexte de volatilité des cours du baril de pétrole et de production du premier baril de pétrole sénégalais en juillet 2023
 
A deux mois à peine, le prix du pétrole avait chuté de 20% en mars 2022. Après le pic atteint en avril 1980, le prix du pétrole a connu des chutes durables, en 1986 d’abord, à la fin des années 90 (11 dollars en décembre 1998) en raison d’une moindre demande très certainement provoquée par la crise asiatique de 1997, dans la seconde moitié de l’année 2008 liée à la crise financière mondiale (39 dollars en 2009), en 2015 (47 dollars), en 2018 (42 dollars en décembre) et enfin depuis mars 2022 avec cette baise de 20%. Les répercussions de cette tendance baissière sur l’activité économique sont diverses et à la fois variées sur l’économie des pays selon qu’ils soient importateurs ou exportateurs de pétrole. Le Sénégal, de 1973 à nos jours, en tant qu’importateur net de pétrole, en attendant son premier baril en 2024, et malgré qu’il fût sous ajustement structurel, a fait face à 40 ans de fluctuations du prix du baril.

Aujourd’hui, cette baisse du prix du pétrole constitue, a priori, une bonne nouvelle pour le Sénégal, pays importateur, dans le sens où elle crée véritablement une opportunité qui lui permettra de réduire considérablement le montant des dépenses énergétiques. Cela favorisera la relance de la consommation et par ricochet de la croissance économique dans ce contexte de reprise après la crise Covid. Également, cette baisse évite au Sénégal la triple peine liée à la hausse des prix alimentaires et des taux d’intérêt consécutive à la guerre russo-ukrainienne. L’impact de la baisse du prix du pétrole peut se traduire en effets macroéconomiques, en effets sectoriels et en effets sur les ménages. C’est pourquoi, les circuits par lesquels cet effet se transmet passent par les acteurs clés de l’économie sénégalaise.

À des degrés divers, tous les ménages sénégalais vont gagner en pouvoir d’achat, quels que soient leur revenu et leur lieu d’habitation (dakarois, koldois, tambacoundois, matamois, etc).

Parmi les entreprises, l’industrie dont l’énergie est le premier poste de coût, les services de Transport, le fret et les transports aériens seront les premières branches bénéficiaires de cette baisse. C’est dire que cette baisse du prix des hydrocarbures commence déjà à se diffuser aux prix d’autres produits que les carburants. Ainsi, par le biais des consommations intermédiaires, la baisse du prix des matières premières énergétiques se transmet progressivement aux autres produits courants dont les sénégalais ont besoin. En conséquence, les gains redistribués seront perceptibles à la fois aux utilisateurs finals et à l’appareil productif national.

Dans tous les cas, l'effet sera particulièrement notable pour le Sénégal qui a une économie relativement diversifiée avec un premier effet direct sur la baisse du prix des produits dérivés des hydrocarbures, intrants importants en termes de coût de production sur les secteurs clé que sont le transport, le commerce, les services. Donc, elle se transmet à l’économie via la baisse de ces prix des produits raffinés et du gaz distribué.

En termes de finance, la plus grande contribution de cette baisse du pétrole à la production domestique se traduit également par une amélioration du creusement du déficit courant. En somme, la baisse des prix du pétrole aura un impact immédiat sur les finances du pays à travers la chute des devises des pays exportateurs de pétrole avec un transfert de revenus entre pays importateurs et pays exportateurs du pétrole par le biais des marchés des changes.
 
La chute éventuelle du baril de pétrole pourrait, dans l’ère Amadou Ba, éviter au Sénégal une augmentation supplémentaire des subventions sur le pétrole et les autres produits notamment le blé.
 
En tout cas, il n’est plus possible de vouloir maintenir la paix sociale, par un maintien des subventions, dèjà que sa suppression constitue une recommandation forte des partenaires techniques et financiers. Aujourd’hui, puisque le déficit public du Sénégal a augmenté et en raison de la baisse du prix de l’or noir, c’est un moment privilégié d’encourager la réduction d’exemptions de taxes pour certaines entreprises et d’autres mesures d’austérité, d’autant plus que de 2015 à 2022, un impact économique mitigé sur les agents économiques est noté dans le maintien de ces subventions.

Pour l’Etat, acteur économique principal dans les pays comme les nôtres, sa facture pétrolière, ne cessant de progresser et représentant plus de 54% des recettes d’exportations, cela est devenu un lourd fardeau pour les finances publiques. Cette baisse constitue une diminution des coûts d’importations, favorable à la balance commerciale et soutenant la croissance. Pour les ménages, composantes principales des couches vulnérables, la baisse du prix des carburants à la pompe, entraîne mécaniquement une hausse sensible du pouvoir d’achat. Donc, les impacts de l’utilisation des ressources supplémentaires inattendus issues de cette baisse du prix du pétrole irradient tous les secteurs de l’économie et par conséquent pourrait permettre, si elle est durable bien évidemment, au Sénégal de supprimer progressivement les subventions.
 
Globalement, si le Sénégal a des ambitions de fêter, en 2032, 30 ans sans coupure d’électricité, par exemple, comme vient de le faire l’Allemagne qui fête 32 ans sans coupure en tant que pays non producteur de pétrole, alors le pays, producteur de pétrole en 2024, devrat être capable de gérer plus efficacement la volatilité du prix de ce bien mondial, par le canal de la promotion du secteur de l’énergie en venant à bout des sérieuses menaces de fermeture qui pèsent sur la Société africaine de raffinage (Sar) en raison d’une dette de 300 milliards contractée par l’État du Sénégal. Premier pas pour une fin des subventions. Donc la grande question est de savoir « Quel modèle de résilience pour le Sénégal face aux fluctuations récurrentes du prix du baril de pétrole et la difficulté de concevoir des choix de politique économique dans un tel contexte » ?
 
II. Une déclaration de politique générale du premier ministre pour montrer comment atteindre l’objectif du taux de croissance de 10,1%

La masse salariale va atteindre 1273 milliards en 2023. L’Etat est capable de supporter cela dans le sens où c’est un soutien à la consommation très déterminante dans l’atteinte de la croissance économique de 10,1%.

En 2023, une des caractéristiques associées aux projets de lois financières est une maitrise de la masse salariale. Cette masse salariale représente près de 10% de notre PIB, le 1/5 de notre budget. Cet indicateur, serait-il fondé à l’aune des prévisions macroéconomiques du gouvernement ? Pour cette année, les estimations seront-elles jugées crédibles et la prévision de déficit public serait-elle prudente au vu du dynamisme des recettes fiscales à la faveur de la mise en œuvre du plan « Yaatal » qui projette un objectif de 3 486,7 milliards de FCFA contre 3 052,1 milliards FCFA en 2022, soit une hausse de 434,6 milliards FCFA (14,2% en valeur relative) grâce à l’accélération de la mise en œuvre de la Stratégie des recettes à moyen terme (SRMT). Tout porterait à le croire que dans la stratégie de mobilisations des ressources publiques, l’Etat serait capable de supporter cette masse salariale. Toutefois la véritable question à se poser c’est comment faire de l’efficacité de l’administration publique, une administration de développement basée sur la mise à profit de la numérisation, de la dématérialisation, de la digitalisation… si l’on sait que moins de 120 000 travailleurs constituent le public. C’est d’autant vrai plus que les efforts conjugués, dans le cadre de cette stratégie et conformément aux directives de l’UEMOA et aux recommandations des rapports des partenaires techniques et financiers (BM et FMI) en matière de gestion des finances publiques, consolident la souveraineté budgétaire avec un taux de couverture des dépenses publiques sur ressources internes de l'ordre de 84% et un ratio de la masse salariale rapportée aux recettes fiscales qui devrait atteindre 36,5% en 2023,  permettant ainsi le renforcement de la solidarité nationale et des politiques d'inclusion sociale. En tout cas, comme le laisse également entrevoir le ministère des finances et du budget, tout ceci fait suite aux performances liées aux réformes engagées depuis 2012 dans le cadre de la gestion des finances publiques et du renforcement des bases structurelles de l’économie, à travers, notamment la mise en œuvre du Plan Sénégal Emergent (PSE), référentiel de la politique économique et sociale du gouvernement qui a permis la réalisation d’importantes infrastructures sociales, mais aussi des programmes structurants de construction d’infrastructures économiques stratégiques, en particulier, dans les secteurs des transports (TER, Autoroutes, BRT…) et des services énergétiques (parc de production, mix-énergétique, découverte, exploitation et production pétrolière et gazière…), qui doivent servir de base pour soutenir la croissance à deux chiffres attendue pour la première fois après le début des indépendances à 10,1% en fin 2023. Seulement, compte-tenu de la fragilité de certaines hypothèses, par exemple sur l’environnement international (la guerre Russo-ukrainienne, l’inflation importée, le renchérissement du dollar, la volatilité du prix du pétrole), nous considérons que la croissance prévue par le gouvernement est « un peu trop élevée » même si nous partageons les prévisions d’inflation et de masse salariale qui paraissent « plausibles ». Le Premier ministre et le gouvernement aura encore du pain sur la planche en matière budgétaire : il devra faire face à la cherté de la vie (l’inflation étant persistante) et réformer plus radicalement l’administration publique compte tenu du niveau de la masse salariale ; deux sujets économiquement et politiquement explosifs.

Les subventions pour le soutien aux ménages vont se poursuivre et ne dépasseront pas 2,2% du PIB afin de soutenir le taux de croissance projeté à 10,1% en 2023.

Le Sénégal a fait beaucoup d’efforts dans les politiques de subvention (4% du PIB) alors que les pays comme les nôtres sont à 2 %. Les montants des subventions ont atteint plus de 700 milliards l’année passée ; ils sont projetés à 450 milliards.  Nous sommes convaincus qu’il n’est plus possible de maintenir la paix sociale, par un maintien des subventions, déjà que sa suppression constitue une recommandation forte des partenaires techniques et financiers. Aujourd’hui, puisque le déficit public du Sénégal a augmenté et en raison de la baisse du prix de l’or noir, c’est un moment privilégié d’encourager la réduction d’exemptions de taxes pour certaines entreprises et d’autres mesures d’austérité, d’autant plus que de 2015 à 2022, un impact économique mitigé sur les agents économiques est noté dans le maintien de ces subventions. Pour les ménages, composantes principales des couches vulnérables, principaux destinataires des subventions, la baisse du prix des carburants à la pompe, entraîne mécaniquement une hausse sensible du pouvoir d’achat. Donc, les impacts de l’utilisation des ressources supplémentaires inattendus issues de cette baisse du prix du pétrole irradient tous les secteurs de l’économie et par conséquent pourrait permettre, si elle est durable bien évidemment, au Sénégal de supprimer progressivement les subventions. Donc la grande question est de savoir « Quel modèle de résilience pour le Sénégal face aux fluctuations récurrentes des prix au niveau mondial et la difficulté de concevoir des choix de politique économique dans un tel contexte » ?  En trouver la réponse est tellement important pour éviter l’effet d’éviction sur les autres postes de dépenses publiques.

Nous partageons l’avis du premier ministre qu’avec la mise en œuvre du PAP 2A, les perspectives économiques pour les prochains mois seront meilleures.

Le PAP 2A (version 3) a pour ambition de booster le secteur privé, après la mise en place d’infrastructures de rattrapage, afin de lui permettre de prendre son envol pour régler définitivement la question de l’emploi des jeunes. Cependant, le programme de relance, à la faveur des résultats positifs obtenus de la lutte contre la propagation du coronavirus, renforce l’environnement économique interne soutenu par des investissements structurants dans le cadre de la poursuite de l’exécution des projets et programmes du PSE (PAP2A, PREAC, …). En conséquence, l’économie sénégalaise a retrouvé en 2021 sa trajectoire de croissance d’avant la pandémie, qui a été estimée à 6,1 %, grâce à la vigueur de la production industrielle et du secteur des services, soit environ un point de pourcentage de plus que prévu, selon le FMI. Cette tendance devrait se confirme en 2022 avec un rebond à 5,5% et une forte augmentation de l’activité en 2023 pour une croissance à deux chiffres (10,1%) avec la production du pétrole sénégalais. Seulement, ces projections sont assombries par le conflit Russo -Ukrainien, de la flambée des prix mondiaux des matières premières, notamment du pétrole. Toutefois, pour que tout cela ait en définitive un effet sur le vécu des populations Sénégalaises, il nous faut que l’économie soit au service du social. C’est la grande prouesse qu’il faudrait réussir. Les réponses devront être tirées sur la capabilité à la transformation structurelle de notre économie à créer des emplois décents, un système sanitaire efficace, un modèle éducatif performant et un système de protection sociale des couches vulnérables plus large.

Nous encourageons la volonté du gouvernement de dégager des marges de manœuvre budgétaires fortes pour réaliser une croissance économique plus robuste, mais une croissance économique qui ne laissera personne au bord de la route.

Il est temps de faire comprendre qu’il y a un temps pour la rigueur pour dégager des marges de manœuvre budgétaires. La rigueur budgétaire s'impose dans les bonnes années, avec un taux de croissance de 10,1% à la faveur de la production du pétrole et du gaz. C'est vrai, depuis très longtemps, tous les déficits sont présentés comme temporaires, mais ils perdurent et la dette ne cesse de grossir. Si nous la laissons filer une fois de plus, nous continuons dans la voie détestable dans laquelle nous nous fourvoyons depuis trop longtemps avec la masse salariale galopante qui représente 40 % des ressources internes et 50% pour le paiement de la dette et des services de la dette. Même si nous sommes convaincus, en keynésien déterminé qui estime qu’il faut creuser les déficits, que le débat dur la dette est un faux débat, il n’en demeure pas moyen que cette croissance de la dette pourrait constituer un lourd fardeau pour les finances publiques et laisserait un peu de marge de manœuvre pour les choix de politiques économiques. La marge de manœuvre pour le pays reste faible, mais elle est modulable et perfectible. Nous estimons que le Sénégal dispose d’une potentielle marge de manœuvre budgétaire pour réagir aux chocs combinés et utiliser sous forme de subventions ces ressources potentielles à travers des programmes d’ajustement pour s’adapter aux chocs à venir.

Thierno Thioune
Maître de Conférence Titulaire
Directeur du CREA
Centre de Recherches Economiques Appliqées
Faculté des Sciences Economiques et de Gestion
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Vendredi 16 Décembre 2022
Dakaractu




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