La trahison démocratique : Quand l'amnistie devient une arme politique sélective​​​​​​​​​​​​​​​​ ( par Assanator Diop )


Le Pastef et ses leaders, ont été parmi les principaux bénéficiaires de la loi d'amnistie de Macky Sall. Cette loi leur a permis d'être libérés et de participer aux élections qu'ils ont finalement remportées. Durant leur campagne, ils avaient promis l'abrogation totale de cette loi d'amnistie, la jugeant contraire aux principes de justice.

 

Aujourd'hui, au lieu de tenir cette promesse d'abrogation, ils proposent une loi "interprétative" qui maintient l'amnistie mais en restreint la portée. Cette volte-face constitue une trahison manifeste de leurs engagements et démontre un opportunisme politique inacceptable : ils ont profité de l'amnistie pour accéder au pouvoir et cherchent maintenant à la modifier selon leurs intérêts.

 

Une manœuvre juridique douteuse

 

La proposition de loi introduit la notion de "motivation exclusivement politique" comme critère déterminant pour bénéficier de l'amnistie. Cette formulation est délibérément vague et ouvre la porte à une application arbitraire et subjective :

 

1. Qui déterminera ce qui est "exclusivement politique" ? 

2. Comment distinguer objectivement entre un acte politique et un acte non politique dans le contexte de manifestations souvent chaotiques ?

3. Cette restriction permettra de poursuivre sélectivement certains individus tout en protégeant d'autres.

 

Un instrument de règlement de comptes politiques

 

La loi initiale d'amnistie visait à "pacifier l'espace politique et social" et à "raffermir la cohésion nationale" comme l'avait souligné le président Macky Sall. En voulant maintenant distinguer entre différentes catégories d'actes, le nouveau régime transforme cet instrument de réconciliation en outil de règlement de comptes :

 

- Les partisans du nouveau régime pourraient être considérés comme ayant agi pour des "motivations exclusivement politiques"

- Les soutiens de l'ancien régime pourraient voir leurs actes requalifiés comme "non exclusivement politiques"

 

Une atteinte grave à la sécurité juridique

 

L'article premier de la proposition introduit une distinction rétroactive entre différents types de faits amnistiés. Cette rétroactivité crée une dangereuse insécurité juridique :

 

- Des personnes qui pensaient être amnistiées pourraient soudainement se retrouver à nouveau poursuivables

- Cette situation est contraire au principe fondamental de la sécurité juridique, pilier de tout État de droit

- Elle mine la confiance des citoyens dans les institutions et la parole publique

 

Une division nationale programmée

 

La loi d'amnistie initiale, malgré ses imperfections, avait le mérite d'établir un cadre global de pacification après une période de graves troubles. Cette nouvelle proposition risque de :

 

- Raviver les tensions entre différentes factions politiques

- Créer un sentiment d'injustice chez ceux qui seront exclus de l'amnistie par cette "interprétation"

- Diviser la population entre "bons manifestants politiques" et "mauvais manifestants criminels"

 

Une instrumentalisation de la justice

 

L'article 5 prévoit que "les contestations relatives à l'application de la présente loi d'amnistie sont jugées par la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Dakar". Cette disposition centralisée pourrait permettre un contrôle politique du processus judiciaire, d'autant plus que le pouvoir en place pourrait influencer les nominations judiciaires.

 

Une hypocrisie morale et politique

 

Le plus choquant dans cette démarche est l'hypocrisie du nouveau régime :

 

1. Ils ont bénéficié personnellement de l'amnistie pour accéder au pouvoir les leaders de Pastef étaient détenus pour "appel à l'insurrection, atteinte à la sûreté de l'État et troubles à l'ordre public")

2. Ils critiquaient cette même amnistie pendant leur campagne

3. Maintenant au pouvoir, au lieu de l'abroger comme promis, ils la maintiennent en la modifiant selon leurs intérêts politiques

 

Une proposition inacceptable et antidémocratique

 

Face à cette situation, il n'existe que deux positions cohérentes et moralement défendables :

 

1. Maintenir intégralement la loi d'amnistie pour préserver la paix sociale et honorer l'engagement de réconciliation nationale

2. Abroger totalement cette loi et permettre à la justice de traiter tous les cas sans discrimination politique

 

La voie choisie par le nouveau régime est la pire des options : elle conserve l'amnistie pour leurs alliés tout en permettant des poursuites contre leurs adversaires. C'est la définition même d'une justice politique et partisane.

 

Un dangereux précédent

 

Si cette loi interprétative devait être adoptée, elle créerait un dangereux précédent dans l'histoire politique et juridique du Sénégal. Elle démontrerait qu'un régime peut utiliser son pouvoir législatif pour réinterpréter rétroactivement les lois selon ses intérêts du moment.

 

Le peuple sénégalais mérite mieux que cette manœuvre politicienne qui risque de compromettre la paix sociale si chèrement acquise après des années de tensions. Le nouveau régime devrait soit honorer sa promesse d'abrogation totale, soit assumer les conséquences de l'amnistie dans son intégralité, mais certainement pas créer cette dangereuse voie intermédiaire qui n'est qu'un instrument de vengeance politique déguisé.​​​​​​​​​​​​​​​​

 

Assanator Diop

Mercredi 19 Mars 2025
Dakaractu



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