Crise au Sénégal: beaucoup d'inconnues, quelques réponses


Le Sénégal, souvent vanté pour sa stabilité et ses pratiques démocratiques, est plongé dans l'une de ses plus graves crises politiques depuis l'annonce du report de la présidentielle prévue le 25 février. Quelques éléments de compréhension.

- D'où vient la crise ?-
Le président Macky Sall a annoncé le 3 février le report de la présidentielle à trois semaines de l'échéance.

Le Parlement a dans la foulée approuvé une loi qui repousse l'élection au 15 décembre et maintient le président Sall à son poste jusqu'à la prise de fonctions de son successeur, probablement début 2025, au lieu du 2 avril 2024. Le texte a été approuvé par les députés du camp présidentiel et les partisans d'un candidat disqualifié, Karim Wade.

Les défenseurs du report invoquent les contestations auxquelles a donné lieu la validation de vingt candidatures par le Conseil constitutionnel, et les accusations de corruption portées par M. Wade contre deux juges du Conseil. Ils disent vouloir une élection incontestable, s'inquiétant du risque de troubles, comme le pays en a connu en mars 2021 et juin 2023.

Ces derniers avaient été été liés à un refus par les opposants d'un éventuel troisième mandat de M. Sall, mais aussi et surtout par le sort du candidat Ousmane Sonko, considéré comme un des favoris du scrutin mais contre lequel les affaires judiciaires se sont multipliées, des coups montés selon lui.

- Quelle réaction ? -
L'opposition crie au "coup d'Etat constitutionnel". Pour elle, le camp présidentiel s'arrange avec le calendrier parce qu'il est sûr de la défaite de son candidat, le Premier ministre Amadou Ba, désigné par M. Sall pour lui succéder. Elle soupçonne une manœuvre pour que ce dernier reste au pouvoir, même si M. Sall répète qu'il ne se représentera pas.

Une vive réprobation s'exprime sur les réseaux sociaux. Quelques tentatives de manifestation ont été réprimées et des dizaines de personnes interpellées. Des groupes de la société civile ont appelé à la mobilisation à partir de vendredi.

- Le président peut-il reculer ? -
Il n'en a donné aucun signe. Il a demandé à son gouvernement de prendre des mesures d'apaisement. "Il n'a jamais reculé, pour lui c'est une question d'amour propre", analyse Sidy Diop, directeur adjoint des rédactions du quotidien le Soleil, en notant qu'un certain nombre de candidats sont favorables au report.

Cependant, nuance-t-il, le chef de l'Etat est "en très mauvaise posture". Si la société civile et l'opposition "parviennent à imposer un rapport de force défavorable au pouvoir et à rallier la communauté internationale, le président peut reculer", dit-il.

La pression internationale "peut avoir un impact", estime également Alassane Beye, enseignant-chercheur à l'université de Saint-Louis. Mais "tout dépendra de la dynamique unitaire de la société civile et des partis".

- Quel rôle pour le Conseil constitutionnel ? -
Avec la vigueur de la mobilisation, c'est l'une des grandes inconnues. La constitutionnalité de la loi est abondamment remise en cause. Plusieurs candidats ont saisi le Conseil. Le gouvernement réfute la compétence des sept juges.

Sidy Diop n'exclut pas que la Cour censure la loi, ce qui impliquerait des élections dans les prochaines semaines, dit-il.

Issa Sall, ancien membre de la commission électorale, s'attend en revanche à ce que la Cour se déclare incompétente. Dans le cas contraire, elle "devra décider d'une nouvelle date de l'élection".

- Et si le 15 décembre est maintenu ?-
Autre immense inconnue. Faudrait-il tout reprendre à zéro, en particulier la périlleuse validation ou invalidation des candidatures, dont celles des candidats antisystème Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, les chefs du parti Pastef.

Le Pastef a été en 2021 et 2023 à la pointe de la confrontation contre le pouvoir, qui a fait des dizaines de morts et conduit à des centaines d'arrestations. MM. Sonko et Faye sont en prison depuis 2023 et les autorités ont dissous le Pastef. Le Conseil constitutionnel a disqualifié M. Sonko, mais a validé la candidature de M. Faye. Ce dernier s'est imposé comme un prétendant crédible à la victoire.

Alassane Baye note que le président Sall a proposé un dialogue, au cours duquel seraient discutées les conditions d'une élection "inclusive". "Des élections inclusives, ce sont des élections qui permettent à tout le monde de participer", y compris donc M. Sonko, juge-t-il.

Le président Sall "ne peut pas pacifier s'il ne trouve pas un accord avec le Pastef", dit Sidy Diop. Or un avènement du Pastef est la grande crainte du camp présidentiel. Si "c'est pour remettre le Pastef dans le jeu, pourquoi avoir fait tout ça.", demande-t-il, en rappelant le bras de fer des trois dernières années.
Vendredi 9 Février 2024
Dakaractu




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