LES BONNES FEUILLES DE « FODE KABA II » : Des Diambars dans le vent ! (Par : Colonel Mbaye Cissé)


LES BONNES FEUILLES DE « FODE KABA II » : Des Diambars dans le vent ! (Par : Colonel Mbaye Cissé)
Le 30 juillet 1981, Kukoy Samba Sagna, à la tête d’un groupe d’insurgés, s’empare du pouvoir en Gambie. Le président légalement élu, Daouda Keiraba Jawara, est à Londres. Très vite, la situation vire au chaos ; des centaines de personnes sont prises en     otages dont l’épouse et les enfants du président gambien. Il faut agir vite. En exécution des accords de défense sénégalo-gambiens signés en 1965, le président Abdou Diouf, fraichement installé à la tète de l’Etat, répond favorablement à la demande d’intervention formulée par la Gambie.  Les Jambaars n’ont plus de temps à perdre. Ce livre du colonel Mbaye Cissé, ancien enfant de troupe, est  le récit de l’intervention courageuse des Jambaars en Gambie. Issu de l’Enoa (Ecole nationale des officiers d’active) de Thiès, le colonel Mbaye Cissé, à travers son livre préfacé par le général Abdoulaye Fall (Cemga à l’époque puisque l’ouvrage a été achevé en 2011 et publié en juillet 2015 ) rappelle la chevauchée héroique des Jambaars  jusqu’à leur entrée sur le territoire gambien. Auteur de plusieurs publications militaires, cet officier supérieur retrace la préparation des soldats et les actions de combat dignes d’une Armée de métier qui mèneront, en moins d’une semaine, au rétablissement de l’ordre constitutionnel en Gambie. Avec « Fodé Kaba II » se glorifie Mbaye Cissé, les Jambaars venaient de signer, dans l’enthousiasme et l’allégresse, un long bail avec l’avenir estampillé du sceau «  On nous tue, on ne déshonore pas ! » « Le Témoin » vous livre en exclusivité les bonnes feuilles de « Fodé Kaba II ». A consommer sans modération…

« En cette matinée du jeudi 30 juillet 1981, l’état-major général des Armées connait une atmosphère calme. Le ramadan, le mois de jeûne musulman, qui s’achève dans deux jours,  a été particulièrement dur. Les « paras » (Ndlr, salaires) sont tombés et les pères de famille, les poches pleines, ont tous l’esprit tourné vers les préparatifs de l’Eid Al Fitr ou Korité, fête marquant  la fin du jeûne. Le colonel Saliou Niang, Sous-chef d’état-major chargé des opérations, n’échappe pas à la frénésie. Cette année-là, il s’est fait confectionner un joli boubou bleu et manifeste la ferme intention de passer une belle fête en famille. Malgré un agenda  chargé du fait de l’absence du Mamadou Mansour Seck, Sous-chef d’état major des armées,  en mission à l’étranger, il tient bon et attend avec impatience la korité qui coïncide cette année avec le week-end. Le téléphone interrompt ses rêveries. C’est le général Idrissa Fall, Chef d’Etat major des armées, qui est au bout du fil. Très tôt ce matin, le Premier ministre Habib Thiam lui a transmis les instructions du Président Diouf demandant aux Armées de mettre en exécution l’accord de défense liant le Sénégal à la Gambie.

Après avoir pris bonne note, il parla directement au Président comme pour attirer son attention sur l’emploi de la force armée qui, à ce niveau, relevait directement de sa haute autorité es qualité de Chef suprême des Armées. Pour lui, l’histoire venait de se répéter sur ce point précis. En effet, au moment de « Fodé Kaba I », le Premier ministre, Abdou Diouf, lui avait fait part, dans les mêmes conditions, des ordres du président Senghor. Lorsqu’il prit l’initiative  de s’assurer auprès de ce dernier de la teneur des ordres à lui transmis, le Président Senghor décoda très vite le message et lui dit d’un ton railleur : « Ah ! Général ! Vous et vos principes…   Les principes que j’ai appris à vos cotés, Monsieur le président » répondit-il.

Pour avoir été pendant plusieurs années l’aide de camp de Senghor, le Général Fall revendiquait avec fierté un sens de l’organisation, de la méthode et du respect des formes.  « Fodé Kaba II » venait officiellement de naitre. Il fallait traduire en actes la volonté des autorités dans les meilleurs délais. Le quartier Dial-Diop retrouva soudain son effervescence des grands jours. Des bureaux fusent les premiers messages mettant en alerte les unités et rassemblant les éléments utiles à la prise de décision du chef (…)
 
« Non, Monsieur le Premier ministre, c’est le Chef Suprême des Armées qui doit déclencher ce genre d’opération ! »

Dans l’Armée de l’air, c’est vraiment le printemps. L’ère des avions Dakota est définitivement close. Les hélicoptères Puma côtoient l’escadrille de chasse composée de Fuga Magister, et la flotte d’avions de transports à base de Fokker 27 (…). A la Marine nationale, la vitalité de l’Armée se confond à la figure emblématique de son chef, le capitaine  de vaisseau Faye Gassama, qui avait fini d’en faire un pion efficace et respecté. Mieux, la Marine venait de mettre sur pied, dans le cadre de sa montée en puissance, sa première unité de commandos fusiliers marins, une unité d’élite, qui fera parler d’elle dès l’entame des opérations. C’est dire que les Jambaars, sifflotant dans le vent, s’adossaient à un outil performant préparé à l’action, à une instruction et un entrainement de qualité et, enfin, à un leadership incontesté fait d’audace et de pragmatisme. Dans l’après-midi du jeudi, toutes les unités sont en alerte. A 17h15, un hélicoptère décolle de Dakar, avec à son bord le colonel Kondé commandant de l’Armée de terre, accompagné du lieutenant-colonel Gomis, Inspecteur technique des Armées, pour remettre l’ordre d’opérations au lieutenant-colonel Abdourahmane Ngom dit Abel, commandant la zone militaire sud. Désigné commandant opérationnel du théâtre en Gambie, le lieutenant-colonel Ngom traine une solide réputation de baroudeur. Issu de l’Ecole spéciale militaire interarmes de Strasbourg, puis de Coetquidam, diplômé de l’Ecole des troupes aéroportées de Pau en France, ancien d’Indochine et d’Algérie, il se distingue par son allure guerrière, sa bonne tenue et son sang froid. Aide de camp du président Senghor, de 1965 à 1968, il est présent à la Grande Mosquée de Dakar lors de la tentative d’assassinat perpétrée contre ce dernier. Il a quitté ses fonctions avec un témoignage de satisfaction du président Senghor.
 
« A  bord du Fokker, 122 parachutistes sautent dans une  zone, loin de l’aéroport de Yundum »

Les avions Fokker F27, qui avaient décollé de Dakar le jeudi 30 juillet à 17 h 25, étaient maintenant dans l’espace aérien gambien, depuis plusieurs minutes. A bord, 122 parachutistes dont le chef de corps, le commandant Didier Bampassy, qui retrouve Yundum après quelques mois. La sonnerie annonçant l’imminence du largage retentit dans l’avion leader à 18h, mais les largueurs éprouvent des difficultés pour ouvrir la porte (…) Le sergent-chef Serigne Momar Ka et quatre autres parachutistes largués au cours du second passage à coté de Busumbala en feront les frais, traqués qu’ils seront pendant deux jours par des rebelles. Sitôt réarticulés au sol, les paras prennent les dispositions de combat. Les ordres sont donnés pour ratisser la zone et retrouver une arme collective, un poste radio et deux musettes qui avaient fait « tapis », selon le jargon parachutiste. A 19h 20, le Chef de corps essaye de rendre compte à Dakar des conditions du déroulement du saut. En vain. Il entame sa progression, à pied, en direction de Yundum via Busumbala. Arrivés à Busumbala, les paras mettent en place un dispositif de sécurité pour pouvoir le renverser.  C’est en ce moment que la section envoyée en couverture au sud du village est accrochée par des rebelles. Après un échange de tirs intenses, les paras enregistrent les premiers blessés et disparus. En effet, le commandant de compagnie, le lieutenant El Hadj Malick Cissé alias Khomeiny, rend compte de la disparition du caporal Emile Tendeng envoyé quelques minutes plutôt à Jumbar pour recueillir le sergent Boubacar Cissé et le caporal-chef Matar Ndiaye coupés de la colonne et retenus en arrière à arranger les sangles de leurs sacs à dos. Négligence ou impréparation ?
 
« Cinq paras égarés au sol et traqués par les rebelles pendant deux jours… »

Malgré les recherches à l’intérieur du village, le caporal Tendeng est introuvable ; il sera fait prisonnier par des rebelles. N’ayant toujours aucune liaison avec l’Etat Major à Dakar, la progression reprend son cours à 23h30 ; les blessés sont portés sur des brancards de fortune ; deux rebelles faits prisonniers à Busumbala obligent les paras à renforcer les mesures de sécurité. Du coté de Dakar, le silence du commandant Bampassy  est troublant. Deux Fokker 27 se relayent en vain pour essayer d’établir le contact radio. Le commandant Bampassy aurait-il volontairement éteint son poste pour se concentrer sur sa mission et éviter d’éventuelles interceptions radiophoniques ?
« Du coté de Dakar, le silence du commandant Didier Bampassy est troublant… »

On dira plus tard qu’il aurait reçu l’ordre du colonel Niang, Sous-Chef  chargé des opérations, lui intimant l’ordre  de n’entrer en contact avec Dakar que lorsqu’il mettrait pied dans l’aéroport de Yundum. Pas avant.  A 5h, les paras aperçoivent le mur de cloture de l’aéroport de Yundum. Profitant de l’obscurité, un élément de la valeur de deux sections s’engage rapidement et s’empare des bâtiments de l’aérogare et de la tour de contrôle. Les rebelles, une trentaine, trouvés sur place, pour la plupart jeunes et drogués, n’opposent pas une grande résistance et se rendent. Les quelques téméraires sont tués ou désarmés en un temps record. L’aéroport est sous contrôle malgré les tirs sporadiques de harcèlement qui n’empêcheront pas à la noria d’aéronefs de se poser (…)En effet, tirant les leçons de Fodé Kaba I, les rebelles s’étaient  préparés à une intervention des troupes sénégalaises. La parade qu’ils ont trouvée a été, dès le début de la crise,  de prendre en otages des civils pouvant servir de moyens de pression. C’est ainsi que l’épouse du  Président Jawara, Lady Jilel, ainsi que ses enfants, un nombre élevé de fonctionnaires étrangers et quelques  figures représentatives de la colonie sénégalaise furent capturés (…)
 
« A son tour, le colonel Abel Ngom prend en otage les chefs rebelles venus négocier »

Ayant envoyé les otages sénégalais porter le message auprès du lieutenant-colonel Ngom,  et attendant impatiemment une issue  heureuse, les hommes de Kukoi eurent la surprise de leur vie. En effet, non seulement le lieutenant-colonel Ngom refuse de négocier, mais encore il garde par-devers lui les otages venus parlementer. Les rebelles entrent dans une  colère noire et ouvrent le feu sur les militaires. La confusion s’installe ; les tirs partent de toutes parts ; les Sénégalais sont un peu bousculés, car n’ayant pas tout suite imaginé que les rebelles passeraient aussi rapidement d’une posture de négociation  à une attitude si agressive. Ils ignoraient, cependant, que ces derniers avaient dissimulé derrière les véhicules garés dans l’enceinte de l’aéroport  et même sur les arbres un nombre impressionnant de combattants (…)
 
«   33 morts soldats sénégalais tués »

Au soir du 31 juillet, toutes les opérations terrestres, aériennes et navales engagées dans l’opération « Fodé Kaba II » ont mis pied sur le sol gambien. A Dakar, la progression est suivie, minute par minute, dans la salle des opérations que le ministre des forces armées, Daouda Sow, a rejointe pour mieux vivre les événements (…) Par un heureux hasard, le médecin-capitaine Gorgui Diaw, médecin-chef de la zone militaire de Tamba, se trouve être le plus ancien dans le grade parmi les hommes en blouse blanche présents sur le théâtre. Investi des fonctions de médecin-chef de théâtre, il étonne dès les premières heures par son dynamisme et son courage, entouré des médecins-capitaines Mamadou Ndoye, Makhfouz Sarr et des médecins-lieutenants Makhone Douta Seck du bataillon des parachutistes et Cheikh T. Touré (…)
 
« Les Blindés entrent dans le Palais et hissent le drapeau annonçant le retour de Jawara »

Les éléments du bataillon des blindés hissent les couleurs gambiennes sur le mât de la présidence et des bâtiments publics. Il faut faire vite, le président Jawara est annoncé pour 11h. Du coté de Dakar, le contrôle de la capitale, Banjul, et des principales villes était suffisant pour enclencher le mouvement retour du Président gambien. Son come-back en terre gambienne était la preuve la plus éloquente de l’échec de l’insurrection (…)
 
« L’assaut du Gign pour libérer l’épouse du Président et ses quatre enfants… »

A Yundum, un  détachement spécial est mis sur pied. Dirigé par le capitaine Joseph Gomis, il regroupe 51 hommes dont deux sections à 20 combattants, issus pour l’essentiel du bataillon commando, et 11 membres du Groupement d’Intervention de la Gendarmerie (Gign) (…) Pour ne pas éveiller les soupçons, les rois britanniques des forces spéciales, comme de simples membres inoffensifs du consulat, allaient raccompagner le médecin-chef comme si rien n’était, couverts discrètement par le reste du détachement. Dans un mouvement précis et rapide, les rebelles sont neutralisés par les Britanniques qui sortent du bâtiment avec l’épouse du Président et les quatre enfants. A la sortie, un véhicule d’intervention des rebelles tente de s’interposer avant d’être pris à partie par les éléments du Gign qui blessent l’un d’entre eux, avant d’en faire prisonnier (…) Communiqué : L’Etat Major-Général des Armées rappelle les faits vérifiables suivants : Pendant les récentes opérations de Gambie, les Forces armées sénégalaises ont eu à déplorer : 33 militaires tués dont 02 officiers ; et 85 militaires blessés dont 01 officier. Tout autre chiffre avancé par les organes est rigoureusement erroné. Par (Po) Le Colonel Mamadou Mansour Seck, Sous-chef d’Etat Major des Armées (…)

Nb : Les intertitres sont de la Rédaction
« Le Témoin » quotidien

 
 
 
 
Lundi 7 Septembre 2015




1.Posté par Oumar Bakayoko le 07/09/2015 11:51
Le philosophe qui s'essaie au travail de l'historien avec bonheur.Un livre à lire absolument!Géostratégie oblige!
Merci mon colonnel.



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