Contribution - Contentieux sur l’acquisition des 615 véhicules du Ministère chargé des collectivités locales : où se trouve le droit ?


Contribution - Contentieux sur l’acquisition des 615 véhicules du Ministère chargé des collectivités locales : où se trouve le droit ?
Depuis plus de deux mois, l’actualité des marchés publics est dominée par le contentieux opposant le groupement CCBMI – Espace Auto à l’entreprise TSE. Le premier a en effet introduit un recours non juridictionnel devant l’ARMP pour contestation de l’attribution provisoire des deux lots de fourniture de véhicules à TSE par le Ministère chargé des collectivités locales.
A l’appui de son recours (Lot 2), le groupement CCBMI – Espace Auto allègue que TSE ne respecte pas les critères de qualification technique indiqués dans le dossier d’appel d’offres.
Par décision N° 192/14/ARMP/CRD du 23 Juillet 2014, l’ARMP a demandé à l’autorité contractante de réexaminer le dossier de TSE sur la base des nouveaux éléments de preuve qu’elle devra fournir sur ses capacités techniques.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il ne serait pas superflu de rappeler la base juridique de cette décision de l’ARMP qu’est l’article 44 du code des marchés publics (CMP) : 
‘’… tout candidat à un marché public doit justifier qu’il dispose des capacités juridiques, techniques, financières et environnementales requises pour exécuter le marché, en présentant tous documents et attestations appropriés énumérés par le dossier d’appel d’offres (DAO)…’’.
L’article énumère ensuite la liste non limitative des documents que l’autorité contractante doit exiger des candidats. La lecture combinée des deux alinéas suivants du même article permet de déduire qu’à l’exception de la caution de soumission, tous les autres documents énumérés peuvent être fournis à postériori, après l’ouverture des plis avec la seule limite qu’ils doivent l’être avant le prononcé par l’autorité contractante de l’attribution provisoire.  
Dans la pratique, il est important de rappeler que deux types de documents manquent habituellement dans les dossiers de soumission des candidats :
- les pièces administratives (quitus fiscal notamment),
- les documents justifiant la qualification du soumissionnaire (qui portent généralement sur les justificatifs d’exécution de marchés similaires (attestations de service fait) ou sur les justifications des capacités techniques (disposer d’un garage par exemple pour un concessionnaire de véhicules ou de matériels de construction (exemple grue) pour une entreprise de BTP)).
Comme indiqué ci –dessus, l’alinéa 3 de l’article 44 du CMP autorise l’autorité contractante à impartir un délai aux soumissionnaires pour compléter leurs dossiers sur les éléments précis listés. Ces cas ne soulèvent ainsi aucune complexité puisque instruits dans le cadre strict défini par le CMP.
Dans d’autres cas plus complexes, c’est à partir des éléments fournis par le candidat dans son dossier de soumission que la Commission des marchés déclenche une procédure dite de renseignements complémentaires ou d’éclaircissements afin de disposer d’éléments plus précis lui permettant d’évaluer la conformité de son offre. Et c’est là où tous les contentieux comme celui qui nous intéresse se posent.
En effet, cette procédure, du fait qu’elle n’est pas bien définie dans le code des marchés, a ceci de pernicieux qu’elle laisse, faute d’être encadrée, une large autonomie aux commissions de marchés pour définir, selon, il faut le reconnaître, la ‘’tête’’ du soumissionnaire défaillant, la faculté de l’éliminer séance tenante après avis du comité technique d’évaluation ou de lui demander de fournir des renseignements ou documents complémentaires qui viennent préciser son offre.
Dans le cas du marché objet de cet article, parmi les critères de qualification définis, il ressortait que le soumissionnaire devait prouver la disponibilité des trois éléments ci – après :
un magasin de stockage de pièces de rechange pour les modèles proposés,
un atelier de réparation et d’entretien performant et un personnel expérimenté dont un cadre supérieur et deux ouvriers qualifiés
un véhicule de dépannage équipé de moyens de remorquage.
 
Il ressort de la décision de l’ARMP que l’un des soumissionnaires, la TSE, en l’occurrence, n’avait pas fourni, en tout cas jusqu’à l’attribution provisoire du marché, les éléments factuels justifiant qu’il remplissait ces exigences de qualification. Voici en substance la décision de l’ARMP sur le lot 2 :
‘’L’ARMP, après avoir constaté que l’attributaire provisoire du marché (TSE) n’a pas apporté des preuves suffisantes justifiant sa qualification au regard des critères exigés, demande à l’autorité contractante de réévaluer le lot 2 pour s’assurer de la qualification de TSE concernant la disponibilité d’un service après vente sur la base des preuves pertinentes obtenues’’.
 
Cette décision constitue, à notre avis, un grave précédent en termes de jurisprudence dans le sens où elle légalise définitivement la pratique pernicieuse de certaines autorités contractantes consistant à élargir de façon illimitée l’objet des procédures de demande de renseignements complémentaires ou d’éclaircissements.
 
En effet, il serait désormais permis aux commissions de marchés de ne plus se limiter aux éléments factuels de preuves clairement exigés dans le cahier de charges pour décider ou de l’élimination en phase de post - qualification du soumissionnaire dont l’offre, conforme, est évaluée la moins disante.
Même si l’exigence portait sur la preuve des éléments factuels justifiant leur qualification, la faculté leur sera désormais offerte de demander aux soumissionnaires concernés qui sont en phase de remporter le marché de revenir ultérieurement, qui plus est, dans un délai non encadré, donc élastique, leur apporter les preuves pertinentes de leur qualification. Indubitablement, cette souplesse ouvrira la porte aux procédures de régularisation à outrance avec la complicité des partenaires techniques ou financiers de l’heureux soumissionnaire. Et tous les documents y passeront : attestations de service faits, attestations de capacité financière, preuves de capacité technique …
Dans le cas du présent marché, partant de la porte entre- ouverte par la décision de l’ARMP, le soumissionnaire TSE a ainsi tout le loisir de régulariser tous les éléments relatifs à sa capacité technique qui manquaient dans son dossier, jugeons en :
 
Insuffisance relevée Possibilité de régularisation offerte
Absence de preuve d’un magasin de stockage de pièces détachées pour le modèle proposé Aménager immédiatement un magasin, acquérir quelques pièces détachées pour le modèle proposé et le tour est joué 
Absence de preuve d’un atelier de réparation et d’entretien performant et d’un personnel expérimenté dont un cadre supérieur et deux ouvriers qualifiés Aménager un atelier, recruter le personnel identifié et le tour est joué
Absence d’un véhicule de dépannage équipé de moyens de remorquage Acquérir le véhicule avec toutes les caractéristiques exigées et le tour est joué
 
Maintenant que l’ARMP a rendu souverainement cette décision, il resta pour toutes les parties prenantes (l’autorité contractante en particulier) à sauver la crédibilité de la procédure d’instruction en garantissant que le dossier complété a été examiné avec toute l’indépendance requise et le souci de transparence gage de l’équité de tous les candidats dans la procédure. Aussi, en tant que professionnel, il nous paraît pertinent de suggérer des points clés de vérification aussi bien à l’autorité contractante qu’humblement à l’ARMP :
 
Pour le véhicule de remorquage, ne pas se limiter au constat physique de son existence, mais examiner la carte grise pour voir la date d’immatriculation, la facture, on le sait pouvant être antidatée avec la complicité du fournisseur – partenaire ;
Pour les justificatifs de disponibilité de pièces détachées, ne pas aussi se limiter au constat physique de leu existence dans le garage, mais obtenir les documents de déclaration d’importation fournis par la douane (DPI, connaissement, liste de colisage et autres (source beaucoup plus fiable)) ;
Pour le justificatif de disponibilité d’un cadre supérieur et de deux ouvriers qualifiés, ne pas se limiter à obtenir leur CV uniquement, mais obtenir leurs contrats de travail dûment visés par l’inspection du travail et leur situation de participant à l’IPRES (pour justifier qu’ils étaient régulièrement déclarés). Par ailleurs, les vérificateurs pourront aussi aisément se reporter aux pièces administratives déjà fournies par le soumissionnaire TSE dans son dossier relativement à sa situation administrative au niveau de l’IPRES et de la caisse de sécurité sociale (dans les deux documents est précisé le nombre d’agents déclarés par l’entreprise).  
  
Dans un autre sillage, l’ARMP a rejeté partiellement le recours du soumissionnaire CCBMI – Espace Auto sur deux points qui nous paraissent contestables :
o Sur la date des attestations de service fait fournies par TSE : l’ARMP considère que le fait que les attestations datent de 7 ans, donc hors de la période de référence exigée, est une déviation mineure, ce qui est contestable puisque non argumentée. En effet, la fixation de la période de référence (généralement 3 ans dans les procédures de passation de marchés et rarement 5 ans) a pour objet de s’assurer que l’expérience du candidat dans le domaine objet du marché est récente et actuelle. Dans le domaine objet du litige, il est évident qu’une preuve de capacité à exécuter un marché quel qu’il soit, qui date de plus de 7 ans ne peut être considérée comme pertinente d’autant que les capacités financières ou techniques intrinsèques du candidat peuvent substantiellement changer sur cette durée assez longue. L’ARMP conviendra avec nous que sur aucune procédure de passation de marchés, une autorité contractante n’a jusqu’ici eu à fixer une période de référence de 7 ans, le délai maximal étant, comme on l’a vu, de 5 ans.
o Sur l’insuffisance de la puissance de la cylindrée des véhicules fournis par TSE : l’ARMP considère que du moment où l’offre de TSE fait référence à une cylindrée de 2800 cc, il ne saurait être question de contester cette affirmation, ‘’il faut les croire’’. A ce niveau, le lecteur constate aisément une politique de deux poids, deux mesures. En effet, lorsqu’il s’est agi de la part de l’autorité contractante de contester la validité du prospectus fourni par le groupement CCBMI-Espace Auto, l’ARMP a considéré que pour dissiper le doute, l’autorité contractante pouvait saisir le constructeur pour vérifier les spécifications techniques contenues dans l’offre du groupement alors que pour l’offre de TSE pour laquelle le requérant soulève un doute sur la capacité de la cylindrée, l’ARMP considère que les parties peuvent se limiter au contenu de l’offre de TSE c'est-à-dire à sa déclaration signée par son directeur général.
Au total, on le voit, si sa mission de régulation l’a souvent conduit à introduire des points de souplesse dans les procédures de passation des marchés afin d’assurer leur célérité et leur efficacité, l’ARMP doit, au demeurant, être plus vigilante et rigoureuse dans ces assouplissements, certains pouvant en effet induire une distorsion de la concurrence du fait de la faculté donnée à certains soumissionnaires d’affiner (on dirait dans le sens figuré ‘’régulariser’’) le contenu de leur offre. 
 
Mohamed LO
Consultant international en passation de marchés
chmam07@yahoo.fr
 
commissions des marchés d’impartir un délai supplémentaires aux candidats 
 
Lundi 29 Septembre 2014




1.Posté par panaf le 29/09/2014 11:46
Mr,sachez que ces controles et verifications étaient aussi valables pour ccbm.Et riens ne prouve que ccbm remplissait toutes ces conditions.Il faut aussi tenir un élement très très importants:l'offre la moins disante.



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