Ce que l'on sait des 49 militaires ivoiriens détenus au Mali


Mercenaires pour les uns, simples soldats en mission pour les autres: le Mali et la Côte d'Ivoire opposent des versions contradictoires depuis l'interpellation dimanche de 49 militaires ivoiriens à l'aéroport de Bamako.

Quatre jours plus tard, les militaires sont toujours en détention, la junte malienne promettant de les livrer à la justice quand les Ivoiriens appellent à leur libération "sans délai".

Si très peu d'informations filtrent des négociations en cours entre les deux pays, des éléments de compréhension se dessinent sur la situation de ces soldats.

 

- Qui sont les 49 militaires interpellés au Mali?-

Les 49 hommes et femmes, détenteurs d'un passeport ivoirien, sont arrivés dimanche en habit militaire mais non armés. Ils sont tous membres de l'armée ivoirienne.

Leurs armes se trouvaient dans un second avion, a précisé la Côte d'Ivoire mardi à l'issue d'un Conseil national de sécurité.

Ils n'avaient à leur arrivée "ni ordre de mission ni autorisation", selon Bamako, et auraient avancé "quatre versions différentes" pour "justifier leur présence" au Mali, dont une "mission confidentielle" dont les contours n'ont pas été précisés.

Les autorités maliennes, dominées par des militaires à l'origine de deux coups d'Etat depuis 2020, ont en outre affirmé que "la profession réelle des militaires était pour la plupart dissimulée" sur leur passeport.

Elles les ont interpellés et les ont taxés de "mercenaires", les accusant d'avoir comme "dessein funeste" de "briser la dynamique de refondation et de la sécurisation du Mali, ainsi que du retour à l'ordre constitutionnel".

 

-Que devaient-ils faire au Mali?-

Les 49 soldats ivoiriens devaient, selon Abidjan, prendre la relève d'autres Ivoiriens déployés au Mali en tant qu'Elements nationaux de soutien (ENS), une procédure de l'ONU permettant aux contingents des missions de maintien de la paix de faire appel à des prestataires extérieurs à l'ONU pour des appuis logistiques.

Ils étaient la 8e rotation de soldats à venir au Mali pour cette mission, a détaillé la Côte d'Ivoire.

Une convention a été signée en juillet 2019 entre Abidjan et l'ONU concernant leur présence au Mali, de même qu'un autre contrat "de prestations de services" avec une société privée, Sahel Aviation Services (SAS), a détaillé le Colonel Armand Mahi Guezoa, de l'état-major ivoirien.

SAS dispose d'une base au sein de l'aéroport de Bamako, sur laquelle étaient postés ces ENS, qui sert de "base logistique" pour plusieurs partenaires internationaux du Mali, parmi lesquels des éléments ivoiriens mais aussi des éléments allemands, autrichiens, belges, suédois ou encore pakistanais, selon l'état-major ivoirien.

Elle est sécurisée par les Ivoiriens, a indiqué à l'AFP le ministère allemand de la Défense, dont un porte-parole a confirmé y avoir des soldats "stationnés".

"C'est sur cette base, partagée avec d'autres pays, que transitent nos matériels, nos équipements et nos nombreux militaires" pour les contingents ivoiriens de la mission de l'ONU au Mali (Minusma), basés à Mopti et Tombouctou, a souligné le Colonel Mahi Guezoa.

 

-Comment sortir de l'impasse?-

Interrogé par des journalistes sur la suite des événements, le porte-parole du gouvernement ivoirien a répondu que "seules les autorités maliennes peuvent (...) répondre".

Le Mali et la Côte d'Ivoire entretiennent des relations tendues, la seconde étant perçue comme l'un des fers de lance du durcissement des sanctions économiques de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) pour inciter à un retour rapide des civils au pouvoir. Elles ont été levées au début du mois de juillet.

La crise politique au Mali va de pair avec une grave crise sécuritaire en cours depuis 2012 et le déclenchement d'insurrections indépendantiste et jihadiste dans le nord. Pour y faire face, la junte s'est détournée de la France et de ses partenaires, et s'est tournée vers la Russie.

"Le Mali cherche à rassurer l'opinion nationale sur ses capacités à faire face aux menaces, qu'elles proviennent de l'intérieur ou de l'extérieur", analyse Aly Tounkara, directeur exécutif du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel.

Il évoque aussi l'idée communément partagée à Bamako qu'existerait au Mali une "ancienne habitude" de déploiements militaires internationaux qui ne respectent pas toujours les procédures, et que le régime voudrait y mettre fin.

Le Mali veut "faire passer un message à tous les partenaires que +rien ne sera plus comme avant+", abonde le chercheur malien Boubacar Haidara.

Mais pour une autre chercheuse sous couvert de l'anonymat, le Mali jouerait sur une corde "populiste" pour remobiliser ses soutiens en remettant en scène un nouvel ennemi extérieur qui veut attaquer la junte et ses institutions.

"C'est le jackpot pour le Mali, ils s'en prennent à plusieurs acteurs en même temps: la Côte d'Ivoire, qui avait une ligne dure contre Bamako, la Cédéao et la Minusma", accusée de vouloir s'ingérer dans les affaires maliennes sur la question des droits de l'homme, conclut la chercheuse.

Jeudi 14 Juillet 2022




Dans la même rubrique :